Observatoire citoyen du plancton : Quand les Chinois s’inspirent du modèle de Port-Louis

, par  LE SANN Alain , MOLLO, Pierre

Interview de Pierrot Mollo par Alain le Sann, à Lorient, le 27 juin 2024.

Montrer le plancton au microscope aux 9 millions d’habitants de Qindao

Q : Vous venez de fêter les 20 ans de l’Observatoire du Plancton à Port-Louis et on a appris à cette occasion qu’en Chine, à Qiandao allait également s’ouvrir un second observatoire citoyen du plancton sur le modèle de celui de Qindao.

P. M : A Qiandao, près du lac des Mille îles, il y a un laboratoire, mais ils aimeraient bien voir celui de Port-Louis pour voir comment il fonctionne. Donc ils m’ont invité pour présenter ce qu’était un observatoire citoyen du plancton.

Q : Tu as déjà eu l’occasion d’aller en Chine.
P. M : Oui, c’était en 2015. C’était une demande de Qindao, une ville de 9 millions d’habitants sur la mer de Chine. Ils m’ont posé la question « Qu’est-ce qu’un observatoire citoyen du plancton ? » J’ai passé 15 jours avec eux pour leur expliquer [1]. L’objectif de cette première réunion était d’échanger avec le Pr. WANG Min, vice-présidente du Collège des sciences de la vie marine de l’Université d’Océanologie de Chine (Ocean University of China) et Mme WANG Shili, vice-directrice générale du Musée d’Océanographie de Qingdao, sur la faisabilité d’un projet de Coopération Internationale d’un Observatoire d’Écologie sur les ressources halieutiques à Qingdao, dans la province du Shandong. Le musée est spécialisé dans les méduses. Elles font partie du plancton, mais on n’y parlait pas du phytoplancton, du zooplancton. Ils voulaient créer un espace comme à Port-Louis, pour les citoyens de Qindao. Je leur ai expliqué ce qu’était un observatoire citoyen du plancton. 6 mois plus tard, ils m’ont appelé : « Voilà, nous avons été intéressés par votre présentation de l’observatoire et on l’a donc créé. On vous invite à l’inauguration. » J’y suis retourné avec mon interprète préféré, Chen Lichuan, qui m’accompagne en Chine à chaque fois. On a coupé le ruban avec le maire qui m’a dit : « j’aimerais que chaque habitant de Qindao voie au moins une fois le plancton au microscope ». On a inauguré une salle formidable de 300 m². « On a tous les outils, on a fait comme vous l’avez dit, et donc vous allez faire la démonstration ». Il y avait là des techniciens, des animateurs nature et des scientifiques. J’ai pris les deux groupes séparément. J’ai fait la présentation aux techniciens : comment on transmet ce savoir à des enfants. On a été pêcher du plancton. On l’a observé et j’ai fait une animation devant des enfants. Ils m’ont dit : « on a compris ».

Avec les scientifiques, j’ai fait une présentation, plus scientifique, moins pédagogique. Ils me posaient des questions sur le phytoplancton. Au bout des deux premiers jours, ils m’ont dit : « nous allons jouer les enfants et tu vas nous faire une animation plancton ». Je l’ai faite et ils m’ont dit : « maintenant, c’est à notre tour ». Soixante jeunes sont venus et par groupes de vingt, ils ont animé la séance devant ces jeunes. C’était formidable, ils avaient tout compris de la démarche. Je leur expliquais qu’il ne fallait pas partir d’une goutte d’eau. Il faut que les jeunes aillent pêcher le plancton. « Mais on n’a pas le droit, à cause des accidents, l’enfant unique et tout... ». C’était compliqué. Mais c’est leur plancton qu’on observe. Après discussion, ils ont accepté qu’on puisse accompagner les enfants au bord de l’eau. Ce n’était pas gagné, mais c’est parti comme cela.

Des Chinois à Port-Louis

Q : donc cette année, vous êtes invités à Qiandao, à quelle occasion ?
P.M : J’ai reçu un courrier il y a un mois d’un laboratoire de Qiandao, à l’intérieur des terres, sur le lac artificiel des Mille Iles. Ils m’ont demandé si on pouvait observer le plancton d’eau douce. Ils m’ont invité pour aller faire des animations et montrer comment fonctionne un observatoire du plancton... J’ai envie de transmettre mon expérience à un jeune. C’est donc Antoine Charpentier, qui est à l’observatoire depuis 7 ans qui ira là-bas. Les échanges sont partis et ils sont réguliers. Antoine sera accueilli au mois d’Août pour montrer comment fonctionne l’observatoire de Port-Louis.

Q : En retour, ils viendront également à Port-Louis ?
P. M : Ils voulaient même venir avant la venue d’Antoine mais on leur a demandé de recevoir Antoine avant leur venue. On accueillera les Chinois en septembre-octobre, quand les travaux à l’Observatoire seront achevés.

Le plancton, une affaire de citoyens

Q : Comment tu expliques cette passion des Chinois pour la découverte du plancton ? Ils mettent beaucoup de moyens dans ces projets.
P.M : J’ai voulu le comprendre. Les scientifiques connaissent le plancton aussi bien que nous, mais cela reste une affaire de scientifiques. En Chine, le plancton est inaccessible pour le commun des mortels. Ce qui les a étonnés dans notre démarche, c’est une affaire citoyenne. Bien sûr on s’appuie sur des scientifiques, mais ce sont des citoyens qui se réunissent et font des animations plancton. C’est cela qui les intéresse : comment des citoyens, non-scientifiques sont capables de transmettre des savoirs.

Q : Ils ont aussi des problèmes de pollution, bien sûr.
P. M : Ils ont des marées vertes énormes, chez nous, c’est riquiqui à côté ! Ils ont vraiment de gros problèmes de marées vertes surtout à Qindao, sur la côte. Les Chinois ont compris que l’océan, c’était important et que cela commence avec le plancton. Quand le phytoplancton est remplacé par des algues vertes, c’est tout l’écosystème, les coquillages et crustacés qui disparaissent derrière. J’étais étonné qu’ils s’intéressent à ces micro-organismes et les rendent accessibles aux citoyens. Ils sont des millions en Chine et il y a du boulot ! Mais la machine est lancée pour développer cette initiative qu’on a eue à Port-Louis et la transmettre sur le territoire chinois.

Des expériences multiples en Asie

Q : Est-ce qu’il y a d’autres observatoires de ce type créés à l’occasion de tes différents voyages ?
P. M : Oui, j’ai fait 20 ans de coopération entre Beg Meil, où je travaillais, et le laboratoire de Sébastopol en Crimée. C’est un des premiers laboratoires marins au monde, fondé en 1860, un an après celui de Concarneau. J’ai créé ces liens entre ces laboratoires et on a multiplié les échanges. Ils ont duré jusqu’il y a deux ans, mais maintenant c’est impossible.
La première fois que je suis allé en Asie, pour étudier l’aquaculture au Japon, avec un financement de la coopérative UNICOMA, des pêcheurs de Lorient, les Japonais avaient 20 ans d’expérience sur le plancton. J’ai énormément appris. Après, il y a 20 ans, j’ai été sollicité par le Vietnam, avec une association d’échanges francophones. A Nha Trang, ils voulaient aussi un observatoire du Plancton. On l’a créé dans le centre de recherche pour transmettre la connaissance qu grand public. Ensuite au Cambodge, on a été sollicités pour expliquer aux pêcheurs qu’il ne fallait plus pêcher à la dynamite. Avec un pêcheur, Philippe Deru, on leur a montré qu’on pouvait pêcher avec une ligne et qu’en polluant avec la dynamite, ils faisaient disparaître le plancton. On a fait un petit observatoire dans une cabane de pêcheur, c’était formidable.

Pêcheurs et ostréiculteurs sont sensibilisés à la question du plancton

Q : Est-ce que tu penses qu’en France, dans les milieux scientifiques, de pêcheurs, dans les associations, on a vraiment pris la mesure de l’importance du plancton et de sa dégradation ?
P. M : Oui, les pêcheurs y sont sensibles depuis longtemps. Les ostréiculteurs aussi qui sont les premiers concernés parce que le plancton, c’est la nourriture des huîtres. J’ai eu la chance de créer la première école d’aquaculture à Guérande. J’ai formé des ostréiculteurs pendant des années ; les ostréiculteurs et les pêcheurs sont sensibles à la question du Plancton. A Houat, à Guérande, à Sète sur les petits métiers de l’étang de Thau, partout où j’ai été, j’ai trouvé des pêcheurs, des ostréiculteurs très intéressés par le plancton. C’est vrai qu’ils n’avaient pas accès à la connaissance du plancton. Le CNRS, L’IFREMER, ce n’est pas accessible. Je comprends bien, les chercheurs ne peuvent pas passer leur temps à observer le plancton. Pour nous, l’observation est un plaisir, on a le droit de rêver aussi. Les chercheurs, on devrait les payer pour rêver encore plus. L’observation du Plancton, c’est des citoyens qui se permettent de rêver et de rendre service aux scientifiques. Beaucoup de scientifiques nous donnent des protocoles d’observation et sont très intéressés par les observations citoyennes. Je pense à Objectif Plancton. Ce sont 45 pêcheurs plaisanciers qui tous les 3 mois font des prélèvements suivant un protocole. Cela se fait à Concarneau et à Brest depuis 2013.

Nous on observe le plancton tous les jours, au même endroit

Q : Il y a aussi Tara maintenant.
P. M : Tara n’avait pas encore commencé ses missions, ils étaient venus me voir : « tu ne vas pas être fâché, mais on va vous faire de l’ombre ». J’ai répondu, non seulement tu ne vas pas nous faire de l’ombre mais au contraire, avec vos expéditions de Tara sur le plancton, c’est super. On a collaboré avec tara plusieurs fois, on a des expériences ensemble. La différence, c’est que Tara part en mission sur toute la planète ; ils ne sont pas au même endroit tous les ans. Nous on observe tous les jours au même endroit, donc on peut voir l’évolution. On est complémentaires en fait.

Q : Donc, il faudrait des observatoires partout ?
P. M : Nous avons le soutien de la mairie et du maire de Port Louis, Daniel Martin. Il faudrait que, dans le Morbihan, tous les élus des communes littorales viennent passer une journée à l’observatoire, voir comment ça marche depuis 20 ans. On peut aussi faire des observatoires plus légers dans les communes. Le plancton, çà doit être une affaire citoyenne et aussi des élus locaux. Chaque maire qui a les pieds dans l’eau, doit connaître le plancton pour réfléchir aux choix d’urbanisation. Quand on connaît le plancton, on peut comprendre l’importance de l’impact d’un parking, d’une zone commerciale ou de l’urbanisation.
Ces choix sont essentiels pour protéger les océans.

[1Note de la mission Pierre Mollo et Chen Lichuan à l’aquarium de Qingdao du 5 au 15 septembre 2015, 5 p.

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