CÔTE D’IVOIRE : Un conflit entre mareyeuses et la chefferie d’Abododoume fait des dégâts matériels de plus de 7 millions de fr.

, par  DED, Aymar

31 mars 2015 : Les membres de la CMATPHA (Coopérative des Mareyeuses et transformatrices des produits halieutiques) sont sur le gril. Depuis 48 heures, elles ont débrayé, contestant une décision de la chefferie traditionnelle d’Abobodoumé, leur intimant l’ordre de payer une taxe supplémentaire de 21 500F Cfa. Elles protestent avec la dernière énergie, estimant être submergées de taxes à n’en point finir. Voilà donc 48 heures qu’elles ont tout arrêté. Constat : environ 8 millions de dégâts en nature déjà enregistrés au grand dam de la présidente de la CMATPHA, Micheline Dion.

C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Pour les mareyeuses et transformatrices de produits halieutiques, il n’est plus question d’enregistrer des taxes supplémentaires à la multitude qu’elles ont du mal à payer. Comme si ce n’était pas suffisant, alors qu’elles peinent à joindre les deux bouts, la chefferie traditionnelle d’Abobodoumé (le site qui les abrite) exige à chacune de payer la somme de 21 500F/table et 50 000F/réfrigérateur. Et pour elles, c’en est trop. Car, constatent-elles, c’est au gré des humeurs des autorités villageoises que les taxes sont fixées unilatéralement sans préavis. Depuis 2007 qu’elles occupent cet espace, payer est leur dada quotidien. « Ils nous ont envoyé une convocation nous demandant de payer la somme de 21 500F après quoi, on paiera chacune 50 000F par réfrigérateur. En fonction de leur gré, ils nous font payer des sommes. C’était 10 000F d’abord, puis on est passé à 15 000F, ensuite 25 000F, 50 000F, 3 000F, 30 000F, 10 000F, 5 000F, 3 000F encore et maintenant ils veulent qu’on paye pour je ne sais quoi. Or, on paye les taxes journalières. Les différents réfrigérateurs que nous détenons sont payés à 1 500F/mois. Chaque piroguier qui débarque paye 2 000F. En période de vache grasse, le piroguier est obligé d’offrir un poisson à la chefferie. Ils sont plus de 300 piroguiers. Chaque gros poisson est payé au sol. Chaque nouvelle femme qui vient, paye de l’argent à la chefferie avant de s’installer » a situé la Présidente, Micheline Dion. Avant d’exprimer son ras-le-bol : « Nous sommes exaspérées » a-t-elle lâché. Si pour elle, la CMATPHA ne s’oppose pas au paiement de cet argent, elle estime que ce montant devait être logiquement exigé aux nouvelles d’entre elles. Etant entendu que les plus anciennes ne font que cotiser. « Après avoir fait la promotion de notre site, certaines femmes sans emploi nous y ont rejoint. On peut comprendre que celles-ci payent ce montant, mais pour nous les anciennes, il n’en est pas question », s’est-elle offusquée. Le constat sur la plateforme après les 48 heures d’arrêt-travail est triste. Près de 8 millions de pertes en nature. Cela est dû au fait que le poisson est un produit périssable, donc une denrée très fragile. Pour protester contre cette décision, toutes les tables et outils de travail étaient sans dessous dessus. Entre temps, les pertes ne font que s’accumuler vu que le conflit ne semblait pas se dénouer.

Un dialogue de sourd
De part et d’autre, le dialogue ne semble pas passer. Dans un premier temps, à en croire les membres de la coopérative, une délégation est allée rencontrer les représentants de la chefferie sur le site pour revoir à la baisse ce montant. Rien n’y fit. Pour eux, ce sont des injonctions qu’ils auraient reçues. Les bonnes dames devaient alors se plier à cette décision, point barre. Face à ce dialogue de sourds, les pourparlers ont vite fait de s’arrêter. Et depuis le dimanche, c’est le statut quo. Dans notre élan d’entendre les deux versions, nous nous sommes confrontés également à un refus catégorique des dits représentants de la chefferie au dialogue. Lorsque nous mettions sous presse, le feu couvait toujours sur la plateforme d’Abobodoumé, accoutumée à ce genre de scène dont les autorités policières se refusent à tout dénouement, remettant le sort des femmes entre les mains des autorités coutumières qui sont juges et parties. D’où le cri de cœur de la Présidente Micheline Dion à l’endroit des autorités compétentes ivoiriennes. Toujours est-il que pendant ce temps, le montant des dégâts en nature continue de grimper à une échelle exponentielle et pourrait découler sur une crise alimentaire en Côte d’Ivoire, si rien n’est fait d’ici là.
Aymar Ded, REJOPRAO/Côte d’Ivoire
Article repris avec l’autorisation de REJOPRAO http://rejoprao.info/

Michèle Dion visite le port de pêche de Lorient, mars 2015. Photo Alain Le Sann

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