Crise de la pêche artisanale au Sénégal

, par  NIASSE Lamine

La situation de la pêche au Sénégal est marquée ces dernières années par une crise qui perdure entraînant une paupérisation dans les communautés de pêcheurs.

Une pêche artisanale en crise
Cette situation est due à la baisse des captures des différentes unités de pêche, au renchérissement des facteurs de production (bois pour la fabrication des pirogues, moteurs hors-bord avec le monopole d’une société française, filets de pêche, carburant, etc) et à l’absence d’un système de financement adapté. Pour ce dernier poste (carburant), une baisse est intervenue en décembre 2014 pour, dit-on, s’ajuster à la baisse du prix du baril de pétrole sur le plan international. Pourtant cette baisse du baril de pétrole date de plusieurs mois et c’est seulement maintenant que cette mesure est intervenue sous la pression et la grève d’un syndicat des transports. Mais, malgré cette baisse, le prix du carburant pirogue reste encore très élevé et représente plus de 40% des charges d’exploitation des unités de production comme la senne tournante ou les pirogues glacières à marée.

Des relations difficiles avec la Mauritanie
Les pêcheurs artisans de Saint Louis sont restés plus de 6 mois sans le renouvellement du protocole de pêche entre le Sénégal et la Mauritanie. Cette situation a beaucoup pénalisé ces derniers qui ont comme principales zones d’évolution, les eaux mauritaniennes. Finalement, après d’âpres négociations menées par les deux Etats, un accord est intervenu et le protocole a été renouvelé avec une augmentation des licences qui sont passées de 300 à 400 licences pour un tonnage de 50000 tonnes, à raison de 10 euros la tonne. La Mauritanie a exigé un débarquement pour l’approvisionnement de son marché intérieur de 15% du quota. Ce quota est très loin des 300000 tonnes que la Mauritanie a accordé à l’UE, sans compter les quotas des flottes russes, chinoises et autres qui pour l’essentiel vont servir à faire de la farine de poissons. Il s’agira pour les pêcheurs Saint-Louisiens de s’organiser par rotation pour respecter cette clause du protocole à la charge de l’armateur ou propriétaire sénégalais.

Des conflits entre pêcheurs
Des conflits de toutes sortes sont apparus dans le secteur artisan : utilisation de certaines techniques de pêche prohibées dans quelques localités (filets dérivants à Yoff, l’utilisation de pots appâtés avec des déchets pourris pour la capture des poulpes à Yoff, incursion de pêcheurs dans les zones protégées de Ngaparou, de Joal et des îles du Saloum), ce qui souvent occasionne des heurts [1]. A côté de ces conflits entre pêcheurs, il y a eu aussi des conflits entre femmes mareyeuses ou transformatrices et des pêcheurs qui préfèrent écouler leurs productions à des mareyeurs d’usine qui se mènent une rude concurrence pour approvisionner les usines travaillant pour l’exportation.

De plus en plus de pêcheurs migrants

En attente des débarquements à Joal, Photo Lamine Niasse

Les poches de pauvreté dans certaines localités de pêche ont occasionné une migration des pêcheurs vers les localités où ils espèrent un léger mieux pour faire fonctionner leurs unités d’exploitation et faire vivre leurs familles. Les principales zones de migration intérieure restent Mbour, Joal, Kayar, les îles du Saloum et des localités de la Casamance (Kafountine, Diogué, Elinkine, Cap Skiring). Pour cette dernière région (la Casamance), nous assistons même à une migration internationale, en plus de la présence de pêcheurs venant du nord du Sénégal, de la région de Dakar, de la Petite Côte, des Ghanéens, des Guinéens de Conakry, des Sierra Léonais, des Maliens dans le bassin de l’Anambé, au sud est du fleuve Casamance où ils capturent des crevettes. Certains comme les Ghanéens et les Guinéens y séjournent avec femmes et enfants. A côté de ces pêcheurs, des transformateurs et transformatrices de Guinée et du Ghana s’adonnent à l’activité de transformation et contribuent beaucoup à l’approvisionnement des marchés de l’Afrique de l’ouest. Il y a même des Congolais et Camerounais qui s’activent pour la farine de poisson qu’ils envoient dans leurs pays. Cette présence massive de migrants dans les zones de pêche du Sud (Casamance, Guinée-Bissau, Guinée Conakry, Sierra Leone, et Libéria) n’est pas sans conséquence sur le niveau des stocks. De plus, dans cette zone, en dehors des accords que ces différents pays signent avec l’Union Européenne et des pays asiatiques, des bateaux pirates s’adonnent au pillage systématique des ressources halieutiques. Le coût de ces pillages en Afrique est estimé à 1,3 milliards de dollars, sans compter le coût des dégâts liés aux accords de pêche déséquilibrés dûment signés par les autorités de ces pays et qui ne profitent guère aux populations.

Climat et épidémies aggravent la précarité
Dans chacun de ces pays de la sous-région, des plans de développement appelés pompeusement "plans de développement pour l’émergence” sont en cours, alors que les populations s’enfoncent dans une pauvreté extrême. Beaucoup de pays africains se glorifient d’une croissance économique en augmentation et le paradoxe, c’est que les populations laborieuses n’arrivent pas à sortir de cette pauvreté.
Les changements climatiques ont aussi un impact dans l’appauvrissement des zones de pêche et la plupart des espèces migrantes ont changé d’itinéraire et s’éloignent de plus en plus des côtes occasionnant des frais supplémentaires et des risques pour les flottes artisanales qui sont obligées de fréquenter le large avec leurs pirogues en bois. D’ailleurs les naufrages, les disparitions en mer et les décès se multiplient avec une moyenne de 95 décès par an. Saint Louis a été la plus touchée à cause du canal de délestage creusé en 2003 qui a englouti pour une seule année 2013 plus de 100 personnes.
La maladie hémorragique à ”virus Ebola” est apparue dans la zone et a déstabilisé les populations, le commerce transfrontalier et les économies des pays. Les restrictions dans les déplacements avec la fermeture des frontières ont confiné les populations victimes dans leurs pays.
L’impact sur le commerce intrarégional est très lourd et des évaluations sont en cours pour montrer les limites objectives de nos pays en matière de prévention et de dispositifs sanitaires adéquats. Les communautés de pêcheurs de Sierra Leone ont subi beaucoup de pertes en vies humaines et avec les évaluations à venir, l’on pourra voir l’impact réel dans les communautés de pêcheurs des trois pays.

Lamine Niasse
Correspondant du Collectif Pêche & Développement au Sénégal
Janvier 2015

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