AMP : Vaines promesses et vrais enjeux AMP : False promises and real issues

, par  LE SANN Alain

Dans le contexte de la préparation de la conférence des Nations Unies sur l’océan, à Nice en juin 2025, qui devrait consacrer le principe de la mise en place d’AMP sur 30 % des océans d’ici 2030, le travail d’une géographe, Anne Cadoret, et d’un socio-économiste, Jean Eudes Beuret, est d’un intérêt exceptionnel. Au-delà d’une approche biocentrée des biologistes et lobbies qui promeuvent la généralisation des AMP comme une solution magique pour sauver l’Océan et radicalisent la protection de la nature en cherchant à exclure toute activité humaine, ils défendent une approche culturelle, humanisée et territorialisée des AMP, prenant en compte les savoirs et les aspirations des communautés de pêcheurs.

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Comme le dit un pêcheur chilien : « Ceux qui protègent, c’est nous » et Beuret et Cadoret s’interrogent : « Peut-on protéger sans considérer ceux qui, pour leur survie, n’ont guère d’autre choix que de se tourner vers l’exploitation des ressources marines ? ». Ils ont étudié de manière approfondie 13 Aires Marines Protégées réparties sur tous les océans. Ils ont constaté que toutes se heurtent à des difficultés, qu’elles génèrent des conflits et des blocages plus ou moins résolus.

Le statut d’AMP ne garantit pas une protection

Les AMP sont conçues sur la base d’un modèle générique, imposé par des biologistes, qui ne prend pas en compte les cultures, les communautés, leurs savoirs, leurs aspirations. Ces AMP se fondent sur une vision étriquée du développement durable réduit à ses aspects bio-économiques dans un contexte où « l’environnement libéral est marqué par une surenchère quantitative d’activités économiques, d’objectifs de conservation, d’AMP, de contrats et de réglementations ». Dans la réalité, la création d’une AMP engage un processus, mais celui-ci ne fonctionne pas s’il n’y a pas d’acceptation sociale et locale d’un cadre autoritaire que les auteurs considèrent justement comme l’expression d’un colonialisme bleu qui est « surtout une colonisation de la pensée, une façon de penser la nature et la conservation qui est imposée à tous, et partout, sans égard pour toute pensée autochtone ». « Ce qui est en jeu ce n’est pas tant l’expulsion des populations que leur marginalisation ». Ce modèle d’AMP se fonde sur trois illusions « statutaire, surfacique, normative ». Un statut unique inadapté aux communautés et territoires entraîne des blocages. Ce n’est pas non plus un élargissement à l’infini des surfaces en AMP qui améliore la situation, car une AMP nécessite des financements, des contrôles. Trop de contraintes peuvent entraîner des pratiques illégales parce qu’elles ne tiennent pas compte des priorités des communautés. Ainsi sur les côtes africaines : « Quelle est la légitimité des actions menées en faveur des tortues marines, poisson-scies et mulets ? Pourquoi ne pas privilégier les sardinelles, tassergals et poulpes ? Non seulement cette sélection est socialement discutable mais en outre elle est écologiquement peu pertinente » comme le rappelle la géographe M-C Cormier Salem, citée par nos auteurs. Les pêcheurs bretons se posent la même question quand on protège des dauphins surabondants tandis que personne, en dehors d’eux, ne s’inquiète de la disparition des crabes tourteaux et des pêcheurs qui en dépendent. Ils sont moins médiatiques. « Le marché du financement privé et même public oriente l’action vers des espèces et des actions visibles, esthétiques et aptes à créer une certaine sympathie ». C’est ainsi que Paul Watson devient le modèle du sauveur des océans alors même qu’il se caractérise par son anti-humanisme, réduit à une simple misanthropie par les médias.

Dépossession, exclusion, marginalisation

Les conflits dans les AMP sont généralisés et permanents. Ils trouvent leur source dans le modèle imposé. Les conflits ne sont pas seulement des conflits d’intérêt ou d’usage, ils ont aussi des aspects sociaux, culturels, territoriaux. « Le statut de réserve intégrale revendiqué par les scientifiques n’est pas acceptable pour des populations qui défendent leur droit d’exister sur un territoire qui fait partie intégrante de leur identité ».
Une communauté ne veut pas « laisser son avenir entre les mains d’ONG, d’environnementalistes, de techniciens et de politiques sans connaissance de leur histoire ». Les pêcheurs ont un sentiment de souffrance, de dépossession très vif, d’incompréhension, d’injustice. On nie leur identité sociale et culturelle. Ils ne sont pas opposés à une politique de conservation, à condition d’être reconnus dans leurs savoirs, écoutés et respectés. Ils ont le sentiment qu’ils paient d’un prix fort la conservation alors que d’autres sont exempts de contraintes. « La protection de l’environnement rassemble, c’est la façon de la penser et de la mettre en œuvre au sein de l’AMP qui divise ». On leur impose des données scientifiques non discutables, hégémoniques, des réglementations sans construction d’accords, des statuts figés face à un environnement en mouvement. La relation terre-mer n’est pas prise en compte alors qu’elle a un rôle majeur dans la dégradation des eaux.
Les conflits sont inévitables mais il faut les domestiquer pour en limiter les effets, organiser la concertation et rendre le conflit constructif en innovant et en évitant les procédures trop rigides.

Contre le colonialisme bleu, territorialiser les AMP.

Le colonialisme bleu selon Beuret et Cadoret est un système fondé sur trois dimensions : « la colonialité du pouvoir..., la colonialité du savoir... et la colonialité de l’être ». Ce colonialisme s’exprime autant à l’échelle internationale qu’à l’échelle locale ou régionale. Si l’on veut utiliser les AMP comme outils de conservation, il faut briser le modèle et le redéfinir sur la base de la diversité culturelle et d’une vision du développement durable repensé dans sa complexité en fonction des territoires. Ils avancent pour cela dans leur conclusion plusieurs pistes. Parmi celles-ci, une hiérarchisation des normes et des priorités en fonction des réalités locales. Il faut aussi des instances de dialogue ouvertes et permanentes. Les études scientifiques doivent être conçues pour compléter les savoirs locaux et non l’inverse, cela permet de mobiliser les savoirs des communautés pour les mettre en dialogue avec les savoirs scientifiques. Il faut aussi considérer que les sciences humaines font partie des savoirs scientifiques à mobiliser.
Pour résumer leurs propositions, il faut territorialiser les AMP en prenant en compte la diversité culturelle, les enjeux locaux, les aspects sociaux et les liens terre-mer. Ainsi les AMP peuvent être acceptées socialement « si on met en œuvre une conservation considérant conjointement des peuples et des socio-systèmes ». Les auteurs donnent des exemples d’AMP qui mettent en œuvre au moins partiellement ces principes. Cela suppose tout d’abord de mettre fin à la surenchère des pourcentages de surfaces mises en AMP qui mobilise les lobbies environnementalistes, leur permettant de convaincre les Etats et les Nations-Unies. C’est bien ce qui se passera à Nice en Juin 2015 avec l’appui du gouvernement français. Mais ces processus autoritaires montrent vite leurs limites et entraînent des réactions qui peuvent bloquer les mesures nécessaires. Les propositions de Cadoret et Beuret peuvent prouver leur pertinence face à ces blocages prévisibles. Ils rejoignent aussi assez largement nos propres analyses et propositions.
La réalité finit toujours par imposer sa loi face à des idéologies de la conservation et de la préservation qui mènent à des impasses et s’avèrent donc inefficaces.
« Il s’agit de défendre une seule conservation de la nature et des peuples qui y vivent et en vivent » concluent Beuret et Cadoret. Beau programme.

Alain le Sann. Juillet 2024.

In the run-up to the United Nations Conference on the Oceans, to be held in Nice in June 2025, which should enshrine the principle of establishing MPAs in 30% of the oceans by 2030, the work of a geographer, Anne Cadoret, and a socio-economist, Jean Eudes Beuret, is of exceptional interest. Going beyond the biocentric approach of biologists and lobbies who promote the generalisation of MPAs as a magic solution to save the ocean and radicalise nature protection by seeking to exclude all human activity, they defend a cultural, humanised and territorial approach to MPAs, taking into account the knowledge and aspirations of fishing communities.

As a Chilean fisherman said : ‘We are the ones who protect’, and Beuret and Cadoret ask themselves : ‘Can we protect without considering those who, in order to survive, have little choice but to turn to the exploitation of marine resources ? They made an in-depth study of 13 Marine Protected Areas spread across all the world’s oceans. They found that all of them face difficulties, generating conflicts and deadlocks that are more or less resolved.

MPA status does not guarantee protection

MPAs are designed on the basis of a generic model, imposed by biologists, which takes no account of cultures, communities, their knowledge or their aspirations. These MPAs are based on a narrow vision of the world.
These MPAs are based on a narrow vision of sustainable development reduced to its bio-economic aspects in a context where ‘the liberal environment is marked by a quantitative overkill of economic activities, conservation objectives, MPAs, contracts and regulations’. In reality, the creation of an MPA initiates a process, but it will not work if there is no social and local acceptance of an authoritarian framework that the authors consider to be the expression of a blue colonialism that is ‘above all a colonisation of thought, a way of thinking about nature and conservation that is imposed on everyone, everywhere, without regard for any indigenous thinking’. ‘What is at stake is not so much the expulsion of populations as their marginalisation’. This MPA model is based on three illusions : status, surface area and standards. A single status that is ill-suited to communities and territories leads to blockages. Nor will an infinite extension of MPA areas improve the situation, because an MPA requires funding and controls. Too many constraints can lead to illegal practices because they do not take into account the priorities of communities. For example, on the African coast : ‘What is the legitimacy of actions to protect sea turtles, sawfish and mullets ? Why not give priority to sardinella, tassergals and octopus ? Not only is this selection socially questionable, it is also ecologically irrelevant’, as the geographer M-C Cormier Salem, quoted by our authors, points out. Fishermen in Brittany ask themselves the same question when it comes to protecting overabundant dolphins, while nobody outside them is worried about the disappearance of edible crabs and the fishermen who depend on them. They get less media coverage. ‘The market for private and even public funding directs action towards species and actions that are visible, aesthetically pleasing and likely to create a certain amount of sympathy’ This is how Paul Watson became the model of the saviour of the oceans, even though he is characterised by his anti-humanism, reduced to simple misanthropy by the media.

Dispossession, exclusion, marginalisation

Conflicts in MPAs are widespread and permanent. They are rooted in the imposed model. Conflicts are not just conflicts of interest or use ; they also have social, cultural and territorial aspects. ‘The strict reserve status claimed by the scientists is not acceptable to local people who are defending their right to exist in a territory that is an integral part of their identity’.
A community does not want to ‘leave its future in the hands of NGOs, environmentalists, technicians and politicians with no knowledge of their history’. The fishermen have a strong feeling of suffering, of dispossession, of incomprehension and injustice. Their social and cultural identity is being denied. They are not opposed to a conservation policy, provided that their knowledge is recognised, listened to and respected. They feel that they are paying a high price for conservation while others are free from constraints. ‘Environmental protection brings people together ; it’s the way in which it is conceived and implemented within the MPA that divides them’. We are imposing on them hegemonic scientific data that cannot be discussed, regulations that do not involve the construction of agreements, statuses that are fixed in the face of a changing environment, and so on. The land-sea relationship is not taken into account, even though it plays a major role in water degradation. Conflicts are inevitable, but we need to tame them to limit their effects, organise consultation and make conflict constructive by innovating and avoiding overly rigid procedures.

Against blue colonialism, territorialise MPAs.

According to Beuret and Cadoret, blue colonialism is a system based on three dimensions : ‘the coloniality of power..., the coloniality of knowledge... and the coloniality of being’. This colonialism is expressed as much on an international scale as on a local or regional one. If we want to use MPAs as conservation tools, we need to break with the model and redefine it on the basis of cultural diversity and a vision of sustainable development rethought in all its complexity as a function of territories. In their conclusion, they put forward several avenues for achieving this. These include prioritising standards and priorities according to local realities. There is also a need for open and permanent forums for dialogue. Scientific studies should be designed to complement local knowledge, rather than the other way round, so that community knowledge can be mobilised and put into dialogue with scientific knowledge. The human sciences should also be considered as part of the scientific knowledge to be mobilised.
To sum up their proposals, MPAs need to be territorialised, taking into account cultural diversity, local issues, social aspects and links between land and sea. In this way, MPAs can be socially accepted ‘if conservation is implemented that takes joint account of communities and socio-systems’. The authors give examples of MPAs that at least partially implement these principles. This presupposes, first of all, an end to the bidding war over the percentage of surface area set aside for MPAs, which mobilises environmental lobbies, enabling them to convince States and the United Nations. This is exactly what happened in Nice in June 2015, with the support of the French government. But these authoritarian processes quickly show their limits and lead to reactions that can block the necessary measures. Cadoret and Beuret’s proposals can prove their relevance in the face of these foreseeable obstacles. They are also broadly in line with our own analyses and proposals.
Reality always prevails in the end, in the face of ideologies of conservation and preservation that lead to dead ends and therefore prove ineffective.
‘It’s a question of defending the conservation of nature and the people who live in it’, conclude Beuret and Cadoret. A fine programme.

Alain le Sann

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