L’interdiction du chalutage en Grèce, un leurre écologique ?

, par  CHEREL, Jacques

Lancer des fausses pistes est une bonne formule pour tromper ou créer des illusions. Pour les pêcheurs, il s’agit d’un appât artificiel…pour attraper du gros ! Le gouvernement grec ne lance-t-il ce leurre écologique pour mieux se revêtir d’une apparence environnementale ? avec quel objectif ?

La décision de la Grèce d’interdire le chalutage de fond interroge.

Le chalutage de fond serait critiqué non pas en raison de son objectif de capturer des fruits de mer, mais en raison des dommages qu’il cause au milieu marin. Selon l’United States Geological Survey (USGS), le chalutage détruirait l’habitat naturel du fond marin et tous les animaux et plantes vivant au fond seraient affectés par la méthode avec laquelle le filet de pêche est traîné sur le fond marin. Non seulement il nuirait à la flore et à la faune des océans, mais il alimenterait également le changement climatique et le réchauffement de la planète, selon une étude de janvier 2024 publiée dans la revue Frontières des sciences marines. En réalité le chalutage en Grèce est assez limité et encore plus dans les zones d’aires marines protégées. Selon le focus sur la Grèce dans le bulletin européen Eumofa de juillet, ce pays abritait en 2013 16 000 navires de pêche dont 93 % font moins de 12 mètres et pratiquent les arts dormants polyvalents. Leurs débarquements atteignaient 63 630 tonnes pour 325,4 millions d’euros. L’essentiel des méthodes de pêche reposait et repose toujours sur les fileyeurs et les filets dormants. Alors quelle est la portée de la décision grecque ?

les engins dormants sont les plus utilisés (Crète)
Ph Alain Le Sann

L’aquaculture contre le tourisme.

Mais là n’est plus l’essentiel de l’activité « poisson ». Dans les eaux de la mer Egée, au large de Poros, un vieux pêcheur s’inquiète car l’installation de nouvelles fermes aquacoles va chasser tous les pêcheurs et tous les touristes ! Le littoral grec est de plus en plus colonisé par des capitaux qui implantent l’aquaculture notamment de daurades à des fins d’exportation, avec l’aval de l’Europe. Les côtes grecques sont mises en concurrence avec les italiennes et les turques pour livrer leur produit sous le terme de « poisson frais » !

Au même moment les habitants des îles et des côtes touristiques s’inquiètent de l’invasion d’un élevage intensif de daurades et de loups de mer destinés aux cuisines françaises ou italiennes, aux hypermarchés … particulièrement polluant. Le groupe gréco-espagnol Avramar, qui se présente comme le premier producteur mondial de poissons méditerranéens veut multiplier des sites d’aquaculture en Grèce. Avec plus de 15.000 km de côtes, la Grèce cherche à développer son industrie aquacole et a identifié 25 sites pour l’installation de fermes piscicoles. L’Union européenne a alloué 92 millions d’euros de fonds au pays d’ici 2027 pour la promotion de l’aquaculture qui, en Grèce, a connu une hausse de 7% en volume en 2021, à 131.000 tonnes, selon l’Organisation hellénique des producteurs aquacoles (ELOPY). Cela remet en question tout l’équilibre de l’économie côtière essentiellement touristique fondée sur des eaux claires comme le cristal et une côte intacte, ainsi à Poros. Le fléau des déjections produites par ces poissons, les médicaments administrés aux poissons, l’utilisation en grande quantité de formol vont anéantir les atouts de la région. Contrairement aux dires des producteurs aquacoles, les poissons sont entassés dans des cages ou bassins immergés, à des densités très fortes favorisant le stress et la propagation de maladies. Nombre de poissons présentent des blessures aux nageoires ou à la queue, des maladies des yeux allant jusqu’à la cécité…ou sont infestés de parasites. Autour des bassins l’eau devient huileuse en raison des aliments donnés aux poissons. Les fonds marins sont couverts de déchets et meurent d’asphyxie. Plongeurs et baigneurs en Grèce sont de plus en plus concernés !

La daurade royale est élevée en mer Méditerranée à grande échelle dans des enclos à filets ouverts. Pour produire 1 kg de poisson d’élevage il faut plus de 4 kg de poissons sauvages sous forme de farine de poisson ou d’huile de poisson. Ces aliments (farine de poisson et huile de poisson) ne proviennent pas de sources durables car ils sont importés en grande partie d’Afrique de l’Ouest, privant les populations locales de sources de protéines habituelles.

Afin de lutter contre le risque élevé d’une prolifération à grande échelle des maladies et des parasites, des nutriments, des produits chimiques et des antibiotiques sont ajoutés dans l’environnement, ce qui a une incidence sur les échanges du réseau trophique. Les poissons qui s’échappent peuvent affaiblir les stocks sauvages en modifiant leur patrimoine génétique en se reproduisant avec ces derniers.

Une interdiction en trompe l’oeil...

Sous la pression des lobbys autoproclamés défenseurs des océans, il s’agit d’accélérer le remplacement de la pêche par l’aquaculture industrielle, fondée sur la marchandisation des produits et la mondialisation des sources d’approvisionnement. Le groupe AVRAMAR a « un nouveau PDG Eugenio Meschini qui a fait ses preuves en travaillant avec AMERRA Capital Management LLC et la multinationale Cargill, Inc. Avec une intégration verticale complète, de l’élevage des alevins à la transformation, grâce à des connaissances spécialisées, une technologie moderne et une équipe passionnée, AVRAMAR est dans une position privilégiée pour garantir la réception, à temps et en tout lieu, d’un poisson de qualité optimale et de taille idéale... dépassant les attentes des consommateurs partout dans le monde. Leurs clients sont répartis dans plus de 30 pays à travers le monde. Leur chaîne de distribution s’étend des détaillants et grossistes en Europe et en Amérique du Nord jusqu’aux poissonneries locales. Le groupe fournit du poisson toute l’année en fonction des demandes et besoins de leurs clients et consommateurs grâce à de nouveaux produits, des promotions et une plus grande portée géographique ».

Arrêt du chalutage : c’est pour mieux te manger...Pêcheur.

Faut-il supprimer ou adapter le chalutage ? Les pêcheurs, des chercheurs, des industriels proposent des solutions alternatives ! En réalité de nouveaux outils existent afin d’améliorer la sélectivité du chalut : la société Marport a développé des nouveaux engins afin que le suivi des espèces permette de réaliser des comptages et des mesures grâce à des capteurs et caméras installés dès l’entrée du chalut. La mesure en temps réel de l’incidence de l’engin de pêche grâce à un réseau de capteurs et la vision par ordinateur permettront de détecter et d’identifier en temps réel les espèces qui entrent dans l’engin de pêche, en s’appuyant sur l’imagerie sous-marine, l’acoustique et des logiciels d’analyse.

L’Ifremer présente ce système comme une solution technique qui pourrait permettre aux pêcheurs de détecter en temps réel de fortes abondances de captures accessoires (bars si non désirés, dauphins…) dans l’engin et d’actionner un dispositif d’échappement (fermeture de cul de chalut, trappe de déviation, flash lumineux, signaux acoustiques…) ou encore de changer de zones de pêche. Quatre espèces pélagiques vivant entre la surface et le fond marin (sardines, anchois, chinchard, maquereau) sont actuellement intégrées dans l’outil, ainsi qu’une vingtaine d’espèces de fond (crevettes, langoustines, galathées, anémones de mer…). Plusieurs équipements sont testés : système vidéo intelligent (sur la corde de dos ou gorget), modem acoustique bidirectionnel (industriel MARPORT), dispositif sélectif qui effectue le tri en temps réel en fonction des espèces identifiées par le système vidéo.

maquette d’un chalutier à voile qui existait en Grèce au début du 20ème siècle,
Ph Alain Le Sann

La campagne pour éradiquer le chalutage ne répond pas à une vraie préoccupation en faveur de la biodiversité marine. Elle fait partie des méthodes de bluewashing pratiquées par des associations créées par des fondations de multinationales qui verdissent ainsi leur politique de financiarisation de la mer qu’elles considèrent comme « Leur Océan ». Les pêcheurs ont l’habitude de s’adapter : plutôt que de les faire disparaitre, les Etats ne devraient-ils pas financer les moyens de moderniser leurs techniques ? Il s’agit bien de choix politiques rendus opaques par les campagnes d’organisations environnementalistes qui n’ont pas la légitimité pour prétendre définir la politique des pêches, au-delà de leur rôle d’alerte !

La décision de l’arrêt du chalutage qui enchante les « chœurs écologistes », ne changera guère la situation environnementale des côtes grecques. Par contre pour répondre à la demande de l’alimentation, on assiste à un renforcement de la mainmise financière et capitaliste sur les sources d’alimentation et à une concentration sans limite du capital. Le vieux pêcheur grec de Poros a bien compris que cette politique sonnait le tocsin de la pêche et remettait en cause la santé et l’économie des littoraux. A bon entendeur, salut !

Jacques Chérel
Président du Festival Pêcheurs du Monde

Navigation