Après l’accord de l’OMC sur les subventions à la pêche Réponse à Madame Ngozi Okongo Iweala, directrice de l’OMC

, par  CHEREL, Jacques

Jacques Chérel réagit à l’annonce de l’accord de l’OMC contre les pêches illégales et la surpêche. Accorder la priorité à la lutte contre la surpêche, y compris dans la pêche artisanale, aboutit à favoriser l’élimination de pêcheurs côtiers sans avoir garanti des activités alternatives. Il existe des communautés de pêcheurs conscients de la surpêche mais obligés de continuer tout en préparant l’avenir en dehors de la pêche pour une partie de la nouvelle génération. Ces processus prennent du temps. Il faut articuler la protection des ressources avec les réalités sociales. Or certains scientifiques bien en cours et promoteurs de la campagne anti-subventions à la pêche remettent en cause les subventions à vocation sociale, car contraires à la logique du marché que promeut l’OMC.

« Selon Sumaila, l’assurance-emploi, par exemple, serait considérée comme " une mauvaise subvention " : " Elle est spécialement conçue pour les pêcheurs avec de bonnes intentions, mais elle a pour effet de maintenir les gens dans la pêche plus longtemps qu’ils ne le feraient dans le cadre du marché ". [1] En bref, laissons le marché et les variations des ressources faire le ménage et éliminer impitoyablement les plus faibles ! L’association PANG conteste aussi l’article 4 de l’accord, défavorable aux pays les plus pauvres :« L’article 4 interdit les subventions aux stocks de poissons dont on a déterminé qu’ils étaient surexploités. Si tel est le cas, l’article 4.3 autorise l’utilisation de subventions à condition qu’il existe des mesures visant à reconstituer un stock à un niveau biologiquement durable. Le fait de justifier des mesures de durabilité pour un tel stock de poissons permet au pays membre d’être attaqué sur les mesures qu’il a mises en place. Avant la réunion ministérielle, le président des négociations a souligné comment le processus d’examen peut permettre à d’autres pays de remettre en question et finalement de contester les mesures de gestion d’un autre membre. Ce n’est pas un bon résultat car l’OMC n’a aucune expertise en matière de gestion des pêches.
Il est à craindre que l’exemption de durabilité mentionnée ci-dessus ne soit accessible qu’à ceux qui ont la capacité de mesurer, gérer et établir des rapports sur leurs stocks de poissons. Cela favorisera les pays développés. Enfin, l’article comporte une exception similaire à celle de l’article 3 pour les pays en développement et les PMA, mais le délai tout aussi court est préoccupant. » [2]

Brésil, au CEARA : Ces pêcheurs, malgré la faiblesse de leurs moyens, sont conscients d’être trop nombreux et donc de pratiquer une surpêche, malgré leurs efforts pour la réduire. Faute d’alternative, ils doivent continuer, tout en préparant, par l’éducation, une partie de leurs enfants à travailler en dehors de la pêche. Cela ne se fera pas en deux ans…

Il est particulièrement choquant de lire la déclaration de l’OMC concernant la condamnation de la pêche illégale ! Disons-le franchement OUI il faut condamner sans détour la pêche illégale. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, serait responsable de la prise annuelle de 11 à 26 millions de tonnes de poisson, privant ainsi l’économie mondiale de 10 à 23 milliards de dollars.

Alors oui, mais encore faudrait-il clairement désigner les fraudeurs ! Car la simple condamnation générale revient à jeter l’opprobre sur un milieu, une catégorie, à générer une sorte de génocide social au nom de la défense vague des océans. Non, tous les pêcheurs du monde ne sont pas des fraudeurs ! Non toutes les régions du monde ne sont pas concernées de la même façon ! Non toutes les pêches ne sont pas à considérer de la même façon : la pêche de poissons fourrages destinés à la farine de poisson n’est pas à mettre sur le même plan que la pêche vivrière !

Sans ambiguïté, il faut condamner la pêche illégale qui contribue à la destruction de l’environnement puisqu’elle n’est pas encadrée et ne respecte aucune loi de conservation de la nature. L’impact des engins de pêche utilisés n’est pas mesuré, les captures accessoires ne sont pas déclarées et les tailles ou quantités réglementaires ne sont pas respectées. La pêche illégale accélère non seulement la destruction de la biodiversité marine, mais met également en danger la sécurité alimentaire et les conditions de vie des travailleurs dans le monde. Mais on sait justement combien les mesures ont été prises en Atlantique nord pour maitriser les techniques et les pratiques qui sont sous contrôle des scientifiques avec des normes très précises, ce qui permet à la biomasse halieutique de se maintenir et de croître.

Il faut aussi rappeler la part essentielle de la pêche pour assurer l’alimentation dans le monde. Trois milliards de personnes dépendent, pour bien se nourrir, du poisson et des produits de la mer qui représentent 20% de leur apport en protéines animales. Dans certains pays comme le Bangladesh, le Cambodge, la Gambie, le Ghana, l’Indonésie, la Sierra Leone ou encore le Sri Lanka, la dépendance au poisson comme apport en protéines est même supérieure à 50 %, selon le rapport de la FAO 2020. L’ODD n°2 qui vise à mettre un terme à la faim dans le monde peut encore être atteint d’ici 2030 si nous agissons dès maintenant et tous ensemble. Il est essentiel de rappeler l’importance d’assurer aux populations qui en dépendent des approvisionnements en poisson, une source de protéine sauvage de qualité dont l’empreinte carbone est plus faible que celle de la viande. Pour ce faire, une gestion respectueuse des ressources naturelles, plus d’éthique et d’équité au sein de la pêche sont essentiels.

Lorsque l’on sait que des communautés dans le monde dépendent du poisson comme moyen de subsistance, il est d’autant plus choquant de savoir qu’un tiers des captures mondiales est gaspillé. C’est là qu’il faut faire pression. En effet, on estime que le poisson est perdu ou gaspillé au cours de son parcours dans la chaîne d’approvisionnement (représentant 35% des prises mondiales selon le rapport SOFIA de l’ONU en 2018), souvent longue et complexe. Réduire de moitié ce gaspillage d’ici 2030 fait partie des Objectifs de Développement Durable de l’ONU. Alors que ce gaspillage est évitable en mettant en place une chaîne logistique fiable et ininterrompue pour maintenir les produits de la mer dans le froid et dans de bonnes conditions d’hygiène, il est décevant de constater que ce sont souvent les pays les plus riches qui gaspillent le plus alors même qu’ils possèdent les infrastructures les plus efficaces. De fait, la moitié du poisson pêchée en Amérique du Nord et en Océanie n’est jamais consommé !

Le développement et la gestion de produits de la mer durable n’est pas qu’une affaire environnementale, c’est aussi un impératif économique et social. Ce n’est que lorsque les nations disposeront de pêcheries bien gérées et de populations de poissons durables que leurs communautés prospéreront et utiliseront tout le potentiel de leurs ressources naturelles et humaines. Il est de l’intérêt de chaque pays de bien maintenir ses ressources naturelles, de protéger sa biodiversité et d’améliorer la sécurité alimentaire et économique de ses populations. C’est évidemment plus complexe dans les pays en développement aux moyens limités, c’est pourquoi il est prioritaire de les accompagner dans cette démarche, à un moment où la crise limite fortement la capacité de ces pays à se redresser.

Ce phénomène toujours présent (braconnage à grande échelle) est très fréquent dans l’Océan Indien et au large de l’Afrique de l’Ouest. Les fraudeurs qui tirent les ficelles sont parfois tout près de nous : Greenpeace a dénoncé dès 2011 la famille espagnole VIDAL désignée comme « le baron de la pêche espagnole » dans son rapport de 20 pages « SOS Océans : le crime organisé fait main basse sur nos océans ». Les bateaux de VIDAL cumulaient les infractions dans toutes les eaux du monde, forcément avec la bénédiction du gouvernement espagnol, et le rapport explique en particulier des changements de pavillon très fréquents, des manœuvres de transbordements, des trucages de système de repérage électronique, des informations manipulées sur l’étiquetage. Ce sont des navires chinois qui viennent pêcher les thons rouges méditerranéens dans une impunité totale. Dans des pays d’Afrique et d’Asie, le transbordement permet aux navires de livrer leur marchandise au large, sans rentrer au port.

En plus de menacer gravement les ressources, ces pêches illégales menacent tous ceux qui pratiquent une pêche réglementée, et parmi eux, les premières victimes sont les petits pêcheurs artisanaux.
Dans ce contexte la prise de position de l’OMC soutenue par des ONG vise plutôt à laisser libres les grandes multinationales de piller les ressources de la mer, en jetant la suspicion sur les pêcheurs sans distinction. Il faut resituer cette déclaration dans le cadre de la mainmise actuelle sur les océans, processus désigné sous le vocable d’économie bleue. Tels les conquistadors à la conquête de l’Amérique qui massacrait les prétendus sauvages amérindiens (processus toujours en cours), ces nouveaux conquistadors prétendent sauver les océans en éliminant ses usagers ancestraux, les pêcheurs, pour mieux exploiter et marchandiser les ressources maritimes, qu’elles soient halieutiques ou minérales.

La priorité pour l’OMC devrait être, en écho à la FAO, non pas de libéraliser les échanges en faveur des plus puissants mais de consolider des pêcheries locales et des pêcheurs des littoraux pour assurer des ressources alimentaires sur lesquelles pèsent aujourd’hui une pression dangereuse. Il ne s’agit pas de supprimer les subventions mais de les orienter vers ceux qui en ont besoin.

L’OMC fait fausse route s’il elle ne désigne pas clairement qui sont les nouveaux pilleurs des océans, même si certains se cachent derrière des habits de défenseurs de la nature !

Jacques Chérel

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