Mikel Epalza : j’ai dédié ma vie à l’océan et aux marins

, par  LE SANN Alain

Mikel Epalza et Coline Renault, « Pêcheur d’hommes » , éd Equateurs, 2024, 200p.

Quand j’ai plongé dans la lecture de ce livre, je n’ai pas pu m’en détacher et je l’ai dévoré en une soirée. Les marins s’y reconnaîtront, mais il s’adresse aussi à ceux qui ne connaissent pas ce monde de marins à la pêche ou au commerce.
Alain Le Sann, juillet 2024.

Un lien fusionnel et intense

Dans son introduction, Mikel Epalza résume son engagement : « J’ai dédié ma vie à l’océan et aux marins, mais j’ai parfois du mal à expliquer ce lien intime, fusionnel, qui m’y attache… Les liens entre les hommes sont plus purs, plus vrais. Il n’y a pas de propriété, pas de velléités, de domination, mais, en revanche on y trouve une humilité nécessaire ». « Neuf dixième des terriens seraient incapables de vivre en mer, de faire face aux difficultés, aux sacrifices, aux intempéries. Impossible pour eux de vivre avec cette incertitude constante- va-t-on pêcher, va-t-on ne rien pêcher ? - mais il faut tenir, coûte que coûte. Les marins risquent leur vie pour leur famille, pour leur fierté aussi, celle d’appartenir à un peuple à part, plus libre, plus vrai, plus intense ».

Prêtre basque et pêcheur

Ordonné en 1973, au moment où de nombreux prêtres abandonnent leur engagement, il garde toute sa vie une foi dégagée de tout cléricalisme, ce qui lui vaudra à ses débuts de sérieux conflits avec sa hiérarchie, qui refuse son engagement comme pêcheur. Mais en 1985, on lui propose la fonction d’aumônier de la Mission de la mer. Il accepte à condition de reprendre la mer. Il sera ainsi pêcheur pendant 8 ans, sur tous les types de bateaux, en Pays basque Nord comme au Pays basque Sud. Il y retrouve partout des amis. Il est aussi profondément engagé dans la défense des droits des Basques, ce qui lui vaudra des menaces sérieuses du GAL qui assassinait de nombreux militants en France. Cet enracinement lui a permis de jouer un rôle majeur de pacificateur dans des conflits violents entre métiers et entre pêcheurs du Sud et du Nord du Pays basque.

Le pacificateur

La pêche, au Pays basque comme ailleurs en France se caractérise par sa grande diversité, dans les engins et dans la taille des bateaux. Souvent cela génère des conflits avant que des compromis se dégagent, dans la douleur parfois, mais pour le bien de tous. Mikel Epalza pratiquait tous les métiers. En juin 1986, dans le contexte de l’entrée récente de l’Espagne dans la CEE, les Basques du Sud perdaient des lieux traditionnels de pêche. Le conflit dégénère au point que 300 navires viennent bloquer la Bidassoa. La France menace d’une intervention de la Marine. Pour l’éviter Mikel Epalza réussit à réunir les deux camps qui, au bout de 5 heures de négociations difficiles, arrivent à un compromis. Selon lui, « Pour un aumônier de la mer, la première difficulté est de ne pas se dérober aux conflits...Se placer au centre des tensions tout en restant en souffrance en voyant des hommes de mer et surtout des Basques, en proie à une situation économique difficile, se battre entre eux. Il faut surtout garder espoir sans devenir un utopiste déconnecté des réalités du monde ».
« Je refuse toute paix au rabais, piège des bons sentiments où l’on ne prend pas en compte les causes de la méfiance, voire de la colère. Quand des patrons sans foi ni loi emportent des filets ou des lignes de petits métiers, il faut savoir dire non… Nous avons rédigé avec les pêcheurs des différents métiers des codes de respect mutuel ».

Mikel Epalza et Robert Bouguéon au congrès de Stella Maris à Taïwan en 2017

Au coeur des drames de la jeunesse

Au début des années 1990, il prend conscience de l’urgence des nouveaux problèmes à terre. « Voilà plusieurs années que j’observais le mal qui rongeait les jeunes marins du Pays basque. Ce mal pouvait s’appeler héroïne, cocaïne, ecstasy. » Dans une famille, six des neuf enfants sont morts d’overdose. Avec de jeunes marins, l’association « Jeunesse de la Mer en Pays basque » est créée. « L’associatif est un apprentissage de la vie, du débat, de la responsabilité, de la prise de conscience de soi dans la société ». Ces jeunes vont beaucoup s’investir et apporter de nouvelles idées dans le monde des pêcheurs.

Les jeunes m’ont converti à l’écologie

En effet ce sont de jeunes pêcheurs, fatigués de remonter dans leur chalut les mêmes déchets plastiques, qui vont introduire la question de l’environnement dans le milieu. Ils réalisent un document « Les poissons alertent les humains », largement diffusé par mi les pêcheurs et dans les écoles. Mikel Epalza le souligne : « la plupart des pêcheurs respectent la ressource, mais ils sont montrés du doigt comme étant des prédateurs », et plus récemment des tueurs de dauphins, par des ONG.

Avec les femmes pour la défense des droits sociaux

A l’occasion des nombreux drames où il a accompagné les femmes de pêcheurs disparus en mer, M. Epalza prend conscience que ces femmes de pêcheurs sont oubliées et réduites au silence. Il participe à la création de plusieurs associations de femmes de pêcheurs qui se battent à la fin des années 90 pour la reconnaissance d’un statut et de leurs droits ainsi que pour les droits sociaux des marins, méprisés par de nombreux armateurs espagnols, mais aussi des armateurs des pays du Nord de L’UE. Avec des marins français, elles se battent en vain auprès de la Commission Européenne pour exiger un socle minimum de droits. Ce sont notamment : « le temps de repos minimum entre deux marées, la limitation des jours en mer et les congés payés annuels ». Les femmes constatent avec regret : « Nous avons entendu un commissaire et des experts ayant en main une institution puissante mais incapable de mettre en place un dialogue sur les questions sociales ». A ce moment, le commissaire européen à la pêche était plus occupé à planifier la disparition de la moitié des pêcheurs. Au lieu de cela, l’UE autorise un marché des quotas qui permet à des cofradias du Pays basque Sud, en 2012, de revendre leurs 500 tonnes de thon rouge à 10€ le kilo à un armement espagnol de Méditerranée. « Pendant ce temps-là, les pêcheurs canneurs français ne sont pas autorisés à pêcher plus de 15 tonnes par bateau… C’est immoral ». « Mes rêves d’Europe des personnes étaient une utopie ».

Pour la défense des droits des marins de commerce

Au port de Bayonne, Mikel Epalza a eu l’occasion, à maintes reprises de côtoyer la misère des marins de commerce, éloignés de leur famille pendant des mois, exploités et parfois abandonnés. C’est ce qui l’amène à participer à la création d’un accueil des marins, « Escale Adour ». Cet engagement l’amène à participer à plusieurs congrès internationaux de Stella Maris, en particulier à Taïwan. [1] . Il est frappé et bouleversé par l’interpellation du Cardinal birman :« Ce qui se passe ici concerne aussi les pays occidentaux. Ce que vous acceptez dans vos supermarchés, ce n’est pas du poisson mais la souffrance des hommes de mon peuple. Le poisson venu de Thaïlande vendu en Occident a baigné dans le sang et les larmes des jeunes de mon pays, de pauvres innocents esclaves du capitalisme mondial ! Il faut remplacer la culture de l’indifférence par la culture de la responsabilité. Vous aussi, vous devez vous indigner devant de telles injustices et de telles souffrances. » Des enquêtes récentes ont montré que cette réalité persiste et ne concerne pas que la Thaïlande.

Son témoignage fourmille d’histoires, parfois terribles, mais il est resté déterminé dans son engagement exceptionnel et il conclue : « J’ai accompagné un nombre incalculable d’âmes à la dérive, me suis fait voler mes affaires cent fois. J’ai compris qu’être prêtre est un don absolu, sans concessions, voilà mon sacerdoce. A Zokoa, je vis heureux depuis quatre décennies... »
Une personnalité vraiment exceptionnelle.

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