Nous réclamons plus de démocratie environnementale Journée Mondiale des pêcheurs, UBS le 21/11/2022

, par  L’HOSTIS, Denez

Intervention de Denez L’Hostis, président d’honneur de France Nature Environnement (FNE).
Dans le document qui m’a été adressé concernant la problématique de la journée, je mets en avant trois points :
 « La mer, un défi démocratique »
 « La nécessité d’un lieu de discussion permanent »
 « Un processus d’exclusion des pêcheurs avec un point d’interrogation »
Pour ce qui concerne mon intervention, je ne m’en tiendrai qu’au cadre européen et plus spécifiquement français métropolitain.

Première constatation :

Les enjeux démocratiques sont réels et en France, nous manquons, malgré une directive européenne, d’un cadre clair transparent et partagé (et j’y reviens longuement plus tard). Pour nous notamment, à FNE, nous réclamons plus de démocratie environnementale et le Projet de loi « Accélération des énergies renouvelables » est à nouveau un recul en la matière.

Sur le deuxième point, c’est une vieille revendication à FNE que d’avoir une plateforme d’échange permanente entre ONGE/APNE (Associations de protection de la nature et de l’environnement) et professionnels de la pêche (au plan régional et national) : j’ai pu faire valoir cette demande au sein de France Agrimer et c’est France Filière Pêche qui a pris le relais, notamment financièrement en créant un espace de trilogue entre ONGE, Scientifiques et Filière Pêche pour une approche conjointe d’une pêche durable. Après trois ans, ce processus est encalminé.

La planification spatiale marine

La Directive Cadre pour la Planification de l’Espace Maritime (DCPEM) a été adoptée par l’Union Européenne le 23 juillet 2014. Elle établit un cadre pour la planification des activités maritimes et la gestion intégrée des zones côtières de l’espace européen. Elle attend des États membres qu’ils assurent une coordination des différentes activités humaines et usages en mer, pour atteindre des objectifs d’ordre écologique, économique et social.
Cette Directive a dû être transposée par les États membres dans leur législation nationale. La France a fait le choix de répondre à ses obligations par le biais d’un seul document par façade maritime : le Document Stratégique de Façade (DSF). Les différents DSF, qui respectent les obligations liées à la Directive Cadre Stratégie pour le milieu Marin (DCSMM) visant le maintien d’un bon état écologique des milieux marins (BEE), représentent un outil de mise en œuvre de l’indispensable gestion intégrée de la mer et du littoral. Pour rappel, le BEE qui devait être atteint en 2020 ne l’a pas été, la prochaine échéance de 2026 ne le permettra pas non plus. C’est aussi dans ce cadre environnemental qu’il faut apprécier les enjeux de la coexistence en mer de différentes activités, notamment au travers de l’analyse des effets cumulés des impacts des activités existantes et à venir.
Pour ce faire, les États membres doivent tenir compte des aspects économiques, sociaux et environnementaux en appliquant une approche fondée sur les écosystèmes et pour promouvoir la coexistence des activités et usages pertinents.

Le retard français

Les objectifs de la planification de l’espace maritime sont les suivants (article 5-2 de la DCPEM) : les États membres visent à contribuer au développement durable des secteurs énergétiques en mer, du transport maritime, et des secteurs de la pêche et de l’aquaculture, ainsi qu’à la préservation, à la protection et à l’amélioration de l’environnement, y compris à la résilience aux incidences du changement climatique. En outre, les États membres peuvent poursuivre d’autres objectifs tels que la promotion du tourisme durable et l’extraction durable des matières premières.
Le phénomène de développement de nouveaux acteurs est généralisé et en France, nous n’en sommes qu’à ses balbutiements et la France est très en retard par rapport à la plupart des pays maritimes européens tant sur le fond que sur la méthode permettant cette coexistence.

Alors que le cadre existait depuis 2010 pour planifier ce développement à travers les « documents stratégiques de façade » (DSF), le premier cycle de l’élaboration de ces documents n’a été lancé que tardivement, et les DSF n’ont pas été développés dans une perspective de planification prescriptive et opérationnelle. Ainsi, si des « zones favorables » ont été identifiées pour l’éolien en mer dans ces DSF, leur détermination géographique est restée imprécise et aucun objectif ni de puissance installée, ni de surface n’y a été clairement inscrit.

Parcs éoliens : à marche forcée

L’Etat a donc entrepris, un peu à marche forcée et dans l’urgence, de rattraper ce retard, à travers des appels d’offres pour développer des parcs éoliens fixes ou flottants dans des « macrozones » ciblées, pour des puissances installées fixées
Les associations de protection de la nature et de l’environnement (APNE) soutiennent l’éolien en mer à condition que son développement n’ait pas pour conséquence l’érosion accélérée d’un environnement marin et littoral déjà très menacé par les activités humaines et le dérèglement climatique. Elles estiment notamment que l’urgence invoquée par l’Etat et qui justifie un développement « au pas de charge » s’explique par la prise de décisions tardives de la France. Il serait paradoxal que les efforts d’atténuation du changement climatique omettent l’érosion massive de la biodiversité et y contribuent de ce fait.
L’analyse des « risques d’effet » qui semble désormais conduite pour chaque zone soumise à concertation ne répond ni aux besoins (qui sont d’évaluer les impacts des effets des projets sur les enjeux identifiés), ni aux exigences réglementaires, et ne peut absolument pas tenir lieu d’évaluation environnementale au sens de la réglementation
On rappelle qu’en matière d’approche ERC (Eviter, Réduire, Compenser) pour les parcs éoliens en mer, les mesures de Réduction sont assez limitées, et les mesures de Compensation très incertaines : c’est donc sur le volet « Evitement » que repose pour l’essentiel la maîtrise des impacts des projets, et dans ce contexte le choix judicieux de la localisation du parc est une étape majeure.
Au bilan, les « macrozones » ciblées pour le développement de parcs éoliens ont tendance à se concentrer dans les zones jugées non prioritaires par les usagers existants (et en premier lieu les pêcheurs), ou même dans les aires marines protégées, et sans même qu’aient été évaluées auparavant les incidences potentielles sur les enjeux de protection ou de conservation correspondants (NATURA 2000) ou les conséquences pour les activités qui s’y exercent déjà (PNM)
Dans bon nombre de zones maritimes, le Bon Etat Ecologique au sens de la DCSMM n’est pas atteint, alors même qu’aucun parc éolien n’y est même programmé ; ceci montre l’importance de l’impact des activités humaines existantes, et la nécessité de les prendre en compte lors du choix des zones, et ce au niveau du DSF (planification de toutes les activités) et non de la seule planification des parcs éoliens.

Faute d’avoir conduit cette évaluation environnementale intégrée (prescrite réglementairement à l’échelle du DSF), on s’expose :
 Soit à devoir interdire la dernière activité arrivée (le projet éolien), les mesures ERC qui lui sont imposées ne suffisant pas à garantir le respect du BEE ;
 Soit à autoriser un projet dont les impacts cumulés avec ceux des activités existantes contribueront à empêcher l’atteinte du BEE.

Jusqu’à aujourd’hui, le développement des parcs a été lancé au coup par coup, sans vision claire des objectifs à long terme ni du calendrier et du zonage correspondants. Cette approche ne présente que des inconvénients, qu’il s’agisse de minimiser les impacts environnementaux, d’optimiser techniquement et économiquement le développement, et enfin de gagner l’acceptation/acceptabilité du public et des autres usagers de la mer.
Ainsi, faute de vision à long terme, il n’est pas possible à l’opérateur du réseau de transport d’anticiper et de développer des infrastructures terrestres et marines mutualisées (réseau électriques sous-marins, raccordements, réseau électrique terrestre…). Les coûteuses campagnes (géophysiques, géotechniques) ne peuvent être mutualisées. Il n’est pas non plus possible d’évaluer et de traiter efficacement (c’est-à-dire à l’échelle de la planification) les impacts cumulés des parcs successifs (effet barrière, etc.). Enfin, chaque nouveau projet soulève une nouvelle vague d’oppositions ou de réticences, renforcée par l’opacité des objectifs à long terme (puissance, zonage, calendrier).

Du point de vue des associations de protection de la nature et de l’environnement (APNE) cette approche n’est pas satisfaisante, à plusieurs titres :

  • On se prive ainsi des possibilités de mutualisation des études environnementales
  • On ne peut pas conduire assez tôt les études nécessaires pour évaluer des impacts qui risquent de se révéler plus tard dans le programme (par exemple, les impacts cumulés des parcs éoliens entre eux : effet barrière pour les migrations, pertes d’habitats pour des espèces, etc.)

Le schéma de décision qu’il est souhaitable de viser à terme est représenté sur la figure ci-dessous : il vise à passer systématiquement par la planification maritime intégrée (DSF) pour atteindre les objectifs de la PPE, et au-delà de la politique énergétique nationale, en matière d’éolien en mer.
Ce schéma ne pourra être complètement mis en œuvre qu’à partir du prochain cycle de DSF. Les recommandations formulées ci-dessous visent à préparer cette convergence tout en améliorant dès que possible le processus actuel

Les pressions d’origine terrestre sur le milieu marin ne sont pas suffisamment connues ou prises en compte, alors que leurs impacts se cumulent avec ceux des activités maritimes (rejets en mer, notamment ceux liés aux activités industrielles et agricoles et à l’urbanisation et aux activités littorales)
Une bonne partie de ces frustrations est due à l’opacité du traitement par le maître d’ouvrage des résultats de la concertation, et du processus de décision.
Il nous faut repenser la fiscalité maritime pour qu’elle favorise en priorité le E et le R et fixer des taux minimums de compensation qui soient dissuasifs.

Mise en place de Zones de Protection Fortes (ZPF)

A quoi peut servir la planification en merLa planification maritime est par ex. pour nous la méthode pour :

  • Pouvoir tenir le cap fixé pour l’éolien en mer, pouvoir projeter : 18GW à 2035, 40GW à 2050
  • Redresser la barre, par rapport à des objectifs qui dérapent sans cesse : 480MW installés aujourd’hui, quand la PPE 2009 visait 6 000 MW à 2020
  • La concertation, car il est essentiel de concilier les usages, (ex. Fécamp : en mettant autour de la table tous les acteurs concernés par le futur parc un consensus a été obtenu sur ce projet dès 2009)
  • L’opérationnel, car les conclusions doivent être un zonage « prêt à appel d’offres », pas un zonage flou nécessitant quantité d’arbitrages et débats supplémentaires (les zones à vocation des précédents DSF ont beaucoup pesé dans les retards pris dans les différents appels d’offres)
  • Rythmer la démarche car aujourd’hui après, les procédures en cours, il n’y a plus de nouvelle zone de projets : 18GW à 2035 cela signifie 10GW attribués dans la prochaine Programmation Pluriannuelle de l’Energie, soit d’ici 2027. Ce qui reste un objectif réaliste pour un pays qui a le plus grand linéaire de côte en Europe : l’Allemagne vise 30GW à 2030 et le UK 50GW).

L’État va lancer 2GW d’appels d’offres par an pour que 20 GW soient attribués d’ici 2030. (Berville, Intervention aux Assises de l’économie de la mer, à Lille, le 8 novembre 2022)

Nous souhaitons que les localisations des parcs soient connues à l’été 2024, ce qui permet d’éviter toute période de creux dans les appels d’offres.

  • S’appuyer sur une évaluation environnementale stratégique préalable (enjeux environnementaux et activités humaines) ;
  • Offrir une vision globale du développement envisagé à l’ensemble des acteurs, intégrant tant un cadrage national qu’une déclinaison à l’échelle des façades.
  • Identifier précisément les zones propices au lancement d’appels d’offres pour les prochaines PPE (2024-2028 et 2029-2033), en indiquant aussi le potentiel de long terme (2034-2050). Cette planification sera engageante pour l’avenir et révisable régulièrement comme les DSF.
  • Aboutir d’ici mi-2024 au plus tard, préalablement à l’adoption de la PPE, suite à un débat public national possiblement mutualisé avec la révision des DSF.

Un Débat Public par DSF est indispensable pour garantir une vraie planification partagée, ancrer le processus d’Evaluation Environnementale Stratégique des DSF comme Plan/Programme, privilégier le E de la séquence ERC
Il est également indispensable de prévoir des procédures accélérées pour les projets dès lors que la phase de planification aurait été bien traitée. Mais en raison de la granulométrie du DSF, on ne peut pas se dispenser d’une concertation de qualité sur les projets qui sont d’ampleur dans le cas de l’éolien offshore.

Les pêcheurs devraient éviter un positionnement victimiste, contre-productif et insuffisamment pertinent.
Si l’on prend le dossier du développement de l’éolien en mer ou des EMR en général, la surface du parc éolien de Saint Nazaire est de : 78 km2. Si l’on envisage cinq parcs en zone NAMO, cela ferait 390 km2. Soit mois de 0.30 % de la zone NAMO (145000km²) !

Quelles pistes ?
Michel Adrien : « On peut être pour ou contre les éoliennes offshore, la question ne se pose plus. [1] » La légitimité de la place des pêcheurs et de leurs représentants dans le débat est acquise.

[1Michel Adrien. Les marins pêcheurs face aux éoliennes en mer, partager la mer. éd L’Etrave. 2022. 122 p.

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