Lettre ouverte de la société civile aux ministres sur les négociations de l’OMC sur les subventions à la pêche

Ce texte proposé par PANG au sujet des négociations en cours à l’OMC, présente un point de vue d’associations du SUD dont nous sommes totalement solidaires.
C’est une remise en cause de la légitimité de l’OMC à débattre des enjeux globaux de la pêche, une position que nous défendons depuis longtemps et qui avait déjà été discutée à Loctudy en Octobre 2000. Elle doit interpeler nos élus et toutes les ONG qui appellent à soutenir les propositions de l’OMC. Le WFF appelle à soutenir ce texte et nous nous y associons donc.

Il exprime essentiellement un point de vue d’organisations du Sud. En effet, dans notre pays, il ne reste que peu de subventions, hormis la défiscalisation sur le carburant et les aides sociales (retraites, sécurité, etc.). Leur suppression remettrait en cause une grande partie de nos pêcheries et concentrerait encore plus la pêche sur la zone côtière, la plus exploitée et dégradée par la pollution.
Collectif Pêche & Développement

En juin 2022, lorsque les ministres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se réuniront, la pression et les attentes seront très fortes quant à l’issue des négociations sur les subventions à la pêche. La réunion ministérielle (MC12) se déroule à un moment critique de la géopolitique mondiale, du changement climatique, de la pandémie de COVID19 et de la reprise économique. Pourtant, le projet de texte actuel des négociations n’apporte aucun appui aux stocks de poissons, à la conservation marine ou au développement.
Il est largement reconnu que les stocks de poissons mondiaux luttent pour leur pérennité. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), près de 60 % des stocks évalués sont pleinement exploités et 34 % sont exploités à des niveaux non durables. Les niveaux mondiaux de subventions au secteur de la pêche ont été estimés à 3,4 milliards de dollars. Si les subventions contribuent à la surexploitation des stocks, le problème varie en fonction de l’ampleur et de la portée de la pêche subventionnée et des bénéficiaires.
Les négociations sur les subventions à la pêche au sein de l’OMC ont été relancées à partir du mandat de l’Objectif de Développement Durable 14.6 qui vise à "interdire certaines formes de subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche, et éliminer les subventions qui contribuent à la pêche INN, et s’abstenir d’introduire de nouvelles subventions de ce type, en reconnaissant qu’un traitement spécial et différencié (TSD) approprié et effectif pour les pays en développement et les pays les moins avancés devrait faire partie intégrante de la négociation de l’OMC sur les subventions à la pêche".
Malgré cela, les négociations sont sur la voie de l’échec du mandat.

Les principaux responsables ne sont pas tenus de rendre des comptes
De nombreux accords mondiaux sur l’environnement suivent le principe de la responsabilité commune mais différenciée, ce qui signifie que les personnes les plus responsables du problème prennent les mesures les plus importantes pour y remédier. Le texte actuel de la présidence ne reconnaît pas la responsabilité historique de l’état des stocks mondiaux de poissons et de la surpêche. Les décennies de subventions accordées par les nations et les flottes de pêche industrielle ne sont pas prises en compte dans la formulation des interdictions, ce qui aboutit à un texte qui ne cible pas les responsables d’une surpêche durable et qui ont renforcé les capacités de leur flotte, ni la richesse accumulée aux dépens des stocks de poissons et des détenteurs de ressources des pays en développement. Les flottes de pêche lointaines sont souvent les mêmes que celles qui ont pratiqué la surpêche dans leurs eaux et qui ont la plus grande capacité de pêche, mais elles ne sont pas spécifiquement visées par le texte.
Les négociations doivent cibler ceux qui ont la responsabilité historique de la surpêche, y compris les flottes de pêche lointaine.

Les pêcheurs à petite échelle victimes de l’accord
Les pêcheurs à petite échelle font partie des communautés les plus vulnérables du secteur de la pêche. Ils dépendent des subventions gouvernementales pour survivre et sont les moins responsables de l’état global des stocks de poissons. Les propositions actuelles relatives aux pêcheurs à petite échelle prévoient une dérogation aux interdictions du texte pour les pêcheurs qui répondent aux critères cumulatifs de "faible revenu, pauvreté des ressources et pêche de subsistance" dans la zone de 12 milles nautiques des côtes. Pour la pêche INN et les stocks surexploités, même cette exemption limitée n’est offerte que pour deux ans.
Cette définition est conçue pour n’être utile qu’à un sous-ensemble de pêcheurs à petite échelle. Les accords précédents de l’OMC (Accord sur l’agriculture) ont permis d’élargir les exemptions pour les travailleurs artisanaux (faibles revenus ou ressources pauvres) mais cela n’a pas été étendu aux pêcheurs. En outre, de nombreux pêcheurs artisanaux vont au-delà de la zone des 12 milles marins pour suivre la pêche saisonnière ou pêcher dans les eaux des archipels. Le délai de deux ans est également insuffisant pour permettre à de nombreux pays en développement de mettre en place les réformes législatives, réglementaires et infrastructurelles nécessaires. Si ces réformes ne sont pas adoptées, les programmes de subventions dont dépendent de nombreux pêcheurs artisanaux peuvent violer les engagements de l’OMC et être contestés par d’autres membres.
Les pêcheurs qui ne répondent pas à la définition restrictive de la pêche seront concernés par les interdictions de subventions incluses dans tout accord sur les subventions à la pêche. Cela se produira également à un moment où les prix des denrées alimentaires et des carburants augmentent, ce qui accroît le coût de la vie et le coût de la pêche pour les pêcheurs et les travailleurs associés qui sont déjà dans des conditions précaires. Ce n’est pas le moment de réduire les subventions aux petits pêcheurs et aux activités liées à la pêche.
Les pêcheurs à petite échelle doivent être exclus de façon permanente de toute interdiction prévue par l’accord.

Des flexibilités inadéquates
Le mandat de l’ODD 14.6 demande que le traitement spécial et différencié soit "approprié et efficace", mais cela ne se reflète pas dans le texte actuel du président.
Outre des flexibilités très strictes uniquement pour la pêche à petite échelle, comme décrit ci-dessus, les flexibilités proposées pour les pays en développement dans la composante "surpêche et surcapacité" des interdictions compromettront les perspectives de développement des pays en développement. Lors d’une réunion spéciale de l’OMC sur la pêche en juin 2021, au moins quatre-vingt-un pays en développement ont déclaré que les dispositions relatives au traitement spécial et différencié qui concernaient la pêche artisanale dans les eaux territoriales étaient insuffisantes. Au lieu de cela, il a été souligné que toute flexibilité pour les pays en développement ne devrait pas seulement être limitée aux pêcheurs artisanaux dans les 12 milles nautiques, mais être permanente comme les autres flexibilités pour les mesures de durabilité. Le texte actuel n’offre qu’une dérogation temporaire pour la zone économique exclusive d’un membre, mais les flexibilités à long terme sont liées à un critère de seuil de 0,7 % des captures marines sauvages mondiales ou pour la pêche à faible revenu et à ressources pauvres et de subsistance dans les 12 milles nautiques.
Il est essentiel que les pays en développement puissent accéder aux flexibilités prévues à condition qu’ils respectent les exigences de notification établies, qui vont au-delà des exigences de l’accord de subvention existant. Cela punira les pays en développement qui ont déjà du mal à respecter leurs exigences de notification, même s’ils ne contribuent pas à la surpêche mondiale.
Les pays en développement doivent maintenir une exemption permanente pour la pêche dans leurs propres eaux souveraines.

L’OMC se prononcera sur les mesures de gestion de la pêche
Selon le texte du président, les subventions interdites aux stocks surexploités et celles qui contribuent à la surpêche et à la surcapacité sont autorisées à se poursuivre s’il est démontré que des mesures de durabilité sont en place. L’OMC, qui n’a pourtant aucune compétence en la matière, deviendra ainsi un organe capable de déterminer si les mesures de conservation et de gestion des stocks de poissons d’un pays sont appropriées ou non. Il s’agit également d’un cas de traitement spécial et différencié inversé offrant une clause échappatoire principalement aux pays développés.
L’obligation pour les membres de rendre compte des mesures de gestion qu’ils ont mises en place permettra aux autres membres de les contester s’ils estiment qu’elles ne sont pas suffisantes ou qu’elles représentent une menace commerciale potentielle. Il existe de nombreux exemples de pays développés qui contestent unilatéralement les mesures de gestion d’autres pays, limitant l’accès au marché s’ils estiment qu’elles ne sont pas conformes aux normes. Cela profite souvent aux flottes de ces mêmes pays développés qui peuvent déjà respecter ces normes.
L’accord vise à traiter les subventions, et non les mesures de gestion des membres. Il existe d’autres forums plus appropriés qui disposent déjà de procédures de règlement des différends pour traiter les problèmes qui se posent en matière de gestion et aider les pays à les améliorer. Cela va au-delà du mandat de l’accord et nuira très probablement aux mesures de conservation des membres, sapant ainsi la gestion des stocks de poissons.
L’OMC ne doit pas pouvoir interférer avec les mesures de conservation et de gestion d’un membre en rendant des décisions défavorables à son égard. Les organisations régionales de gestion des pêches sont mieux placées pour résoudre les problèmes de conservation et de gestion des stocks.

Saper la Convention des Nations unies sur le droit de la mer
La Convention des Nations unies sur le droit de la mer est un traité international qui confère aux pays des obligations et des droits relatifs aux ressources naturelles vivantes (y compris les poissons) dans leur zone économique exclusive (ZEE), c’est-à-dire la zone de 200 milles nautiques à partir du littoral. Ce traité donne aux pays le droit de gérer et d’exploiter ces ressources ainsi que l’obligation de s’assurer qu’elles sont gérées de manière durable.
Le texte actuel de la présidence empiète sur les droits souverains des pays à gérer et exploiter leurs ressources halieutiques en leur demandant de communiquer les mesures de gestion à l’OMC en vue d’une éventuelle contestation et en limitant leur capacité à soutenir les flottes de pêche nationales. L’OMC va saper les traités internationaux existants sur les océans et donc affaiblir les capacités des pays en développement à gérer les stocks de poissons et empêcher les flottes de pêche lointaines d’accéder aux stocks de poissons.
Les traités internationaux existants ne doivent pas être affaiblis par l’accord de l’OMC et doivent au contraire garantir que les droits des membres déjà établis dans le cadre de la CNUDM ne sont pas annulés par l’OMC qui détermine les actions au sein de la ZEE d’un membre.

Un accord déséquilibré qui récompense les capacités
Dans sa forme actuelle, le texte sera surtout utile aux pays, pour la plupart développés, qui ont déjà la capacité de subventionner leurs flottes et de gérer leurs stocks de poissons. La gestion et la mesure des stocks de poissons sont d’un coût prohibitif pour de nombreux pays en développement, ce qui rend plus difficile pour eux la gestion de tous leurs stocks de poissons ainsi que la présentation de rapports à l’OMC afin de bénéficier des flexibilités prévues par le texte. La capacité à subventionner les flottes de pêche dépend également des capacités financières à pouvoir se permettre de dépenser cet argent.
Comme l’indique le South Centre, sur la base de la conformité actuelle avec les notifications de l’accord sur les subventions de l’OMC, seuls 55 membres (en prenant l’UE comme membre unique) s’y conformeraient. A cela s’ajoute le fait qu’environ 80 pays en développement n’ont pas effectué la notification requise d’ici le début de l’année 2021, ce qui, si cela est étendu au texte sur la pêche, les rendrait inéligibles à toute flexibilité ou traitement spécial et différencié.
Punir ceux qui ont le moins de capacité à gérer, subventionner ou notifier ne répond pas à la gravité de l’état des stocks mondiaux de poissons, mais punit plutôt les moins responsables. Proposer uniquement un fonds volontaire pour le renforcement des capacités et l’assistance technique laisse les pays en développement avec le fardeau des obligations mais sans soutien engagé. Ce n’est pas ce que les dirigeants envisageaient lors de l’adoption de l’ODD14.6.
Le fait de subordonner les flexibilités pour les pays en développement à des obligations de notification ne répond pas aux objectifs du mandat et ne fait que punir ces pays ; en tant que tel, il devrait être supprimé du texte. Les pays développés doivent fournir un financement complet pour le renforcement des capacités et l’assistance technique.

Enfin, le processus de ces négociations doit être démocratique, inclusif et participatif. Nous n’avons vu aucune tentative d’impliquer les groupes de petits pêcheurs dans ces discussions. En outre, il doit donner aux pays en développement et aux PMA suffisamment d’occasions de participer et d’exprimer leurs opinions jusqu’à la fin, et les consultations de type green room sont en contradiction avec l’approche souhaitée.
Nous demandons aux ministres de s’assurer que tout résultat des négociations sur les subventions à la pêche cible ceux qui ont la plus grande responsabilité historique dans la surpêche et l’épuisement des stocks, exclut tous les petits pêcheurs de toute interdiction de subvention, empêche l’OMC de statuer sur la validité des mesures de conservation et de gestion des membres, et maintient les droits souverains des pays en vertu de la CNUDM.

Adam Wolfenden
Campaigner Pacific Network on Globalisation
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