C’était un nouveau canot qui arrivait dans le port en provenance de Port en Bessin où il était stocké après avoir fait une première carrière de ligneur dans le Raz de Sein.
Dernier arrivé, mais âgé d’un an de moins que son propriétaire de 43 ans. La joie était sincère. La proue mousseuse orientée vers l’ouest dirigeait les regards vers le plan d’eau miroitant sous la lumière du soleil couchant. L’observateur était saisi devant le port du Guilvinec vide. Les derniers hauturiers étaient en mer, les navires côtiers pourtant rentrés avant 18 heures étaient si peu nombreux, dispersés rive gauche et rive droite, qu’ils n’arrêtaient plus le regard. La mer était libre dans le port, jusqu’aux Étocs , vaste ceinture de rochers protégeant l’entrée du port de Kérity et du Guilvinec, désormais réservée aux phoques. Le voisin de l’"Enfant de la houle" était le "Soizen", qui offrait sur un écriteau des promenades de pêche en dérive, à la mitraillette ou avec appâts selon la saison, permettant d’attraper maquereaux, tacauds, vieilles, lieus jaunes, réservant de belles surprises en mer grâce aux dauphins, le capitaine apportant tous les conseils nécessaires aux débutants. La poupe de L’"Enfant de la houle" donnait vers l’Est, sur le port de plaisance, plein comme un œuf, jusqu’au vieux pont permettant le passage entre Guilvinec et Léchiagat.
La bouteille de champagne
éclate comme une vague à la proue du bateau
Presque plus de bateaux hauturiers, moins de côtiers, trop de canots en mer côtière, les pêcheurs professionnels seraient en voie de disparition alors que les pêcheurs plaisanciers avec leur pêche promenade seraient en expansion ? Sous ces auspices, qui pour plus d’un auraient pu être fâcheux, Pierre-Marie levait son verre avec ses amis, serein et déterminé. Il ne semblait même pas lutter contre cette nostalgie d’un passé récent qu’il est de bon ton d’avoir, tant le souvenir d’un port où l’on pouvait aller d’une rive à l’autre par mauvais temps en sautant de bateau de pêche en bateau de pêche était encore incrusté au fer rouge dans les esprits. Il était tout à son projet, qui s’inscrivait aussi autour de celui de sa mère, Scarlette le Corre qui dirige l’entreprise "Mer et saveurs" et d’Estelle son épouse qui y travaille. Son père, ancien chef mécanicien à bord des 24 mètres du Guilvinec, ne pouvant rester sans rien faire, tressait des épissures en observant autour de lui, son frère Alexandre, propriétaire embarqué à bord du canot "Uki", basé à Lesconil, faisait des commentaires sur la pêche du jour. Regardant cet homme, désormais lui aussi patron propriétaire embarqué, tranquille comme baptiste, je me suis dit qu’il fallait essayer de comprendre. Je lui ai donc demandé une interview et il m’a reçu chez lui à deux pas de la chapelle de Saint-Quido à Larvor.
Pierre-Marie a eu plusieurs vies toujours liées à la mer. D’abord il est issu d’une famille de marins. Il est l’un des fils de Scarlette et Jean-Pierre Le Corre, l’un comme l’autre ont toujours tiré leur gagne-pain de la mer et n’ont jamais arrêté sinon pour des questions de santé.
Scarlette est même devenue une icône des produits alimentaires à base de poisson et d’algues. Elle est mondialement connue. Jean-Pierre a été une valeur sûre dans tous les bateaux hauturiers dans lesquels il a embarqué. Son frère Alexandre est un des meilleurs canots de la côte. Sa sœur Lætitia, ancienne stagiaire du Comité Local des Pêches Maritimes et des Élevages Marins du Guilvinec a aussi ses brevets maritimes.
L’hérédité peut aider, mais ne suffit jamais. Pierre-Marie vient de se marier et se trouve responsable d’une famille de quatre personnes. "Ça c’est ma motivation principale. Avec ma femme, je dois gagner de quoi subvenir aux besoins d’une famille, en ne m’absentant pas trop longtemps et en faisant ce que je sais faire de mieux : pêcher à la ligne. Mon projet est raisonné, j’aspire à une certaine simplicité, à de la sobriété énergétique en dirigeant ma pêche vers les espèces nobles. Je ne suis pas un goéland né de la dernière tempête".
Pierre-Marie sur l’Enfant de la houle
En effet, Pierre-Marie a été récemment lieutenant à la Compagnie Française du Thon Océanique sur un navire chargé des Dispositifs de Concentration du Poisson (DCP) où il effectuait des remplacements, avant il avait été sur un "sufer" transporteur d’équipage au Congo-Brazaville et lorsqu’ils déplaçait les personnels à 20-30 nœuds entre la base à terre et le sites pétrolier offshore, ou entre les plateformes, son navire parcourait entre 20 et 100 milles nautiques et ne devait pas tomber en panne. Il a été également marin sur des remorqueurs de haute mer, avant encore, il avait tenu en Martinique une base de pêche-loisir où il assumait tous les rôles : skipper, patron d’entreprise de mécanique marine, motoriste, navigateur, pêcheur et vendeur. Avant encore il avait déjà été pêcheur côtier avec trois canots à suivre dans les années 2000. Tout cela avait été précédé des brevets de Capitaine 3000, chef de quart illimité et un CAP en hôtellerie-restauration, brevet exercé pour la première fois, par hasard sur un hauturier, et, rappelle-t-il, dès qu’il était né il a baigné dans le milieu de la mer, du goémon, du poisson et des histoires de pêche en accompagnant sa mère ou son père en mer et en vivant au milieu d’une société tournée vers l’Océan. On peut dire qu’il a fait ses classes en bourlinguant dans et hors de son port natal. Ce qui n’est certainement pas une mauvaise voie.
Ce navire n’est pas devant nous fortuitement. Après plusieurs mois de recherche, il correspond à la moins mauvaise solution trouvée par son nouveau propriétaire pour pouvoir vivre de la pêche côtière dans le contexte que l’on connaît en ce moment. Il ne devait pas être trop cher, mais disposer des licences canots nécessaires pour travailler de la pointe de Trévignon à l’île de Sein. C’était sans doute le dernier bateau disponible en France. C’est pourquoi, après avoir fait expertiser la coque à Port en Bessin, Pierre-Marie a pu négocier le prix, en sachant que son moteur Volvo de 140 Kw était à refaire, mais rappelons-nous que Pierre-Marie dispose de compétences avérées en matière de mécanique et qu’il pourra démonter, remonter le moteur lui-même, en changeant les pièces qui le méritent. Par ailleurs, Pierre-Marie a pris contact avec le Comité Départemental des Pêches et des Élevages Marins du Finistère. Solenne Le Guennec, coordinatrice du Comité est venue chez lui pour lui donner le contexte administratif et réglementaire des pêches qu’il souhaite faire ainsi que le soutien du Comité. Il a également pris contact avec l’OP pour disposer de quotas, avec le banquier du CMB pour le prêt, avec son groupement de gestion CAPAD pour la gestion et avec les services de l’administration maritime pour la sécurité. Ainsi entouré, Pierre-Marie va pouvoir se consacrer à la pêche en ciblant les espèces suivantes : le poulpe avec 150 casiers, le bar à la ligne et le congre à la palangre. Il espère pouvoir produire un chiffre d’affaire de 120 000€ dès la première année pleine. Quand, j’insiste sur l’effort de pêche déjà surabondant en zone côtière, dû à la pression environnementale au large, à la place prise par les éoliennes, le tourisme, les aires marines protégées, Pierre-Marie sourit et me dit doucement "il y a de la place pour tout le monde, j’essayerai d’être extrêmement flexible et opportuniste, je surveillerai mon moteur comme du lait sur le feu, je vais profiter du poulpe, véritable don providentiel de la nature et je vais essayer de me fondre dans la masse sans provoquer de réaction de rejet. J’ai le meilleur "business plan" que je pouvais envisager dans l’environnement actuel. Peut-être même que j’adhérerai à l’association Pleine mer, comme mon frère, pour appartenir à un groupe plus large, on verra bien".
Ce baptême, joyeux et trop rare, ne doit pas faire oublier ce triple paradoxe : pourquoi désarmer les flottes hauturières et côtières pour concentrer l’effort de pêche sur une bande côtière par définition étroite ? Pourquoi le faire en France et en Europe alors que les pays du Sud, comme l’Inde, n’ont de cesse de développer leur pêche hauturière pour soulager leur bande côtière ? Pourquoi, disposant d’un domaine maritime aussi vaste que le nôtre, les pêcheurs sont-ils obligés d’investir dans des niches aussi étroites que Pierre-Marie ? D’abord, parce que le chantier de l’halioécologie globale n’est pas encore ouvert, en vrai, ensuite parce qu’on ne sait pas voir l’évidence : l’énergie, le savoir-faire maritime se sont réfugiés, pour un tas de raisons en mer côtière. Ce n’est pas la première fois, c’est un cycle très récurrent dans l’histoire maritime. Il faut chérir ceux qui maintiennent le trésor des savoir-faire et préparer la nouvelle expansion, à partir de cette base, dans le nouveau contexte que tout le monde connaît désormais.
René-Pierre Chever
Membre de Pêche & Développement
Loctudy Avril 23