La charte « Pêcheurs partenaires » du Parc Naturel Marin d’Iroise

, par  LAGARDE, Virginie

Des AMP idéalisées
Les aires marine protégées ont le vent en poupe. Promues par des ONGE de plus en plus virulentes sur le sujet, qui vont jusqu’à pousser au « debt swap » (échange dette contre protection de la nature) certains pays comme les Seychelles. Elles mettent aussi en avant les potentiels « effets de débordement » qui doivent cependant être contextualisés. Selon la classification choisie et le niveau de l’aire marine, les activités humaines de production ou d’extraction, selon la sémantique choisie, doivent être exclues. Il existe cependant des exceptions choisies par les scientifiques, les ONGE, ou les intérêts économiques sous-jacents comme le tourisme, certains types d’extraction, mais cela est un autre sujet. Bien souvent, la première activité visée par les interdictions est la pêche. L’image et le schéma idyllique vendu par les lobbyistes du sujet posent quand même beaucoup de questions : quid de la sécurité alimentaire des populations qui dépendent de ces espaces, de la surveillance et du contrôle, des effets inexistants de débordements dans bien des contextes et des suivis, de la recherche (scientifique, sociale…) qui est extrêmement coûteuse à la société et bien souvent élitiste ?

La pêche est compatible avec la protection
Mais l’idée n’est pas de rentrer dans un débat intellectuel et de fond sur le sujet. Cependant, comme les directives volontaires de la FAO sur la Pêche artisanale nous l’ont montré, il parait opportun de parler d’initiatives ou de modèles de bon sens qui incluent les activités historiques de l’espace, répondent aux besoins des populations locales, participent à un système d’économie circulaire et durable. Ces schémas ont aussi l’intelligence d’intégrer les services écosystémiques d’espaces naturels remarquables qui, par conséquent sont valorisés de façons durable. Il est à souligner que bien des aires marines sont proposées ou créées sur des espaces aux caractéristiques dites « remarquables » où des activités humaines, notamment de pêche, sont exercées depuis toujours (Parc Naturel Marin d’Iroise PNMI, Seychelles…) et donc compatibles durablement. Cette philosophie est celle de la charte pêcheur- partenaire dans le périmètre du PNMI.

Un Parc Marin géré démocratiquement
En 2007, le premier Parc naturel marin de France voit le jour en Iroise. La création de cette aire marine protégée n’a pas fait l’unanimité et sa mise en place a été houleuse. Aujourd’hui, la remise en cause de cette aire marine protégée n’est plus d’actualité. Située à la pointe du Finistère, elle s’étend sur 3500 km², un espace marin compris entre l’île de Sein, Ouessant et les limites de la mer territoriale. La gestion et le mode de gouvernance de cette aire marine mérite l’attention car elle intègre un grand nombre d’acteurs locaux du milieu maritime dont la pêche professionnelle. Tous ces acteurs sont représentés au sein du conseil de gestion du PNMI qui est l’organe de gouvernance, décidant de la politique du Parc (cadré par les 10 orientations de gestion définies à la création du Parc). Le conseil est donc une instance locale composée de représentants d’acteurs de la mer d’Iroise : pêcheurs professionnels, collectivités locales, usagers de loisirs, associations de protection de l’environnement, experts et services de l’État. Cette gouvernance, en mer, décentralisée et participative, est au cœur du fonctionnement du Parc, elle permet une connexion et une appropriation locale et territoriale qui manque à bien des schémas d’aires marines protégées. La concertation, la consultation et les échanges qui ont lieu dans ces organes locaux ne sont pas toujours simples mais conduisent à des décisions consensuelles plus acceptables et proches des acteurs locaux tout en respectant l’objectif principal de conservation, qui intègre des attentes nationales et internationales (effectif des populations, protection des habitats d’intérêt communautaire…), comme cela a toujours été le cas, avant même la création du PNMI.

La charte : un outil contractuel
La pêche est donc intégrée à ce processus et partie prenante de la protection et de la gestion de ce périmètre remarquable et de ses objectifs. Dès la création du parc, les professionnels et l’équipe du PNMI ont réfléchi à une façon de valoriser les bonnes pratiques et les activités des pêcheurs présents dans ce périmètre depuis toujours. L’« âme de la charte » voit le jour dès 2014 via une étude de faisabilité des « contrats parcs », première ébauche de la charte, qui a été testée et travaillée pour aboutir à la première version de la charte de 2017-2021, révisée et améliorée pour une version actuelle qui intègre tous les retours d’expériences et réalités de terrain issus de la première version. La charte pêcheur partenaire est donc l’illustration d’un modèle « intégrant » l’activité et les hommes de la pêche. Cet outil passionnant et innovant permet de formaliser l’engagement commun de la profession et de l’Aire Marine Protégée pour ces objectifs de conservation. Le PNMI et les professionnels ont donc pour buts communs de mieux connaître le milieu marin, de le protéger et de développer durablement les activités dépendantes de la mer. Cette philosophie permet de garantir l’équilibre entre la protection des richesses naturelles de l’Iroise et le développement raisonné des activités qui en dépendent.
La charte, s’adresse aux pêcheurs professionnels qui travaillent toute ou partie de l’année dans le périmètre du Parc naturel marin d’Iroise. C’est un outil contractuel qui permet au pêcheur de marquer son engagement en faveur des objectifs de conservation, de la durabilité de son activité, de valoriser ses bonnes pratiques et de participer à l’acquisition de connaissances.

Un pêcheur engagé dans le programme de restauration de la langouste rouge.

S’appuyer sur l’expérience locale
Cette année cette charte se renouvelle dans un contexte de développement d’aires marines protégées et d’argumentaires parfois manichéens de certaines ONGE ou de scientifiques s’appuyant sur des modélisations et le concept d’ « effet de débordement » qui est réel dans certains contextes « fermés » (lagon, baie…) mais non pertinent dans beaucoup d’autres. Issu de « success story » dans de petits périmètres, il se révèle souvent être bien éloigné des réalités de terrain et des contextes locaux. En effet, répliquer une expérience en lagon de Polynésie dans la mer ouverte de l’Iroise n’a pas de sens et il apparait plus opportun de valoriser les initiatives locales qui ont porté leur fruits (cantonnement langouste, gestion du champ d’algues…). Ainsi, la charte est un outil essentiel, appuyant cette philosophie. C’est un outil basé sur des éléments factuels et dynamiques prouvant que la profession peut exister dans le périmètre d’une AMP et participer aux objectifs de conservation. Il permet de valoriser les initiatives positives. La profession est consciente de ces enjeux et c’est dans ce sens qu’elle s’est associée, adhère et fait la promotion de ce partenariat établi avec le Parc Naturel Marin d’Iroise et l’armateur volontaire avec son équipage.

Valoriser les savoirs des pêcheurs
La formule que l’équipe du parc et la profession ont travaillée et retenue consiste en une combinaison de mesures obligatoires et des mesures volontaires pour que chaque métier de la pêche exerçant dans le périmètre puisse adhérer. Ce travail et son importance ont été mis en avant par le recrutement d’un chargé de mission au sein du PNMI qui a dynamisé la charte et participé à son perfectionnement en recueillant les témoignages et en intégrant les améliorations nécessaires. Dans la version 2017-2021, 6 mesures étaient proposées, dans la version 2021-2025 19 mesures sont proposées et les professionnels s’engagent sur une période de 5 ans (même si la charte peut être arrêtée à tout moment par les signataires). L’engagement est tripartite, signé par le PNMI, le CDPMEM29 et le pêcheur armateur.
Le PNMI valorise le partenariat avec les pêcheurs professionnels pro-actifs pour atteindre les objectifs du plan de gestion. La charte est un outil d’intégration de la politique publique concernant les aires marines protégées (à la française). Le PNMI, dans ce cadre, organise et propose des actions dédiées à destination des partenaires mais bien souvent en interaction avec d’autres acteurs ce qui favorise les échanges et l’intégration des impératifs de chacun. Le PNMI peut aussi intégrer les connaissances des pêcheurs et les faire participer à l’acquisition de données et bénéficier de leurs observations de terrain.
Pour la profession (le CDPMEM29), la démarche permet une de valoriser l’activité de pêche professionnelle dans une AMP, et de communiquer, avec des arguments forts et factuels, vers la profession mais aussi vers les autres acteurs. Cette approche permet aussi de favoriser et promouvoir le lien des professionnels avec le parc marin, d’en comprendre l’intérêt et les avantages et d’en devenir ambassadeur.
Pour le pêcheur, l’intérêt principal est le partage. Ils peuvent s’enrichir de connaissances environnementales et halieutiques théoriques et scientifiques et les confronter avec leurs observations et expériences de terrain. Ils bénéficient d’une communication positive autour de leur activité et intègrent un réseau où l’expérience enrichit et permet de préciser les connaissances et données scientifiques du PNMI.
Les mesures sur lesquelles les pêcheurs s’engagent s’inscrivent dans quatre grandes thématiques : les ressources halieutiques, le patrimoine naturel, la qualité de l’eau et la promotion du métier, des produits et de la charte. Certaines d’entre elles correspondent à des pratiques déjà mises en place par les pêcheurs locaux. Les mesures obligatoires sont des mesures de bon sens qui permettent de consolider l’acquisition de connaissances et d’asseoir et de valoriser les bonnes pratiques. Sans entrer dans le détail, les voici décrites succinctement :
• Les pêcheurs participent aux programmes d’embarquements (agents du parc, scientifiques, projets de suivi…).
• Ils mettent un effort particulier sur le ramassage et la gestion des déchets permettant ainsi de développer des méthodes pour que cela soit fait de façon praticable et non impactante pour le métier
• Ils marquent des captures accidentelles de mammifères marins pour participer à la compréhension de ce phénomène bien compliqué et aux divers projets mis en place pour trouver des moyens pour les limiter.
• Ils déclarent les captures accidentelles d’oiseaux après avoir été formés à leur reconnaissance.
Même si ces mesures peuvent s’avérer chronophages, les pêcheurs partenaires les intègrent au quotidien de leur activité. A ces mesures obligatoires, ils peuvent en ajouter des actions facultatives qu’ils choisissent parmi la liste suivante selon leur capacité à les intégrer :
 caractérisation des déprédations (transfert d’information caractérisant les phénomènes de déprédation, leur contexte selon les demandes des scientifiques),
 mesures concernant le suivi de la population de homards (marquage, prise de mesures…),
 usage et test de filets plus sélectifs,
 marquage d’élasmobranches (raie bouclée et émissole tachetée),
 participation à l’acquisition de connaissances sur les espèces rares et des phénomènes exceptionnels,
 tests sur les moyens de réduire les interactions entre pêche professionnelle et espèces protégées,
 lutte antipollution hydrocarbure,
 test d’antifoulings moins polluants (2022-23),
 test de filets droits biodégradables et recyclables bio-sourcés (2022-23).
Cette liste est évolutive et a été élaborée avec l’équipe du parc, les scientifiques et les professionnels ; le but étant d’apporter des moyens supplémentaires et quotidiens aux divers projets de recherche, d’observation et d’acquisition de connaissances conduits dans le périmètre du PNMI.
Actuellement la nouvelle version de la charte est en cours de signature le but étant d’augmenter le nombre de pêcheurs partenaires et de parfaire le programme pour en faire un modèle réplicable dans les aires marines protégés. Pour la profession, il est certain que les enjeux de ce projet sont importants car la tendance à évincer les professionnels des secteurs protégés est lourde.

Pour des démarches participatives et démocratiques
Les approches participatives et démocratiques du PNMI sont aujourd’hui critiquées par des ONG, des scientifiques, des fonctionnaires européens qui reprochent au Parc de ne pas limiter davantage les activités de pêche ou d’avoir des processus de concertation trop longs. Pourtant si la richesse de la mer d’Iroise, dont l’un des plus grands champs d’algues d’Europe, s’est développée, c’est bien en comptant parmi ses « habitants » des pêcheurs, des goémoniers qui y travaillent depuis des siècles, sans détruire le milieu et en lui laissant son caractère remarquable.

Il est toujours possible d’améliorer certaines pratiques, de mieux protéger certains milieux mais sans remettre en cause la pérennité des activités de pêche. Tout cela se fait dans le respect des droits et des responsabilités des pêcheurs et dans un cadre démocratique qui peut constituer un modèle pour la gestion des territoires marins. [1] Cela prend du temps et ne rentre pas dans les cadres de temporalité fixés par des acteurs éloignés des réalités. Mais la preuve est faite que cela fonctionne, la biodiversité est préservée, le nombre de phoques et de dauphins s’accroit, les langoustes sont de retour. Mais ces réalités ne font pas la une des médias qui préfèrent les solutions simplistes d’interdiction de pêche promues par des acteurs largement financés : de puissantes fondations américaines viennent de mettre 1 milliard de dollars sur la table pour promouvoir les zones sans pêche… [2]

Virginie Lagarde
Juillet 2022

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