Renverser l’approche de la gestion des liens terre-mer
« Aborder le littoral consiste à ne pas l’envisager dans l’unique vision terrestre trop fréquemment répandue mais bien dans une lecture plaçant la mer comme la donnée prioritaire qui influe sur toutes nos actions à terre...Tous nos actes à terre ayant une incidence en mer, c’est bien en partant de la mer que nous devrions les concevoir. [1] »
C’est ainsi que le géographe Yves Lebahy propose de concevoir une nouvelle approche de la protection des océans sur la base d’une gestion territorialisée, adaptée aux réalités locales, dans le cadre de pays maritimes [2]. 80 % des pollutions en mer proviennent de la terre et elles sont souvent invisibles, pourtant l’accent est toujours mis seulement sur la surpêche comme source de la dégradation des océans, alors qu’en Europe et aux USA, cette surpêche est maintenant remise en cause, même si des progrès restent à réaliser et à confirmer. Le prochain plan de casse de dizaines de bateaux côtiers et hauturiers va encore réduire fortement la pression de pêche qui est déjà en phase avec le rendement maximum durable sur la façade atlantique européenne, comme le montre le dernier bilan de l’IFREMER [3]. C’est loin d’être le cas dans le reste du monde.
Des parlements de la mer pour redonner du pouvoir à ceux qui vivent de la mer
Pour que cette priorité maritime soit effective dans les politiques d’aménagement il faut redonner du pouvoir aux hommes et aux femmes qui vivent de la mer, (ostréiculteurs et pêcheurs en premier lieu) pour que leur voix se fasse entendre face à des administrateurs qui, globalement, cherchent à les marginaliser ou à les exclure. C’est ce que pourraient permettre les parlements de la mer [4] . Ils existent dans les Hauts de France et en Méditerranée, pilotés par les Régions. En Bretagne, nous avons la conférence mer-littoral. Mais ces institutions restent consultatives et ne disposent pas de budgets à gérer. Or il faut dépasser le consultatif pour créer de vrais outils de gestion disposant d’autonomie et de budgets à gérer, basés sur des ensembles géographiques cohérents. Cela peut être le Golfe de Gascogne comme l’a montré Laurie Tissière dans sa thèse [5], ou sur la bande côtière, des outils à l’échelle locale comme des pays maritimes ou des parcs marins.
Des expériences existent et sont à généraliser
Il existe des outils démocratiques qui peuvent servir de modèles. Il s’agit par exemple du parc marin d’Iroise, un outil démocratique qui respecte les droits et les responsabilités des pêcheurs comme en témoigne Manu Kelberine, pêcheur et ancien vice-président du parc. Ce parc organise une concertation permanente avec les scientifiques, les élus, les associations environnementalistes, l’Etat. Le parc dispose aussi de la possibilité de se prononcer sur des investissements à terre quand ils constituent une menace pour la qualité des eaux, c’est la procédure d’« avis conforme ». Malheureusement l’Etat ne respecte pas toujours ces avis.
On peut aussi s’appuyer sur l’expérience des GALPA (Groupe d’Action Locale pour la Pêche et l’Aquaculture) en charge de la gestion des fonds européens territorialisés du FEAMPA. Ces groupes sont constitués sur la base de territoires cohérents.
Des financements peuvent être trouvés
Imaginons maintenant que, sur le modèle des agences de bassins et des commissions locales de l’eau qui gèrent les SAGE, ces parlements de l’eau pour les eaux continentales, on institue des parlements de la mer disposant de fonds et de moyens pour imposer à terre des politiques d’aménagement protectrices des eaux littorales et soutenir en mer les politiques de gestion et de protection des ressources. Ces Parlements peuvent être financés par les taxes sur l’eau perçues dans les communes littorales ou par une part des taxes perçues par les agences de bassin. Il est en effet normal que ces taxes ne servent pas seulement à la protection des eaux douces en amont mais soient également utilisées pour la protection des eaux marines. On sait que l’été, les eaux marines au débouché de la Loire sont touchées par des marées rouges dont les origines sont liées à la dégradation des eaux fluviales. Pêcheurs et conchyliculteurs en subissent les conséquences mais n’ont guère de moyens à leur disposition pour alerter et encore moins prévenir ces pollutions. Un outil de dialogue permanent disposant de fonds conséquents, donnerait un réel pouvoir à ceux qui dépendent directement de la qualité des eaux marines. A ces taxes pourraient s’ajouter les ressources issues des champs éoliens, des extractions de sable, etc. Ainsi les pêcheurs disposeraient de moyens pour mettre en œuvre la transition écologique, financer des arrêts biologiques, des formations, des recherches en collaboration avec les scientifiques, etc. L’État continuerait bien sûr à exercer ses pouvoirs régaliens comme il le fait sur les Parcs marins.
On mettrait ainsi en œuvre le véritable renversement des approches de la protection des mers et des littoraux sur une base démocratique pour que « le gouvernement des hommes » remplace « l’administration des choses par des instances de gouvernance néolibérales comme l’Union Européenne ou les grandes institutions internationales » (Stéphane Rozès). Une Union Européenne indispensable mais renouvelée, on peut rêver ...
Alain le Sann
Intervention à la Journée Mondiale des Pêcheurs ; UBS Lorient
Lorient, le 24 novembre 2022