Eolien en mer et pêcheurs : le défi environnemental et démocratique

, par  LE SANN Alain

Mercredi 24 mai, au Parlement européen, s’est tenue une conférence co-organisée par deux députés européens, François-Xavier Bellamy (PPE-LR) et Ana Miranda, députée galicienne du groupe écologiste ; étonnant attelage transpartisan qui avait invité au Parlement une coalition d’organisations de la pêche artisanale européenne (Suède, Pays-Bas, France, Espagne, Portugal). Tous ont exprimé avec force et une grande émotion leur refus de l’éolien en mer et de son accélération qui les prive ou les privera de l’accès à des zones de pêche vitales, notamment pour la pêche côtière. Ils vivent cela comme une expulsion violente de leurs zones de pêche traditionnelles.
Voir : Eolien en mer et gestion des espaces marins , film de 9 mn https://youtu.be/9EwcHlQvaPE

Les organisateurs : François-Xavier Bellamy et Ana Miranda, et Carmen Diaz Ridrigez de la Fédération National de Pesca Artesanal (Fenapa). Photo Alexis Haulot

Pour ma part, j’ai été invité, sur proposition de représentants français, à présider le second panel où intervenaient quatre représentant(e)s de pêcheurs, le maire de St Pierre d’Oléron -La Cotinière, un représentant de la DG MARE et le représentant de WindEurope.

Bernard Pérez (CRPMEM Occitanie) et Christophe Sueur maire de Saint-Pierre d’Oléron. Photo Alexis Haulot.

J’ai ainsi introduit le débat.
Les énergies renouvelables en mer, dont l’éolien, ont leur place dans la réponse à l’urgence climatique, mais à quelles conditions peuvent-elles se développer tout en garantissant les intérêts des pêcheurs, alors qu’ils sont les principaux perdants de l’accélération de l’occupation des espaces marins par des champs éoliens, infrastructures industrielles gigantesques ?

Dans sa résolution du 7 juillet 2021 le Parlement demandait
« la mise en place d’une participation effective, de dialogues et de réseaux à un stade précoce afin de limiter et d’éviter les conflits ; … pour inclure la participation effective des pêcheries au processus décisionnel, par opposition aux notions trop vagues de « consultation » et d’« observateurs », ainsi que le respect des engagements pris et la résolution préalable des conflits d’usage ;
les parcs éoliens en mer ne devraient être construits que si l’absence d’incidences négatives, sur les plans environnemental et écologique ainsi que sur les plans économique, socio-économique et socioculturel, sur les pêcheurs et les producteurs aquacoles, est garantie, conformément aux objectifs de l’économie bleue et du pacte vert pour l’Europe ; la planification de l’espace maritime par les États membres ne garantit pas l’inclusion équitable des pêcheurs et des autres parties prenantes ni, le cas échéant, la compensation pour les pêcheries »

Le Parlement vient de demander la mise en place d’une cogestion des ressources halieutiques.
Comment donc répondre à cette demande lorsque la Commission décide d’accélérer les procédures pour la création des champs éoliens ?
Comment cogérer des ressources sans cogérer les espaces maritimes ?
Quelles garanties pour l’avenir de la pêche de plus en plus marginalisée par des oukases sur la création de réserves, d’AMP, etc. ?
Les pêcheurs ont le sentiment d’être les derniers Mohicans de la frontière maritime, cantonnés dans des réserves par une colonisation bleue.
Si on veut rassurer les pêcheurs sur leur avenir et leur permettre de s’adapter aux nouvelles réalités, il faut un cadre démocratique pérenne. Des embryons existent, mais ils doivent être consolidés du local au niveau européen.
Quelles sont vos propositions, pour répondre à ces défis ?

Une rencontre de sourds

Les pêcheurs clamèrent avec force leur opposition aux champs éoliens, particulièrement les représentants des cofradias et de la pêche artisanale de Galice et de Méditerranée, présents en nombre. Le représentant de la Commission a répondu par des propositions en complet décalage avec les demandes des pêcheurs et élus. Il évoqua ainsi la participation de représentants de pêcheurs comme observateurs dans un groupe de travail sur la cohabitation des activités et des forums de dialogue. Les pêcheurs ont refusé de participer au groupe de travail. La DG MARE ne répondait pas non plus aux demandes du Parlement européen. Rien de sérieux donc pour les pêcheurs, ce qui traduit le désintérêt de la Commission pour l’avenir de la pêche. La pêche ne représente qu’une part minuscule par rapport aux enjeux économiques et financiers de l’éolien. Quant au représentant de l’éolien, il rappela les initiatives de dialogue. Mais le maire de St Pierre d’Oléron, comme les pêcheurs des hauts de France ont vécu concrètement une autre histoire. Si un dialogue existe, quand les champs éoliens sont remis en cause par la quasi totalité des acteurs locaux comme dans le parc marin de la Côte d’Opale ou face à l’île d’Oléron, l’État et les industriels imposent malgré tout leur volonté au mépris des pêcheurs, des élus et des citoyens.

Des impacts environnementaux importants et peu connus

Auparavant, dans un premier panel, des scientifiques avaient précisé leurs inquiétudes sur les impacts environnementaux de l’éolien en mer, confirmant assez largement l’ampleur des impacts redoutés par les pêcheurs. Pour les scientifiques, les impacts sont variables suivant les milieux. Ils sont particulièrement inquiétants en milieu méditerranéen [1], pour l’éolien posé, mais moins connus pour l’éolien flottant. En Mer du Nord, les impacts négatifs sont moindres mais non négligeables avec en particulier des changements dans les courants qui peuvent avoir des conséquences sur les espèces pélagiques. Qu’en sera-t-il lorsque l’espace en Mer du Nord sera occupé pour 10 % par des champs éoliens ?
Une scientifique portugaise exposa les risques liés aux infra-sons des éoliennes qui pénètrent dans l’eau et dont les effets sont inconnus en mer alors que l’on connaît les impacts négatifs à terre. Une scientifique polonaise, quant à elle, démontra les effets des champs électromagnétiques, nocifs pour les organismes benthiques, et ressentis jusqu’à 6 mètres des câbles. D’une manière générale, la généralisation des champs éoliens aura un fort impact sur le milieu marin et la production primaire, même si tous les effets ne sont pas connus. Les effets actuels seront multipliés par 25 avec tous les champs éoliens prévus d’ici 2050. Il faudrait que le principe de précaution soit appliqué pour ces programmes.
Un dernier panel, conclu par une intervention forte de la représentante des pêcheurs suédois, évoqua les risques pour la sécurité alimentaire avec la réduction inévitable des captures.

Quelle démocratie ?

Entre incertitudes et inquiétudes, les élus et les pêcheurs présents ont témoigné de leur opposition aux champs éoliens en mer et dénoncé l’absence d’écoute et de débat démocratique sur le sujet. Mais une question n’a pas été posée lors de cette conférence, trop courte pour engager un débat : Que faire quand les décisions sont prises, validées et mises en œuvre contre la volonté des élus et des pêcheurs ? Si certains champs éoliens peuvent être remis en cause ou déplacés face aux oppositions, la machine est lancée [2]. Un ancien pêcheur et industriel, Michel Adrien suggère aux pêcheurs d’engager une grande négociation historique pour définir les conditions du partage de la mer [3] Il faut organiser la cohabitation entre la pêche et les champs déjà réalisés ou programmés, donner des garanties aux pêcheurs. Faut-il accepter les compensations proposées et rejetées par principe par certaines organisations de pêcheurs ? En cas d’absence d’éolien comment parvenir à la neutralité carbone ? Faut-il compter sur le nucléaire seul ? Celui-ci n’a pas laissé que de bons souvenirs aux pêcheurs qui voient aussi les impacts sur les eaux côtières. Comment les pêcheurs peuvent-ils pérenniser leur activité alors qu’on ne dispose pas encore d’alternative non carbonée ? Seront-ils soumis à la fois à la taxe carbone sur le carburant et à la perte de leurs zones de pêche, pénalisés deux fois pour leur empreinte carbone ? Seront-ils les premiers bénéficiaires de l’énergie éolienne marine ?
Par ailleurs, l’unanimité présentée par les organisations présentes résistera-t-elle aux divergences profondes entre les diverses pratiques ? Les Hollandais avec leurs chaluts à perche et la pêche électrique ne sont guère d’accord avec les fileyeurs ou chalutiers des Hauts de France qui les jugent responsables de l’effondrement de leurs ressources côtières. Les chalutiers de Méditerranée ne sont guère appréciés par les artisans espagnols de Méditerranée.
Pourtant cette conférence a manifesté la nécessité de créer, du niveau local au niveau européen et au-delà, des instances démocratiques qui font cruellement défaut ou, lorsqu’elles existent, comme avec les parcs marins français, ne sont pas respectées et menacées. Deux heures de rencontre dans la ruche parlementaire européenne, c’est peu de chose, mais indispensable surtout si cela a permis aux quelques parlementaires présents de prendre la mesure de la distance entre les décisions européennes et les réalités vécues par les pêcheurs et les citoyens de nos côtes, ce peut être un point de départ pour une véritable instance démocratique apte à gérer les espaces marins et à répondre aux enjeux majeurs de la colonisation en cours de la frontière maritime. Faute de cela, les pêcheurs risquent d’être de plus en plus cantonnés dans des réserves, plus que les poissons.
Souhaitons que cette initiative de parlementaires à l’écoute des pêcheurs marque le début de la construction de cet espace démocratique que les pêcheurs attendent.

Alain Le Sann
Mai 2023

[1Voir le film scientifique Un silence bleu, 22 mn https://youtu.be/_hhbafgRycg

[2Voir le film de Mathilde Jounot, Océans 3, la voix des invisible : une drôle de guerre

[3Michel Adrien, Les marins pêcheurs face aux éoliennes en mer. Éd L’Etrave, 2022, 130 p.

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