L’état des populations de poissons dans les eaux européennes a connu une spectaculaire amélioration les 30 dernières années, particulièrement en Atlantique
Le bilan 2022 confirme la tendance observée en Atlantique depuis 20 ans : une surpêche en diminution et une abondance en augmentation mais la situation est contrastée d’une région à l’autre, avec une amélioration régulière notamment dans la Mer Celtique et dans le Golfe de Gascogne, tandis que la situation en Méditerranée et en Mer Baltique demeure préoccupante.
Le rapport 2022 s’inscrit dans la continuité de la tendance générale observée depuis 20 ans, à savoir une réduction générale du nombre de populations surexploitées et une augmentation globale de la biomasse de poissons recensée.
Des progrès surtout dans le Golfe de Gascogne et en Mer celtique
A la fin des années 1990, 90 % des populations de poissons évaluées dans l’Atlantique nord-est étaient surexploitées et encore près de 80 % dans la première moitié des années 2000. En 2020, ce taux n’était « plus » que de 28 % (et 38% en 2019). Malgré ces progrès, l’objectif fixé par la PCP de 100 % des poissons pêchés issus de populations exploitées durablement en 2020 n’est toujours pas atteint.
Pour la zone Atlantique nord-est, le bilan recense 72 % de populations non surexploitées. La biomasse de poissons est en constante augmentation depuis 2007 et affiche une valeur 33 % plus élevée en 2020 qu’au début des années 2000 pour les populations les mieux suivies ; voire même de +50% en moyenne pour les autres populations moins suivies scientifiquement.
Les scientifiques mettent tout de même en évidence deux points de vigilance en mer Baltique et en mer du nord, où la situation n’est plus à l’amélioration depuis quelques années, à la différence de la zone ibérique, du Golfe de Gascogne et de la Mer Celtique.
En Méditerranée “européenne”, la situation reste encore préoccupante.
Au total, 29 des 34 populations de poissons évaluées dans le rapport restent considérées comme surexploitées, soit 86 %.
L’impact des changements climatiques : menaces sur le plancton
L’augmentation de la température de l’eau conduit à un brassage plus limité entre les couches supérieures et les couches plus profondes de l’océan, cela conduit à une baisse d’abondance du plancton, premier maillon de la chaîne alimentaire marine, et une moindre réoxygénation de l’eau par l’atmosphère. En conséquence, moins de nourriture et moins d’oxygène pour les poissons.
Des études récentes de l’Ifremer ont permis de montrer que la période de ponte chez certaines espèces est modifiée à cause du changement de température et de l’acidification. Des pontes plus précoces ont notamment été observées chez la sole. Ce qui décale le développement des larves par rapport aux efflorescences de plancton dont elles se nourrissent. Des travaux de recherche menés notamment sur le bar à l’Ifremer suggèrent que l’acidification pourrait de plus contribuer à une augmentation du nombre d’œufs produits mais de moindre qualité et à une altération du comportement reproducteur chez les mâles.
La croissance des poissons apparaît également affectée du fait d’une nourriture moins riche et d’une chaîne alimentaire globalement moins efficace. Plusieurs études font état de changements majeurs dans l’abondance des différentes espèces de plancton, avec une tendance à la régression des espèces les plus grandes, souvent les plus nourrissantes. Chez les petits pélagiques (sardines, anchois), les données montrent une diminution de la taille et du poids à l’âge adulte sur les côtes françaises de la Méditerranée : la taille des sardines est passée de 15 à 11 cm en moyenne, leur poids de 30 g à 10 g, et les individus de plus de deux ans ont disparu. Le phénomène est également observé en mer du Nord sur d’autres espèces (hareng et sprat), avec des effets jusqu’aux gros poissons prédateurs placés au sommet de la pyramide alimentaire.
Didier Gascuel, chercheur et professeur à l’Institut Agro, a participé à ce travail avec le modèle Eco Troph qui simule l’abondance des prédateurs et des proies. « Dans le scénario du pire, sans réduction des rejets de gaz à effet de serre, nos résultats montrent qu’en moyenne la baisse des animaux marins pourrait atteindre - 20 % à la fin du siècle, voire - 30 à - 40 % dans certaines zones. Ces évolutions incontrôlées pourraient pousser tout le système à la surpêche et nous entraîner vers une mer appauvrie, en particulier de ses plus gros poissons ».
Le cabillaud voit sa zone d’extension géographique se réduire avec une diminution d’abondance dans ses habitats les plus au sud, d’autres espèces au contraire gagnent du terrain comme le merlu ou le maquereau qu’on trouve désormais couramment autour de l’Islande et en mer de Norvège. Mais au final, le bilan global est négatif et une baisse d’abondance est bien à craindre.
Quelles solutions ?
La première piste consiste à améliorer la sélectivité des engins de pêche.
Les technologies numériques permettent aussi d’envisager des filets intelligents, capables de s’ouvrir ou de se fermer en fonction des espèces ciblées, grâce à l’utilisation combinée de caméras et d’intelligence artificielle.
D’autres possibilités sont étudiées pour réduire l’impact sur les habitats des poissons, par exemple en développant des chaluts qui s’enfoncent moins profondément dans le sédiment, ou en réhabilitant des modes de pêche comme les casiers ou les nasses à poissons.
Deuxième piste : l’analyse et la comparaison de différentes mesures de gestion (par exemple la réduction de l’effort de pêche ou des fermetures spatiales de zones).
La troisième piste consiste à intégrer davantage la dimension écosystémique dans les objectifs de gestion des pêcheries.
En mer d’Irlande, le projet CIEM WKIRISH développe justement cette approche écosystémique. L’un de ses pilotes, David Reid du Marine Institute (Irlande), explique le contexte : « Nous étions confrontés en mer d’Irlande à un effondrement des populations de poissons blancs, ce qui a conduit les représentants de la filière pêche à solliciter l’appui des scientifiques. Nous avons travaillé sur un modèle qui intègre des paramètres environnementaux comme la température et des paramètres sur les interactions alimentaires entre les différentes espèces de la mer d’Irlande, du plancton en passant par le cabillaud, l’églefin ou la sole. Des acteurs et parties prenantes de la filière, des pêcheurs et des ONG, ont contribué au projet ». Les connaissances des pêcheurs ont notamment permis de décrypter le régime alimentaire des principales espèces commerciales. « Pas moins de 50 interactions prédateurs - proies ont ainsi été mises en évidence. La pertinence du modèle et le suivi dans le temps de l’évolution des pêcheries ont été améliorés ».
L’objectif est de mieux comprendre la dynamique des populations dans leur environnement et de déterminer plus finement les niveaux de pêche acceptables dans une perspective de pérennité de la ressource.
Progressivement, de nouveaux modes de gestion plus écosystémiques émergent. Dérèglement climatique, crise de la biodiversité, pollution accrue… Dans le contexte du changement global, les critères de la durabilité eux-mêmes sont pour partie à réinventer.
Quelques remarques complémentaires
L’analyse de ce bilan montre qu’il est possible d’améliorer l’état des ressources en prenant le temps nécessaire pour éviter une déstabilisation trop importante d’une filière fragile en s’appuyant sur les savoirs des pêcheurs. Par ailleurs, les perspectives de nombreuses sorties de flotte, en France, en Irlande font entrevoir une amélioration de la situation des populations mais un effondrement possible des captures et la mise en péril des flottes hauturières ainsi que des ports auxquels elles sont liées.
Des ONGE font pression pour l’interdiction des arts traînants (dragues et chaluts), est-ce indispensable et urgent pour améliorer l’état des ressources ? Si des changements de pratiques sont nécessaires, il faut laisser le temps d’expérimenter et d’adapter. Dans la pêche, les investissements sont lourds et se font sur des décennies. Il faut aussi laisser le temps aux pêcheurs d’initier de nouvelles pratiques. Le métier du chalut n’est pas celui du filet ou du casier.
Enfin dans ce bilan, il manque un élément essentiel : l’analyse de l’impact de la dégradation du plancton et des eaux côtières. La mort de milliers de crabes sur des km de côtes en Angleterre près de l’estuaire de la Tees, suite à la pollution chimique après le dragage de l’estuaire, montre que cet impact est majeur sur l’état des ressources. La flotte de caseyeurs hauturiers bretons va disparaître suite à de fortes mortalités des crabes sans lien avec une quelconque surpêche. Les marées rouges, les zones d’anoxies sont de plus en plus fréquentes entre la baie de Quiberon et l’estuaire de la Loire. Et n’oublions pas les pollutions responsables des interdictions de vente des huîtres, sans oublier les marées vertes…
Alain Le Sann