Des situations diverses
Même pour les seules sardinelles il faut prendre en compte des situations très disparates en fonction des secteurs géographiques. Le Sud des eaux contrôlées par le Maroc, devant l’ancien Sahara espagnol, est riche de plusieurs stocks très modérément exploités, le facteur limitant étant souvent le marché. Le Maroc s’est en outre doté des moyens requis pour suivre scientifiquement l’évolution de ses ressources. A l’inverse le Sénégal dispose de moins de ressources et est grand consommateur de petits pélagiques gravement surexploitées. La recherche halieutique utile à la gestion des pêches est en outre au Sénégal en position de faiblesse, et très en retrait par rapport aux années 70 ou 80. La Mauritanie est dans une situation qui était favorable aux ressources pélagiques, mais s’est récemment dégradée.
Le problème principal n’est pas celui de la pêche au large.
Là où une situation de surpêche existe, le facteur principal n’en est certainement pas la pêche au large par des navires de grande taille. Hors du plateau continental les ressources halieutiques, faibles en général, ne comportent pas de petits pélagiques. Si des navires de grande taille pêchaient au large des plateaux continentaux, ils seraient aisément détectables sur des images satellitaires. Historiquement des chalutiers pélagiques spécialisés de grande taille, notamment néerlandais, ont opéré dans la ZEE Mauritanienne, sur la partie du plateau continental la plus éloignée des côtes, en ciblant les sardinelles. Ils ont fait à l’époque l’objet d’accusations non fondées car ils n’étaient autorisés à pêcher qu’au large, et ne capturaient effectivement que des sardinelles adultes de grande taille. Ils n’opèrent plus dans la zone. A l’époque où les grands chalutiers pélagiques Néerlandais pêchaient des sardinelles devant la Mauritanie l’abondance des stocks de sardinelles fluctuait, sans montrer de tendance, ni de signe de danger biologique. De grands navires russes continuent à opérer dans la ZEE, mais ils ciblent des espèces (maquereau espagnol, chinchard..) dont les stocks ne suscitent pas d’inquiétude.
L’effort effectif des navires de petite et moyenne taille a en revanche cru devant le Sénégal et la Mauritanie, du fait d’une part des licences accordées à des senneurs de pays tiers (essentiellement Turquie), d’autre part de l’efficacité des pirogues motorisées. Au moins devant la Mauritanie une part importante des débarquements est absorbée par des usines produisant de la farine de poisson, avec notamment pour destination l’aquaculture chinoise.
La question des pêches minotières est grave

Manifestation à Kayar contre une usine espagnole de farines de poisson
Les signes de surexploitation des sardinelles rondes et plates se sont multipliés ces dernières années. En Mauritanie les points de débarquement sont en nombre réduit, ce qui est un atout pour le contrôle. La difficulté majeure pour le contrôle y tient à la part prise par les usines de transformation en huiles et farines, où il est très difficile de suivre la composition par espèce et taille des captures.
Au Sénégal le premier obstacle pour un contrôle efficace tient à l’éclatement des débarquements sur de nombreux points et par un grand nombre de navires. Il n’existe même pas à ce jour une règlementation qui protège les juvéniles. Le Sénégal n’a toujours pas absorbé, par une gestion rigoureuse des pêches, les conséquences de la motorisation des pirogues, et de l’afflux sur les côtes de victimes de la sécheresse venus de l’intérieur du pays gonfler les populations de pêcheurs.

Construction de nouvelles pirogues à Santa Yalla
Une telle gestion constitue à vrai dire un défi très difficile. Les pays tiers ont une part de responsabilité dans la détérioration des ressources de petits pélagique devant le Sénégal et, à un degré moindre, la Mauritanie.
Le problème majeur n’est pas lié aux captures par de grands navires battant pavillon de ces pays tiers, mais au contrôle économique d’un certain nombre d’armements et de circuits de distribution/transformation. La question des pêches minotières mal contrôlées est particulièrement grave, et ne suscite que trop peu d’échos.
L’aide apportée par les pays tiers à la Mauritanie et au Sénégal n’est pas non plus à l’abri de toute critique. Elle est loin d’être ciblée sur les besoins majeurs en termes de recherche pertinente pour gérer les pêches, accorde peu d’importance aux actions de contrôle qui seraient les mieux adaptées au contexte.
La fable selon laquelle la difficulté proviendrait surtout de grands navires opérant clandestinement évite enfin et surtout au Sénégal d’avoir à faire face à ses responsabilités en termes de gestion et contrôle des pêches.
Alain Laurec, juillet 2024
Alain Laurec a été Directeur au sein du service de la Commission européenne chargée des pêches. Il a aussi été au sein de l’Ifremer Directeur chargé des pêches et de l’aquaculture
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lemarin.ouest-france.fr/peche/tribune-la-peche-francaise-en-danger-