Il faut un cadre démocratique pour gérer et protéger la mer

, par  LE SANN Alain

Intervention d’Alain Le Sann, coprésident du Collectif Pêche et Développement, à l’occasion de la Journée Mondiale des Pêcheurs, célébrée à Lorient, à l’UBS (Université de Bretagne Sud) le jeudi 24 novembre 2022.

Voir la version en anglais ci-dessous : We need a democratic framework to manage and protect the sea.

Renverser l’approche de la gestion des liens terre-mer
« Aborder le littoral consiste à ne pas l’envisager dans l’unique vision terrestre trop fréquemment répandue mais bien dans une lecture plaçant la mer comme la donnée prioritaire qui influe sur toutes nos actions à terre...Tous nos actes à terre ayant une incidence en mer, c’est bien en partant de la mer que nous devrions les concevoir. [1] »
C’est ainsi que le géographe Yves Lebahy propose de concevoir une nouvelle approche de la protection des océans sur la base d’une gestion territorialisée, adaptée aux réalités locales, dans le cadre de pays maritimes [2]. 80 % des pollutions en mer proviennent de la terre et elles sont souvent invisibles, pourtant l’accent est toujours mis seulement sur la surpêche comme source de la dégradation des océans, alors qu’en Europe et aux USA, cette surpêche est maintenant remise en cause, même si des progrès restent à réaliser et à confirmer. Le prochain plan de casse de dizaines de bateaux côtiers et hauturiers va encore réduire fortement la pression de pêche qui est déjà en phase avec le rendement maximum durable sur la façade atlantique européenne, comme le montre le dernier bilan de l’IFREMER [3]. C’est loin d’être le cas dans le reste du monde.

Des parlements de la mer pour redonner du pouvoir à ceux qui vivent de la mer
Pour que cette priorité maritime soit effective dans les politiques d’aménagement il faut redonner du pouvoir aux hommes et aux femmes qui vivent de la mer, (ostréiculteurs et pêcheurs en premier lieu) pour que leur voix se fasse entendre face à des administrateurs qui, globalement, cherchent à les marginaliser ou à les exclure. C’est ce que pourraient permettre les parlements de la mer [4] . Ils existent dans les Hauts de France et en Méditerranée, pilotés par les Régions. En Bretagne, nous avons la conférence mer-littoral. Mais ces institutions restent consultatives et ne disposent pas de budgets à gérer. Or il faut dépasser le consultatif pour créer de vrais outils de gestion disposant d’autonomie et de budgets à gérer, basés sur des ensembles géographiques cohérents. Cela peut être le Golfe de Gascogne comme l’a montré Laurie Tissière dans sa thèse [5], ou sur la bande côtière, des outils à l’échelle locale comme des pays maritimes ou des parcs marins.

Des expériences existent et sont à généraliser
Il existe des outils démocratiques qui peuvent servir de modèles. Il s’agit par exemple du parc marin d’Iroise, un outil démocratique qui respecte les droits et les responsabilités des pêcheurs comme en témoigne Manu Kelberine, pêcheur et ancien vice-président du parc. Ce parc organise une concertation permanente avec les scientifiques, les élus, les associations environnementalistes, l’Etat. Le parc dispose aussi de la possibilité de se prononcer sur des investissements à terre quand ils constituent une menace pour la qualité des eaux, c’est la procédure d’« avis conforme ». Malheureusement l’Etat ne respecte pas toujours ces avis.
On peut aussi s’appuyer sur l’expérience des GALPA (Groupe d’Action Locale pour la Pêche et l’Aquaculture) en charge de la gestion des fonds européens territorialisés du FEAMPA. Ces groupes sont constitués sur la base de territoires cohérents.

Des financements peuvent être trouvés
Imaginons maintenant que, sur le modèle des agences de bassins et des commissions locales de l’eau qui gèrent les SAGE, ces parlements de l’eau pour les eaux continentales, on institue des parlements de la mer disposant de fonds et de moyens pour imposer à terre des politiques d’aménagement protectrices des eaux littorales et soutenir en mer les politiques de gestion et de protection des ressources. Ces Parlements peuvent être financés par les taxes sur l’eau perçues dans les communes littorales ou par une part des taxes perçues par les agences de bassin. Il est en effet normal que ces taxes ne servent pas seulement à la protection des eaux douces en amont mais soient également utilisées pour la protection des eaux marines. On sait que l’été, les eaux marines au débouché de la Loire sont touchées par des marées rouges dont les origines sont liées à la dégradation des eaux fluviales. Pêcheurs et conchyliculteurs en subissent les conséquences mais n’ont guère de moyens à leur disposition pour alerter et encore moins prévenir ces pollutions. Un outil de dialogue permanent disposant de fonds conséquents, donnerait un réel pouvoir à ceux qui dépendent directement de la qualité des eaux marines. A ces taxes pourraient s’ajouter les ressources issues des champs éoliens, des extractions de sable, etc. Ainsi les pêcheurs disposeraient de moyens pour mettre en œuvre la transition écologique, financer des arrêts biologiques, des formations, des recherches en collaboration avec les scientifiques, etc. L’État continuerait bien sûr à exercer ses pouvoirs régaliens comme il le fait sur les Parcs marins.

On mettrait ainsi en œuvre le véritable renversement des approches de la protection des mers et des littoraux sur une base démocratique pour que « le gouvernement des hommes » remplace « l’administration des choses par des instances de gouvernance néolibérales comme l’Union Européenne ou les grandes institutions internationales » (Stéphane Rozès). Une Union Européenne indispensable mais renouvelée, on peut rêver ...

Alain le Sann
Intervention à la Journée Mondiale des Pêcheurs ; UBS Lorient
Lorient, le 24 novembre 2022

We need a democratic framework to manage and protect the sea

Reversing the approach to the management of land-sea links
"Approaching the coastline means not considering it from the sole terrestrial viewpoint, which is all too common, but from a viewpoint that places the sea as the priority factor influencing all our actions on land... All our actions on land have an impact on the sea, and we should therefore consider them from the sea’s perspective. [6] "
This is how the geographer Yves Lebahy proposes to design a new approach to protecting the oceans based on territorialized management, adapted to local realities, within the framework of maritime counties [7]. The fact is that 80% of pollution at sea comes from land and is often invisible, yet the emphasis is still placed solely on overfishing as the source of the degradation of the oceans, even though in Europe and the USA, this overfishing has now been called into question, even if progress has yet to be made and confirmed. The forthcoming plan to scrap dozens of inshore and offshore vessels will further reduce fishing pressure, which is already in line with the maximum sustainable yield on the European Atlantic coast, as shown by the latest IFREMER report. This is far from being the case in the rest of the world.

Parliaments of the sea to empower those who live from the sea
For this maritime priority to be effective in planning policies, it is necessary to give power back to the men and women who live from the sea (oyster farmers and fishermen first and foremost) so that their voices can be heard in the face of managers who, on the whole, seek to marginalise or exclude them. This is what the parliaments of the sea [8] could allow. They exist in the Hauts de France and the Mediterranean, led by the Regions. In Brittany, we have the Sea-Littoral Conference. But these institutions remain consultative and do not have budgets to manage. We need to go beyond the consultative stage and create real autonomous management tools with their own budgets to manage, based on coherent geographical areas. This could be the Bay of Biscay, as shown by Laurie Tissière in her thesis [9], or on the coastal zone, tools on a local scale such as maritime counties or marine parks.

Experiences exist and should be generalised
There are democratic tools that can serve as models. One example is the Iroise Marine Park, a democratic tool that respects the rights and responsibilities of fishermen, as Manu Kelberine, a fisherman and former vice-president of the park, testifies. This park organises permanent consultation beetween fishers and scientists, elected representatives, environmental associations and the State. The park also has the possibility of giving its opinion on investments on land when they pose a threat to the quality of the water, this is the " consent " procedure. Unfortunately the State does not always respect these opinions.
We can also draw on the experience of the GALPAs (Local Action Groups for Fisheries and Aquaculture) in charge of managing the European FEAMPA territorial funds. These groups are formed on the basis of coherent territories.

Funding can be found
Let us now imagine that, on the model of the river basin agencies and the local water commissions that manage the SAGEs, these water parliaments for continental waters, we set up parliaments of the sea with funds and means to impose on land, development policies that protect coastal waters and support policies for the management and protection of resources at sea. These Parliaments can be financed by the water taxes collected in coastal municipalities or by a share of the taxes collected by the river basin agencies. It is indeed normal that these taxes are not only used for the protection of fresh waters upstream but also for the protection of marine waters. We know that in summer, the marine waters at the mouth of the Loire are affected by red tides, the origins of which are linked to the degradation of river water. Fishermen and shellfish farmers suffer the consequences but have hardly any means at their disposal to alert and even less to prevent this pollution. A permanent dialogue tool with substantial funds would give real power to those who depend directly on the quality of marine waters. To these taxes could be added the resources from wind farms, sand extraction, etc. In this way, fishermen would have the means to implement the ecological transition, finance biological closures, training, research in collaboration with scientists, etc. The State would of course continue to exercise its sovereign powers as it does over the Marine Parks.

In this way, a genuine reversal of approaches to the protection of the seas and coasts would be implemented on a democratic basis so that "the government of the people" would replace « the administration of things » by neoliberal governance bodies such as the European Union or the major international institutions" (Stéphane Rozès). We can dream of a European Union that is indispensable but renewed ...

Alain le Sann
Lorient
November 24th 2022

[1Yves Lebahy. In Bretagne : un autre littoral, éd Apogée, Rennes, 2009, 140 p.

[2Yves Lebahy(dir). Le pays maritime, un espace projet original, Presses universitaires de Rennes, 2001, 141p.

[4Déclaration du Collectif pêche et développement. https://peche-dev.org/spip.php?article417 Juin 2022.

[5Laurie Tissière. Espaces, temps et acteurs de la démocratie environnementale. Analyse à partir d’une géoprospective des pêches maritimes du golfe de Gascogne (France). Thèse de géographie, IGARUN-Nantes. 2018. 320p.

[6Yves Lebahy. In Bretagne : un autre littoral, éd Apogée, Rennes, 2009, 140 p.

[7Yves Lebahy(dir). Le pays maritime, un espace projet original, Presses universitaires de Rennes, 2001, 141p.

[8Déclaration du Collectif pêche et développement. https://peche-dev.org/spip.php?article417 Juin 2022.

[9Laurie Tissière. Espaces, temps et acteurs de la démocratie environnementale. Analyse à partir d’une géoprospective des pêches maritimes du golfe de Gascogne (France). Thèse de géographie, IGARUN-Nantes. 2018. 320p.

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