Assises de la pêche : contre la colonisation bleue

, par  LE SANN Alain

Aux Assises de la pêche à Lorient, les 20 et 21 juin 2024, j’ai participé à la table ronde sur l’interdiction de la pêche pour protéger les dauphins. Face à la représentante de France Nature Environnement soutenant la mesure d’interdiction et demandant sa reconduction et son élargissement, Gwénolé Merveilleux pour l’ABAPP (mareyeurs et acheteurs de poisson) et Franck Lalande, pêcheur d’Arcachon, ont dénoncé avec force cette mesure et montré les conséquences néfastes pour l’avenir de leur activité alors que l’interdiction n’a pas empêché les échouages de dauphins et que l’espèce n’est pas menacée de disparition dans le moyen terme. Je présente ici la trame de mon intervention en réponse à trois questions de l’animatrice Mélanie Chartier, du Marin, sachant que je n’ai pas pu tout développer.

Nous avons besoin d’associations environnementales mais…

Les pêcheurs et conchyliculteurs ne peuvent que se féliciter du travail accompli depuis des décennies par des associations bretonnes, membres de FNE. Il faut souligner particulièrement le travail d’Eaux et Rivières de Bretagne, créée par un Lorientais, Jean-Claude Pierre. Cela a permis parfois améliorer la qualité des eaux et en tout cas d’éviter d’aggraver leur dégradation. Mais par contre il est inacceptable de voir des dirigeants nationaux de FNE déclarer, avec les autres ONG environnementalistes, que la pêche est l’activité la plus destructrice des Océans. D’autre part, la défense d’une espèce fétiche comme les dauphins, ne peut justifier qu’une fédération d’associations démocratiques, comme FNE, se trouve dans le même bateau que Sea Shepherd pour demander l’interdiction de la pêche pendant plusieurs mois. Sea Shepherd se bat pour la fin de la pêche, c’est une association anti humaniste qui rêve de mettre les humains dans des réserves. [1]
Cette mesure d’arrêt de la pêche met en cause la continuité des programmes scientifiques dans les quels les pêcheurs se sont engagés pour trouver des solutions. Ils expriment une colère légitime. Il n’y a pas d’urgence car les enquêtes et les constatations des pêcheurs montrent que la population est plutôt stable. L’arrêt n’a pas prouvé son efficacité, les échouages se sont poursuivis pour d’autres raisons. Pierre Mollo évoque une possibilité d’intoxication par des planctons. Mais il est plus facile de s’attaquer aux pêcheurs que de se battre contre la réduction de la taille des sardines à cause de la modification du plancton. C’est moins médiatique.

Les ONG et la colonisation bleue

Ces attaques contre la pêche s’inscrivent dans un mouvement, théorisé par certains, qui vise à « confier un rôle stratégique aux ONG », c’est à dire mettre les pêcheurs sous leur tutelle. On voit ce qu’elles veulent : interdictions d’engins, de zones, de périodes, etc. Des ONG déclarent sans complexe qu’elles veulent « façonner le monde ». Grâce à leur argent, elles peuvent même financer des recherches pour valider leurs propositions.
De fait, on assiste à un processus de colonisation bleue du Far West Atlantique et de la frontière maritime, comme à l’époque de la conquête de l’Ouest où l’on exterminait les Indiens, en mettant les survivants dans des réserves tandis qu’on mettait en place les réserves intégrales pour sauver la nature « vierge ». On trouve ainsi parmi les propositions de la Convention Citoyenne pour le climat, l’idée de mettre fin à la pêche au profit de l’aquaculture. On met ainsi en place une politique « d’apartheid bleu » dénoncée par l’ensemble des organisations internationales de pêcheurs artisans [2] . Il s’agit d’une politique d’une extrême violence et les pêcheurs ne peuvent que rejeter une politique fondée sur des oukases, décidés sans leur accord et sans même des consultations. En effet depuis des décennies des ONG financées largement par des fondations font la promotion de politiques d’exclusion. On a d’abord demandé 10 %, puis 20 %. Maintenant le slogan c’est 30 X 30, 30 % d’AMP en 2030, validé par les Nations Unies. Mais déjà le WWF et Greenpeace demandent 40 X 40 et d’autres, soutenus par PEW, demandent 50 X 50. Ils n’arrêteront jamais [3].

Pour une démocratie de la mer

Face à un tel déferlement, nous avons besoin d’une autre approche de la protection des océans. Elle peut être fondée sur quelques principes.

 La menace principale, en tout cas en Europe, n’est plus la surpêche, puisque 80 % des débarquements en Atlantique NE sont issus de pêcheries au RMD. Le principal problème est celui des changements et de la dégradation du plancton liés au réchauffement et aux pollutions. Le plancton se nanifie, certaines espèces également et les biomasses diminuent.
 Il faut une démocratie de la mer. Pour cela il faut reconnaître les savoirs des pêcheurs, un travail avec les scientifiques indépendants, des associations à l’écoute sans être en quête de pouvoir. Les associations ont un rôle indispensable d’alerte, mais n’ont pas la légitimité pour gérer la mer. Le modèle à promouvoir est celui du Parc National Marin d’Iroise, où les élus, les pêcheurs, les scientifiques, les associations collaborent dans le respect des responsabilités des pêcheurs. C’est efficace comme le montrent la croissance du nombre de grands dauphins, de phoques, de langoustes. Cela marche, mais les changements ne se font pas en un jour. Il y a en Bretagne d’autres expériences comme CAP 2000 en Rivière d’Etel. Pourtant le Parc Marin est dénoncé par des ONG comme inutile et à démanteler au bénéfice de réserves.
 Il faut sortir de la pensée unique imposée dans les médias par des ONG. Le débat est verrouillé à un point tel que des scientifiques reconnus au niveau européen pour leur compétence se voient refuser une tribune dans « Le Monde » [4] alors que des ONG s’y expriment régulièrement sans contradiction. Nous en sommes au point où Sea Shepherd investit dans les écoles, les lycées, manipulant la jeunesse pour soit-disant dénoncer la surpêche alors qu’elle vise la fin de la pêche.
 Les pêcheurs sont essentiels pour nous nourrir, ils doivent être soutenus par la société pour cela. Il y a une occasion pour manifester ce soutien, c’est la Journée Mondiale des Pêcheurs, instituée par les Forum mondiaux des Pêcheurs, chaque 21 Novembre. Plusieurs pays ont officialisé cette date et la France devrait aussi le faire et en particulier la Bretagne.

Les pêcheurs l’ont dit : « Nous voulons juste nourrir et pas mourir »

Il y a urgence à les entendre si nous ne voulons pas manquer de poisson demain.

Alain le Sann
Lorient, Assises de la pêche : 20 juin 2024

[1Un ancien président de FNE, présent aux assises m’a reproché d’associer ainsi FNE à Sea Shepherd alors que FNE est dans une démarche distincte et ne s’associe que rarement aux coalitions des ONG. On peut en convenir et c’est à l’honneur de FNE, mais de fait et pour les pêcheurs et le public, FNE se trouve associée à la démarche de Sea Shepherd et lui apporte la légitimité.

[2Cf La Déclaration de la Conférence des peuples de l’océan, 2022 Se réapproprier l’océan ; réinventer notre avenir https://peche-dev.org/spip.php?rubrique136

[3Quand je dénonce cela, on m’accuse de complotisme pour refuser tout débat. Il n’y a pas complot, tout est transparent et annoncé, c’est une stratégie sur le long terme, bien planifiée, fondée en particulier sur la mobilisation de coalitions d’ONG.

[4Seul Le Marin a publié cette tribune.

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