Des pertes de revenus importantes
Les petites entreprises exportatrices ont subi les plus grosses pertes et elles ont reporté leurs coûts sur le prix d’achat aux pêcheurs. De nombreuses petites entreprises de mareyage, incapables de faire face aux coûts des nouvelles réglementations et des paperasses, ont dû fermer. Les pêcheurs ont parfois dû vendre leur bateau. Seules les plus grosses entreprises exportatrices ont pu assumer la hausse des coûts et des délais.
Le secteur le plus touché est celui des coquillages, soumis à l’épuration pour avoir accès au marché européen. La hausse des coûts d’exportation a fait baisser le prix d’achat aux pêcheurs de 50 %. Les coûts de groupage et de transport ont été multipliés par 5 pour l’exportation des coquillages. Les pertes liées au déclin des exportations vers l’Union Européenne sont estimées à 64 millions de livres par an.
L’accord sur le Brexit a eu des conséquences sur les négociations avec les Feroë et la Norvège en ce qui concerne les petits pélagiques ; ce qui crée un risque de repli de cette pêcherie vers les eaux nationales avec un impact négatif possible pour les pêcheurs côtiers.
Conséquences pour l’emploi en mer : dumping social.
La fuite des matelots d’origine européenne a entraîné une grave pénurie de matelots qui a été compensée par l’appel à des entreprises de courtage pour faire venir des matelots du Ghana, des Philippines, etc. Faute de visas, ces pêcheurs ne peuvent ni débarquer, ni travailler dans les eaux territoriales. Ils sont donc condamnés à rester de long mois sur les bateaux. De plus ils sont souvent mal payés, deux fois moins qu’un matelot anglais ou européen. Le Brexit a donc entraîné un renforcement du dumping social.
Les exportations malmenées
les coûts d’exportation se sont accrus, les remboursements de TVA se font avec de gros retards, les tracasseries douanières entraînent des retards, des problèmes de qualité et des pertes. Les conséquences pour les exportations sont dramatiques. Un exportateur a vu ses ventes en France s’effondrer de 70 % pour les crustacés, et de 60 % pour les coquillages. En conséquence, les pêcheurs ont moins de débouchés. Un caseyeur a perdu 90 % de ses débouchés. Les mareyeurs britanniques ont aussi souffert de la baisse des débarquements par certains bateaux. Ainsi des Ecossais vont vendre au Danemark pour pénétrer plus facilement le marché européen. Des armements belges ont renoncé à débarquer en Angleterre.
Les marchés perdus en Europe n’ont pas été compensés par de nouveaux débouchés ni par la croissance du marché intérieur.
Des conséquences imprévues
Les pêcheurs anglais dénoncent particulièrement le maintien de l’accès des 6 -12 milles aux bateaux européens (dont les Français). Selon eux, il y a toujours un grand déséquilibre dans les droits d’accès : 12 000 T pour les Britanniques dans les eaux de l’UE (dont les coquilles St jacques en Normandie) contre 40 000T pour les Européens dans les eaux britanniques. En Ecosse, malgré l’abondance de morue, ils n’ont toujours qu’un quota dérisoire de morue, épuisé en une journée. Ils dépendent toujours de l’Union Européenne pour les décisions de gestion. Il peut difficilement en être autrement car les poissons n’ont pas de carte d’identité et circulent en Manche comme en Mer du Nord, sans tenir compte des frontières.
Les petits bateaux sont les plus grands perdants avec seulement 9 % de quotas supplémentaires pour une part ridicule de ces quotas. Les seuls gagnants sont les grands bateaux qui pêchent les pélagiques et ont vu leur part augmenter sensiblement.
Enfin, les organisations de pêcheurs ont dû dépenser beaucoup en frais de représentation pour discuter de cet accord et de ses conséquences. Cela a pesé sur leurs comptes et elles ont dû pour cela sacrifier des programmes de recherche.
Renégocier l’accord avant 2026
Le rapport se termine par des recommandations des parlementaires basées sur les revendications des pêcheurs.
– Il faut une répartition plus juste des quotas et en réserver pour l’installation des jeunes. Une partie de ces mesures relève de la politique propre aux Britanniques.
– Il faut avancer avant 2026 l’interdiction des 6 - 12 milles aux flottes européennes, réduire le nombre de bateaux de l’UE autorisés dans les eaux britanniques. Beaucoup réclament l’interdiction de la senne danoise pratiquée aujourd’hui par 75 bateaux de l’UE.
– Les pêcheurs veulent aussi être associés aux décisions des organismes de gestion et développer plus de liens avec les scientifiques. Sur ces points ils seront sûrement rejoints par les autres pêcheurs européens.
– Ils demandent l’interdiction des bateaux usines dans les eaux britanniques
– Ils réclament des aides spécifiques pour compenser les coûts d’exportation
– Ils demandent la négociation d’un accord de libre-échange, la réduction des barrières tarifaires et réglementaires. Ils veulent la levée de l’interdiction d’exportation des bivalves non épurés.
– Ils veulent des investissements pour les infrastructures et les nouveaux marchés, des aides pour le renouvellement des bateaux, les installations à terre. Il faut aussi développer le marché intérieur, notamment pour les crustacés, boudés par les Britanniques. Peut-être que la difficulté d’accéder aux fish and chips va les aider…
On voit en tout cas que les prochaines négociations seront encore très chahutées et difficiles pour tous les pêcheurs, britanniques et européens.
Alain Le Sann,18 juin 2022