Deux frises historiques pour le prix d’une

, par  CHEVER, René Pierre

A la fin du mois de décembre 22, regardant la frise historique réalisée par Antoine Fry en 2012, alors qu’il était stagiaire au Comité Local des Pêches Maritimes et des Élevages Marin du Guilvinec (CLPMEM), je me suis dit, qu’il serait utile de compléter son travail maintenant qu’une décennie s’était écoulée et que c’était dans mes cordes, si je réactivais les liens que j’avais quelque peu délaissés. Je me suis mis à la tâche début janvier 23.

Frise d’Antoine Fry

J’ai décidé d’interviewer une vingtaine de personnes, essentiellement de Cornouaille car le travail d’Antoine était basé sur le CLPMEM GV de 1946 à 2012 et je voulais que les deux frises puissent se lire facilement l’une derrière l’autre. J’ai mis, comme lui en abscisse le temps qui s’était passé de 2012 à 2023, puis en ordonnée les strates d’observation : local, départemental et régional, national, européen et mondial. La seule différence c’est que j’ai rajouté le plan départemental et régional qui s’est densifié après la loi de modernisation de la pêche maritime de 2010. Après avoir recueilli vingt-deux témoignages pendant le mois de janvier et début février, je les ai réécrits en faisant ressortir deux choses : le contexte (qui parle, au nom de qui) et les idées essentielles exprimées sur la décennie passée. Ensuite, j’ai extrait les "balises" potentielles que je pourrai utiliser dans la frise à venir. Au final, j’en ai récolté plus de soixante-dix. Peu familier des logiciels de géomatique, je me suis rabattu sur le bon vieux Power Point que tout le monde connaît. Ainsi, jusqu’à la fin février j’ai pu construire cette frise historique s’étalant de 2012 à 2022, qui permet de voir sur une seule page les événements, petits ou grands, que l’on a pu vivre, observer, ressentir ou constater si l’on habite en Cornouaille et que l’on est peu ou prou concerné par le domaine de la pêche maritime.

(ouvrir le PDF ci-joint)

Frise historique René Pierre Chever

Que peut-on dire à partir de ces deux frises historiques ?

1. La filière de la pêche maritime a connu un décollage fracassant et une indéniable prospérité après la seconde guerre mondiale jusqu’en 1993. Ce furent les quarante glorieuses de la pêche cornouaillaise et bigoudène. Cette période faste fut suivie par une période de crises chroniques telles que la crise des importations en 93-94 et la crise du carburant en 2008. La dernière décennie est caractérisée par une aggravation de la situation d’abord sur le plan de l’énergie qui atteint le sommet d’un euro le litre, (en 2008 on faisait grève alors qu’il était à 0,40€) et sur le plan des conditions d’exploitation qui se restreignent d’année en année.
2. Si la période d’avant 2010 était soumise à des problèmes liés directement à l’activité pêche (importations massives, surexploitation des stocks), le dernier cycle a été impacté par des événements décidés hors du secteur pêche proprement dit : planification stratégique maritime, champs éoliens, aires marines protégées, prix du carburant, Brexit.
3. La survie du chalutage hauturier et même côtier est pour la première fois clairement posée. La Cornouaille qui a depuis des décennies basé le développement de la pêche sur les arts traînants paye cher, désormais, cette mono activité grevée par l’envolée mondiale du prix du baril de pétrole (d’autres territoires maritimes pratiquant le filet sont beaucoup moins touchés).
4. La dernière décennie a connu une amélioration globale des stocks ayant atteint le rendement maximum durable, mais aussi des phénomènes inattendus comme le prodigieux retour de la langouste rouge grâce à des mesures de gestion drastiques, l’invasion des poulpes aidée par des conditions climatiques optimales, la décimation des crabes tourteaux à cause d’une maladie et la chute du stock de lieu jaune en Manche en raison d’une surpêche musclée.
5. L’abandon progressif de la Mer Celtique, qui avait été le socle du développement depuis les années 50, est le résultat de la diminution continue du nombre de navires hauturiers dans les ports de la région (Douarnenez, Saint-Guénolé, Guilvinec, Loctudy, Concarneau). Dans le même temps la flottille de canots s’est fortement développée avec des unités très performantes, mettant du coup les ressources côtières sous tension.
6. On aurait pu penser que les activités de culture du vivant (coquillages, algues, poissons), sous différentes formes, se seraient développées en pleine mer. S’il y a bien quelques pionniers sur zone (Lesconil et Moëlan-sur-mer), c’est encore une activité en devenir.
7. Il apparaît très clairement que le secteur a besoin d’une vision à moyen terme dans les domaines de la gestion des stocks, de l’halioécologie, de la valorisation des produits, de l’énergie, et plus globalement de la place de la pêche dans une société européenne moderne. Faute d’en avoir une et de l’imposer aux décideurs à tous les niveaux évoqués dans la frise de la décennie passée, la physionomie des ports risque de changer profondément dans la décennie à venir. Rendez-vous en 2033.
8. Je rajouterais en conclusion que les pêcheurs ne peuvent être uniquement sur des positions défensives mais doivent faire des propositions pour répondre aux défis et être entendus. Cela nécessite du temps, une méthode et du travail collectif, au-delà des coups de gueule nécessaires et qui font du bien. Le chantier est vaste car il faut répondre au niveau de la bande côtière et sur la gestion de la ZEE dans son cadre européenne aux changements profonds qui concerne la planète

René-Pierre Chever, Loctudy mars 2023

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