Quatre mois d’inondations autour du lac Tanganyika

, par  KAPALAY KABEMBA Jean-Pierre

La ville de Kalemie et toute la Province du Tanganyika ont connu des moments assez troublés pendant environ 4 mois, suite à la montée spectaculaire et sans précédent des eaux du Lac Tanganyika et tous ses affluents. Le fleuve Congo a lui aussi débordé. Cette montée des eaux du Lac Tanganyika a affecté presque tous les pays qui bordent le Lac et, selon les avis de plusieurs observateurs, ce phénomène est dû principalement aux phénomènes du changement climatique.

D’immenses dégâts

Les dégâts qui s’en sont suivis ont été immenses ; les cités des pêcheurs englouties, les infrastructures sportives, routières, scolaires, commerciales à travers la province détruites, des quartiers disparus, des nombreuses familles déplacées et en errance etc..
A Kalemie, en plus de ces dégâts matériels importants, nous avons enregistré la perte de 3 personnes mortes électrocutées par le courant suite à la présence des eaux abondantes dans leurs maisons.
Cependant une autre menace grave plane sur la Ville de Kalemie, le risque d’effondrement de deux ponts jetés sur la rivière Lukuga qui relient les deux rives de la ville, si la montée des eaux du Lac Tanganyika ne réduit pas avec la venue de la saison sèche. Mais il y aussi la menace de la pollution des eaux du Lac Tanganyika par les déchets plastiques. Cette situation devient le plus en plus inquiétante à tel point que si rien n’est fait, le fond du Lac Tanganyika sera bien rempli par des tonnes et des tonnes des bouteilles en plastique dans les années avenir.

Menaces sur les ressources du lac

Sur le plan écologique, on observe aussi la disparition d’une espèce aquatique « le crabe » qui coutait il y a 4 mois 500 CDF le kg est passé à plus de 3.000 CDF et aujourd’hui ; le crabe a disparu des marchés locaux. Son habitat ayant été détruit par la montée des eaux du Lac Tanganyika, le Slow Food et ses partenaires craignent que cette espèce disparaisse pendant longtemps dans les filets du pêcheur. Des actions concrètes seront menées par le Slow Food en faveur cette espèce animale aquatique pour sa protection et sa multiplication.
Bref : Les déboires causés par les inondations historique de Février, Mars, Avril, Mai et Juin 2024 sont indescriptibles et la première victime est le pêcheur du Lac Tanganyika qui a vu son quotidien et celui de sa famille fortement secoué suite à la baisse sensible de la capture des poissons entrainant la diminution du revenu de pêcheur.

La vie précaire des pêcheurs

Par ailleurs, selon certaines études réalisées sur le calendrier de pêche sur terrain en temps normal sur le Lac Tanganyika se présente de la manière suivante

Les pêcheurs parviennent à prendre jusqu’à 25 caisses des poissons pendant le moment d’abondance, ce qui représente 825 kg et le pêcheur lui-même et sa famille consomment environ 2 kg de poisson par jour et pendant 7 mois quand la pêche est relativement bonne. Mais, pendant la période de la baisse des captures, les pêcheurs mènent une vie de précarité. Le vent impétueux qui souffle pendant environ 3 à 4 mois sur le lac Tanganyika, complique encore la vie du pêcheur, car pendant cette période non seulement le poisson se fait de plus en plus rare, mais le prix augmente, la quantité diminue et le consommateur n’a plus de choix sur le produit qu’il veut consommer.

Lors d’une mini-enquête réalisée par le Slow Food et ses partenaires traditionnels (le COPETANG membre à part entière du WFFP et l’Académie paysanne de pêche) auprès de 11 présidents de différentes coopératives de pêche du Tanganyika pour en savoir un peu plus sur la baisse sensible des captures dans Lac Tanganyika, tous ont avoué à l’unanimité que le revenu du pêcheur depuis le début des inondations a considérablement chuté, ce qui rend d’avantage la vie du pêcheur difficile.
Peu de pêcheurs prennent le risque de mettre leur vie en danger et d’aller sur les eaux profondes pour prendre 2 à 3 caisses. Si cette situation perdure, le pêcheur du Lac Tanganyika va rester un peu plus longtemps dans une pauvreté extrême.

En tirer des leçons

Cette calamité naturelle a touché presque toute la sous-région des Grands Lacs, nous craignons que les pêcheurs de cette région ne soient tous affectés par cette crise étant donné la similarité de leurs conditions du travail. Néanmoins, ces inondations sont perçues par le Slow Food comme un mal nécessaire, car il a permis au Lac Tanganyika d’observer un repos biologique pendant environ trois mois et nous espérons qu’à la fin de celui-ci il y aura une abondance de poissons sur les marches locaux ; comme disent les Français, « après la pluie c’est le beau temps ».
Il revient donc au pêcheur lui-même de tirer les leçons de ce qui est arrivé et se projeter dans l’avenir en développant les stratégies de résilience capables de lui permettre de faire face si cette situation revenait à nouveau. Et cela passe naturellement par :

1. Un encadrement efficace des pêcheurs par une politique de pêche claire du gouvernement provincial et national ;
2. Créer des activités alternatives ici et maintenant qui permettront aux pêcheurs de réduire sensiblement leur pression sur le Lac Tanganyika et son exploitation abusive.
3. Mieux valoriser le poisson.
4. Promouvoir le tourisme par la construction d’aquariums pour les espèces emblématiques du Lac Tanganyika : les fonds récoltés par la province à partir du tourisme du Lac seront utilisés pour le développement de la pêche, de la pisciculture et de l’aquaculture dans le Lac dans le seul souci de le protéger.
5. Organiser une conférence régionale et nationale sur la gestion et la protection des lacs de la R.D.Congo et une conférence sous régionale et continentale sur la gestion des lacs africaines tous les 2 ans avec l’aide des gouvernements, l’OUA et des partenaires.
6. Mettre en place au niveau local, les comités des pêcheurs capables de sensibiliser et d’assurer les plaidoyers auprès de l’autorité pour la bonne pratique de pêche et de la préservation des ressources halieutiques et des écosystèmes aquatiques.
Ici intervient la nécessité d’appuyer l’académie paysanne de pêche déjà opérationnelle à Kalemie dans son volet Formation et Information afin d’amener les pêcheurs du lac Tanganyika au changement des mentalités et habitudes. Car la douloureuse expérience vécue avec les terribles inondations de cette année doit amener le pêcheur et les décideurs politiques à se projeter dans l’avenir afin de trouver des stratégies réfléchies pour faire face à des calamités de cette nature.
7. Négocier un Édit provincial interdisant la pêche dans les zones de frayères et sanctionner selon la même loi tout contrevenant.
8. Interdire les décharges sur le littoral du Lac Tanganyika qui sont à la base de la pollution de l’air et sources de beaucoup d’odeurs et de maladies qui peuvent se transmettre du poisson vers l’homme.

CONCLUSION

Toutes ces démarches s’inscrivent dans le but d’alerter les pêcheurs du Lac Tanganyika sur l’attention qu’ils doivent porter sur cette richesse naturelle d’intérêt mondial. Le Lac Tanganyika se meurt à petit feu, jour après jour, mettant ainsi en péril le métier du pêcheur artisan dans les jours avenir.
Le Slow Food se félicite de la visite du Conseiller Spécial en matière d’environnement du Président de la République et Chef de l’Etat à Kalemie, le mois d’Avril 2024 pour s’enquérir de la situation sur le terrain.
Nous espérons à travers cette visite trouver des réponses appropriées par rapport à ces inondations et autres problèmes du pêcheur artisan du Lac Tanganyika.

KAPALAY KABEMBA Jean Pierre

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