Le Sénégal fait face depuis plusieurs années à des départs quotidiens depuis ses côtes à destination des Canaries, porte d’entrée de l’Europe, via une route maritime atlantique de 1500 km particulièrement mortifère, aux larges des côtes ouest-africaines. L’immigration clandestine est la 1ère cause d’insécurité au Sénégal. Elle concerne surtout les jeunes hommes qui s’embarquent sur des pirogues d’une vingtaine de mètres où l’on entasse des dizaines de passagers. La traversée coûte entre 400 000 et 500 000 FCFA par personne (610 € à 724 €).
En janvier/ février 2023, 1865 migrants sont arrivés aux Canaries (source : International Organization for Migration). D’après les chiffres du ministère de l’Intérieur Espagnol, les Canaries ont vu débarquer 39910 migrants en 2023, venus d’Afrique de l’Ouest dont une majorité de Sénégalais, soit plus du triple du nombre enregistré sur la même période en 2022. Plus de 6600 migrants ont péri ou sont portés disparus.
RFI (Radio France International) relate par exemple qu’en septembre 2023, 600 personnes ont été interceptées en 3 jours par la marine Sénégalaise.
Les départs de pirogues depuis les îles du Saloum sont de plus en plus nombreux.
• Témoignages de 2 équipages de navigateurs qui étaient en mission pour Voiles Sans Frontières (VSF) dans le Saloum cette année et de Seydou, correspondant local de VSF
• D’après des informations locales plus de 20 jeunes sont partis de Diogane cette année... 15 sont arrivés à destination, trois ont perdu la vie en mer et deux rescapés sont rentrés au village.
• Apparemment la situation à Niodior est encore pire. Il y aurait aussi eu plusieurs départs récents de 18 pirogues depuis le Village de Bassar, avec des jeunes hommes et femmes et des enfants, de toute la région du Saloum.
• Nous avons pu constater alors que nous étions sur place à Dakar, que 3 pirogues avec environ 300 passagers ont été déroutées et les passagers ont été rapatriés. Il y avait à bord un bébé de moins de 6 mois. »
Témoignage de Seydou, correspondant local de VSF
« Je confirme ces témoignages tout en ajoutant qu’à l’heure actuelle les prisons sont bondées de jeunes insulaires du Saloum, arrêtés comme capitaines de pirogues clandestines. Rien qu’ici à Nghadior nous en avons 4. Quant aux décès, on touche du bois pour l’instant, mais l’océan est jonché de cadavres…
Côté sécurité l’état Sénégalais avec l’aide de la marine Espagnole a mis en place les moyens, mais malheureusement les pirogues continuent toujours de partir…
En ce qui concerne les gains, les passeurs se frottent les mains pour avoir gagné entre 400 000 et 500 000 FCFA par personne. Ces derniers mois, de nombreux jeunes faisaient la ronde sur les plages à la recherche de pirogues clandestines. »
Témoignage de Nathalie Régis
J’ai passé un mois à Dionewar au printemps 2024. Pendant cette courte période, 2 tentatives de départ clandestin ont été déjouées.
Quatre jeunes sénégalais ont volé au petit matin la pirogue d’un pêcheur. Sans doute peu expérimentés dans le maniement de cette embarcation dans le grand bolong où les bancs de sable nombreux provoquent des brisants et parce que le vent soufflait, ils ont chaviré. Un jeune a perdu la vie.
Près de l’ancien hôtel Delta Niominka, un départ de plusieurs personnes a aussi été intercepté en pleine nuit sur la plage. D’après les informations recueillies, les candidats à ce départ étaient de nationalité sénégalaise mais aussi guinéenne et gambienne.
Les causes de ces exodes sont multiples :
• La première cause est certainement la précarité économique et la pauvreté. Les habitants des îles vivent surtout de la pêche.
La surpêche et la surexploitation de la ZEE (Zone économique exclusive) où la pêche industrielle étrangère condamne la pêche artisanale des habitants du Saloum.
L’augmentation de la salinité de l’eau dans les bras de mer des bolongs diminue la réserve halieutique aussi bien en petits poissons qu’en coquillages. Le ramassage des huitres, pagnes et murex pratiqué par les femmes est significativement réduit malgré le respect par les cueilleuses du repos biologique de plusieurs mois.
• Le manque de perspectives ressenti par les jeunes, avec un taux de chômage des jeunes qui dépasse les 25 % au Sénégal. Une expression populaire connue au Sénégal décrit de façon effrayante le besoin des jeunes « Barca Wala Barsax » Barcelone ou mourir en essayant.
• L’accès à internet véhiculant une image erronée de la réalité de la vie une fois en Europe
• L’image et l’influence de la diaspora Sénégalaise qui a immigré à l’étranger. Certains ont réussi et se font construire de belles maisons dans leur village d’origine ; vecteur de tentation vers un possible Eldorado européen.
Ainsi de nombreux jeunes pêcheurs du Saloum ne trouvent plus assez de travail sur place et sont donc tentés de partir, parfois poussés par leur famille qui peuvent aussi contribuer à trouver la somme nécessaire. D’autres partent également par manque de confiance en l’avenir bien qu’ils aient un emploi.
l’Etat sénégalais se mobilise comme le dit Seydou. En juillet 2023, le CILMIL Comité Interministériel de Lutte contre l’Emigration Clandestine (ministère de l’Intérieur) a déployé des stratégies de lutte sur 10 ans :
• Le renforcement de l’accès à l’Education et à la Formation,
• Le soutien à l’entreprenariat pour la création d’emplois,
• La meilleure gestion des frontières en coopération avec les pays européens.
Dans son 1er discours, le nouveau président de la république, Monsieur Bassirou Diomaye FAYE a dit : « J’ai une pensée particulière pour les femmes et les jeunes ; une partie importante des ressources de la nation sera mobilisée pour abréger leur souffrance et manque de perspectives ».
Nous espérons que l’espoir renaîtra dans le cœur de la jeunesse sénégalaise et que petit à petit l’envie d’un ailleurs s’estompera. VSF apportera sa petite contribution pour l’Education, pour le développement d’Activités Génératrices de Revenus comme elle l’a toujours fait.
Relevons ensemble nos manches pour un monde plus juste et pour les îles du Saloum.
Michel Lubin, Marine Bardonnet, Nathalie Régis.
Pour aller plus loin :
Le film « Moi, Capitaine » du réalisateur italien Matteo Garrone
Le livre de l’autrice très connue Fatou Diome « Celles qui attendent », Fatou Diome est originaire de Niodior.
Le livre pour la jeunesse : « La Traversée » de Jean-Christophe Tixier chez Rageot
Le reportage sur ARTE « Sénégal : l’Exode des pêcheurs ».
https://www.arte.tv/fr/videos/116628-000-A/senegal-l-exode-des-pecheurs/?fbclid=IwAR1IsdFZlP0yIV0Wtj--ihxYf-SUzvnEl9YlJctvxD3683DnIpJI202KTc0_aem_AU93t6ElTfnN0_hMTnoiHwvzWY3dkVMkfXP3328stXRRg7aH5M15vwej6SKmx2XXorMtBXUtK_ee1NeqCNfrt6B3