Ronan le Corre : pêcheur et maestro des savoirs vivants Journée Mondiale des Océans à Lorient, le 8 juin 2022

, par  LE SANN Alain

Lors de la soirée du 8 juin consacrée aux savoirs en mer, à l’occasion de la Journée mondiale des océans, Pierre Vuarin, de l’Université Internationale Terre Citoyenne (UITC) a introduit la remise du prix « maestro des savoirs vivants » à Ronan le Corre, pêcheur de tellines en baie d’Audierne. Voir la vidéo https://youtu.be/OfSyJPLD0xE

Valoriser les savoirs vivants

« Avec l’UITC, nous avons réfléchi sur ce que sont les savoirs vivants. Nous nous sommes rendus compte qu’à l’heure actuelle, il y a des savoirs universels scientifiques qui sont valorisés, travaillés, évalués par des académies, des revues, des publications. Ce sont des savoirs importants pour l’humanité, mais il y a aussi des avoirs locaux, adaptés à des territoires, à des situations particulières, des savoirs traditionnels de génération en génération, composés de différents types de savoirs techniques, scientifiques qui sont aussi très utiles et très importants...
On considère qu’ils ne sont pas portés par des gens exceptionnels et donc on les met de côté, ils sont dévalorisés, marginalisés, alors qu’ils sont très intéressants….
A l’UITC, on s’est rendu compte qu’il y avait différents types d’acteurs qui portaient ces savoirs et qu’il était important de rendre compte de ces savoirs. On a donc avancé l’idée de « maestros des savoirs vivants ». Ce sont des personnes qui sont des maîtres pour relier, agencer, faire relation, dialoguer en s’appuyant sur des savoirs en relation avec la nature, qui sont vivants, pour la société. Ils sont essentiels dans cette période de transition, de crise, de changement climatique. On a besoin de mobiliser des savoirs nouveaux composés de différents types de savoirs vivants.
Il y a des personnes insérées dans la société, qui sont des praticiens et des chercheurs porteurs de ces savoirs vivants. Ils sont effectivement des maestros des savoirs vivants que l’on doit mettre en évidence, valoriser pour qu’ils jouent un rôle très intéressant.

Donc, Ronan, nous sommes heureux de te donner ce titre de Maestro des savoirs vivants. Tu travailles avec la mer en relations avec les humains et tu as fait un travail extraordinaire sur la question des ressources halieutiques, en observant à partir de ton lieu de travail, en particulier sur les tellines, te posant des questions, allant chercher différents types d’informations, de connaissances ailleurs, avant de les assembler pour analyser cette crise de la ressource et pour t’ouvrir sur d’autres types de coquillages, des expérimentations.
Nous considérons que tu es un bel exemple de ces Maestros des savoirs vivants.
Nous te remercions de tes apports et nous sommes heureux de te donner ce titre de maestros des savoirs vivants.
Merci Ronan. »

Ronan Le Corre : un pêcheur–chercheur

Dans les années 1990, Ronan Le Corre faisait partie des 250 pêcheurs de tellines des baies d’Audierne et de Douarnenez. Ils pêchaient aux environs de 200 tonnes et gagnaient leur vie. Mais dans les années 2000, leurs ressources s’effondrent, les fermetures administratives se multiplient ; aujourd’hui, il ne reste plus que 26 telliniers, plus de 200 emplois ont disparu, dans l’indifférence des chercheurs, des services de l’État, des élus, des médias.

Ronan le Corre ne veut pas en rester là, il cherche des explications et s’appuie sur ses observations du plancton, soutenu par Pierrot Mollo. Très vite, il fait le lien entre la disparition des diatomées, très sensibles aux pesticides, et les épandages de produits chimiques au printemps. IFREMER conclut pourtant en refusant de confirmer les liens. Ronan découvre ensuite des tellines difformes, pour IFREMER, c’est lié aux coups de dragues… mais une chercheuse de l’IRD et Laurent Chauvaud, spécialiste de la coquille St Jacques, font aussi le lien entre les pollutions chimiques et la disparition des coquillages. De leur côté, les surfeurs de La Torche se plaignent d’irritations récurrentes tandis que des militants d’Eaux et Rivières de Bretagne alertent sur les taux élevés de pesticides et d’herbicides dans les ruisseaux débouchant sur la baie d’Audierne. Pourtant, il reste difficile de prouver le lien entre la disparition des tellines et ces produits chimiques. Finalement, deux chercheuses de l’IFREMER apportent des preuves, mais leurs travaux sont peu relayés.
Pour trouver une alternative, Ronan le Corre expérimente ensuite, avec succès, une méthode nouvelle d’élevage de palourdes, mais il ne peut s’installer faute de disposer de concessions sur l’estran.

Pêcheur pédagogue : les tellines contre les tulipes.

Ronan le Corre, de son côté, fait le lien entre la disparition des tellines et le développement d’une bulbiculture intensive sur les terrains sableux de la côte de la baie d’Audierne.

Les champs de tulipes en arrière des dunes.

Ces terres ne retiennent pas les molécules emportées par le ruissellement et le drainage. Des cygnes sont morts de faim sur une mare gavée de pesticides…
Ronan se démène pour expliquer aux habitants, et surtout aux agriculteurs, l’importance de préserver la qualité de l’eau pour assurer le maintien d’une vie à terre et en mer. Il participe ainsi à de nombreuses journées de sensibilisation organisées par l’association CAP 2000, en Morbihan, mais aussi à des animations dans le Finistère. Qui mieux qu’un pêcheur peut expliquer ses problèmes et ses constats à des agriculteurs et les inciter à modifier leurs pratiques ?

Ce qu’il a constaté, analysé et dénoncé en baie d’Audierne peut être confirmé en bien d’autres endroits, en rade de Brest, dans le Mor Bras au large du golfe du Morbihan, mais il est plus facile d’accuser les pêcheurs de tous les maux grâce aux millions de fondations anglo-saxonnes que de s’appuyer sur leur expérience de sentinelles de la mer pour remettre en cause des modèles de développement fondés sur l’agriculture intensive, un tourisme et une urbanisation débridée qui détruisent les bases de la vie terrestre et marine.
Nous avons grand besoin de ces maestros des savoirs vivants.

Alain le Sann
Juin 2022

N.B : Catherine Le Gall a consacré plusieurs chapitres au travail de Ronan Le Corre dans son livre "L"imposture océanique", éd La Découverte, 2021, 240 p

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