Un miraculé par la force de sa volonté
Nicolas Coguen est heureux. Il se prépare à reprendre la pêche avec son nouveau bateau « Drakkar » qu’il vient d’acheter d’occasion à un pêcheur de Belle-Ile.
Une bonne affaire selon lui, 400 000€ pour un bateau vieux de 15 ans avec un moteur récent. Il faut y ajouter 50 000€ de matériel (nasses, filets, casiers, palangres). Nicolas revient de loin car il a dû arrêter la pêche à deux reprises, pendant plusieurs années, suite à de très graves ennuis de santé. À chaque fois, il a dû revendre son bateau ; à force de volonté, il a pu repartir.
Cette fois, il s’est associé avec un autre pêcheur pour accéder aux prêts. Bien d’autres que lui auraient renoncé. Pour l’instant, en cette fin de mois d’août, il prépare ses casiers à poulpes avec un ancien matelot, Raphaël Le Bruchec, interdit de pêche suite à des problèmes de santé. A 7-8€ le kilo, cette pêche est facile et abondante, vendue pour l’essentiel en Espagne, et il faut les pêcher sinon, il n’y aura plus de homards, de langoustes, ni de coquilles Saint-Jacques ; un raisonnement de bon sens. En septembre, il reprendra la pêche avec deux matelots. Pour un fileyeur-caseyeur, il est aujourd’hui plus facile de trouver des matelots qui ne trouvent plus toujours leur compte sur les chalutiers.
Pionnier de la pêche au casier à langoustines
Dans le hangar, repaire de plusieurs pêcheurs de Kerroch, on peut remarquer un stock de casiers à langoustines. Nicolas, en 2003, a été l’un des premiers à se lancer dans la pêche des langoustines au casier ; il a pratiqué cette pêche durant deux ans. Au début, c’était rentable. Il travaillait dans des zones rocheuses proches de Lorient, inaccessibles aux chalutiers, à cette époque. Une fois, il a ramené 90 kg dans des casiers à crabes, et une autre fois 70 kg avec seulement 125 casiers, soit plus de 500 gr par casier. Il s’agissait de grosses langoustines, au prix de vente élevé. Elles ont même atteint 120€ le kg à l’époque de Noël. Généralement le prix était de 20 à 30 % plus élevé que celui des langoustines de chalut, leur tenue est meilleure, et Nicolas ajoute que les langoustines de Bretagne -Sud sont meilleures que celles des autres zones, car leur nourriture est plus variée et plus abondante… Pourtant au bout de 2 ans, il a dû arrêter car ce n’était plus rentable. Les zones où il pêchait étaient devenues accessibles aux chalutiers avec leurs nouveaux sondeurs et leurs diabolos pour aller dans la « casse ». Le seul coin restant était trop restreint, sans compter que parfois les casiers étaient emportés par des chalutiers.
Une cohabitation possible ?
Les zones favorables à la pratique du casier à langoustine sont en rouge sombre.
Pourtant pour Nicolas comme pour les pêcheurs au chalut, la pêche au chalut sur les vasières peut jouer un rôle positif pour développer la nourriture des langoustines. Peut-on donc imaginer des formes de cohabitation entre casiers et chaluts ? C’est ce qui se pratique dans quelques zones côtières d’Ecosse où travaillent près de 300 caseyeurs qui assurent environ 5 % des captures de langoustines. Celles-ci sont exportées, souvent par avion, ce qui n’est guère satisfaisant pour le bilan carbone ! Réserver des zones aux caseyeurs ou changer d’engins suivant les saisons, ces idées ont été brièvement testées en 2011 lors d’une étude de l’AGLIA et du RICEP [1] . Le quartier de Lorient est particulièrement concerné puisque c’est le port où quelques pêcheurs avaient déjà pratiqué le casier. L’étude a été menée avec des essais de pêche au casier à langoustine sur plusieurs types de bateaux. Les résultats sans être totalement défavorables, n’ont pas été très encourageants. En dehors des zones de roches, les captures sont très aléatoires. Le problème principal est celui de la cohabitation sur des espaces tous très occupés, surtout que le casier n’est guère praticable de manière rentable que sur les zones proches de la côte. En 2011, l’étude ne fermait pas complètement la porte à un développement du casier, mais les conditions n’étaient guère réunies.
Vers une recomposition des zones de pêche
Dix ans après ces premiers essais, les conditions sont -elles plus favorables à une relance du casier ?
Aujourd’hui, le contexte est bien différent, avec la hausse du prix du carburant, la rentabilité des chalutiers est plus difficile à assurer ainsi que la rémunération correcte des pêcheurs, surtout pour ceux qui ont une forte consommation (jusqu’à 1800 l par jour). La baisse des revenus fait fuir les matelots et rend difficile le recrutement, des bateaux sont dans le rouge. Pour ceux qui continuent, la rentabilité se fait au prix d’une augmentation des jours de mer. Par ailleurs se profilent des réductions des zones de pêche avec les 10 % de zones de réserves, les menaces d’interdiction des chaluts et dragues dans les AMP (soit près de 50 % des zones côtières bretonnes), le développement des champs éoliens ( 50 prévus sur les côtes françaises). La lutte pour l’espace entre pêcheurs et entre pêcheurs et autres acteurs va se durcir. C’est sans doute le moment de se battre bien sûr pour préserver les droits des pêcheurs, compenser leurs pertes de zones d’activité, ce qui permettra de financer la transition énergétique, mais aussi de redéfinir l’avenir de la pêche en anticipant les évolutions et en veillant à préserver la diversité des pêcheries sans les cantonner exclusivement dans les zones côtières très encombrées.
Créer un cadre démocratique
Pour cela il faut créer un cadre démocratique permettant d’assurer une représentation équitable des pêcheurs, de respecter leurs droits et de débattre avec les autres acteurs de la gestion de l’espace marin. La France a été à l’origine d’une initiative originale pour la gestion des bassins versants avec les comités de bassin. Pourquoi ne prendrait-elle pas une initiative du même genre avec des Parlements de la mer [2] pour la gestion des diverses façades maritimes ? Les pêcheurs ne peuvent pas continuer à recevoir tous les 5 ans des coups de massue qui restreignent sans cesse leurs droits et leurs possibilités d’adaptation face à des changements de plus en plus rapides et brutaux, sans qu’ils aient les moyens d’exprimer et de défendre leurs points de vue. Ils savent qu’ils doivent s’adapter en permanence, mais il faut leur en laisser le temps, les accompagner pour qu’ils renforcent leur organisation. Les solutions sont à construire avec eux.
Alain le Sann
Août 2022