La légine, une pêcherie très contrôlée
Q : Tu as fait la légine durant combien de temps ?
R : J’ai fait 3 embarquements à la légine.
Q : C’est intéressant ?
R : Oui, c’est une pêche très surveillée, très encadrée, qui marche. Les quotas sont attribués tous les ans. A bord, il y a un contrôleur (et non pas un observateur) qui intervient pour « faire la police ». Le dernier à bord qui décide, c’est quand même le patron. Après, lui fait un rapport.
Q : C’était au chalut ou à la palangre ?
R : A la palangre. Il n’y a plus de chalut depuis 2001-2002 quand les palangriers ont été construits par Piriou à Concarneau pour la SAPMER, la Comata-Scapêche, Cap Bourbon, Pêche Avenir de Laurent Virapoullé.
Q : Combien de bateaux ?
R : Huit, 4 chez Sapmer, 1 pour la Comata, 2 pour Laurent Virapoullé, Cap Bourbon en a 1.
Q : C’est quand même important. Un bateau c’est combien d’équipage ?
R : Oui, c’est important, entre 25 et 30 ; des Réunionnais, des Africains du Sud, des Malgaches et l’état- major, c’est des Bretons à 90 %.
Q : L’importance de cette pêche est peu connue.
R : C’est des pêches lointaines, on est par 50° Sud, 70° Est, Kerguelen, c’est ça. Pour y aller, il faut prendre l’avion puis appareiller de la Réunion, faire 6 jours de route pour s’y rendre suivant les conditions climatiques. 6 jours, s’il fait beau ; c’est une expédition. Les campagnes se font sur 75 à 90 jours.
Avec les hauturiers boulonnais, le problème principal c’est qu’il faut trouver des marins
Q : Depuis ce temps, tu es sur un armement boulonnais.
R : Oui, Euronor, fusion de l’armement Le Garrec et Nord- Pêcheries ; 5 bateaux, chalutiers de pêche fraîche. Au départ, ils avaient une douzaine de bateaux, au fil du temps, comme dans tous les ports…
Q : C’est en Mer du Nord ?
R : En Mer du Nord, Norvège, Feroé, Shetland.
Q : Il y a des accords particuliers ?
R : Bien sûr, il y a l’Union européenne qui négocie différents quotas. Ces quotas se réduisent.
Q : Pourquoi ? A cause d’une baisse de la ressource ?
R : Il y a plusieurs facteurs. Il y a une légère baisse de la ressource. C’est plutôt un tassement. Les quotas sont redistribués, car c’est bien beau d’avoir les quotas, mais il faut des bateaux et sur les bateaux, des marins et il y a de moins en moins de marins.
Q : Un des plus gros problèmes ce n’est pas la ressource ?
R : Non, c’est les marins, les jeunes ne veulent plus partir un mois de chez eux, en mer du Nord ou ailleurs, faire la pêche dans des conditions pas toujours évidentes, alors que sur certaines pêches, ils vont gagner autant, voire plus, en étant sur le littoral en faisant la pêche côtière, en partant juste une semaine et passer le WE en famille. Les jeunes de maintenant ne sont plus les mêmes qu’il y a 35 ans. La mentalité n’est pas la même.
Q : Donc les équipages sont constitués…
R : Bien sûr de Français, de Polonais et quelques Espagnols et Portugais. S’il n’y avait pas ces gens-là, les bateaux auraient énormément de mal à partir. Et pourtant Boulogne est le premier port de pêche en France, il y a un lycée maritime, mais très peu se dirigent vers cette pêche, ou les gars font une partie de leur carrière à la pêche, commencent, valident leur brevet, partent à l’Offshore. Avant beaucoup partaient au thon, mais Saupiquet a fermé, il y a un armement en moins, Sapmer a dégraissé sa flottille aussi et CFTO n’est pas très en forme non plus, repris par les Hollandais Parlevliet & Van der Plas.
Q : Les bateaux d’Euronor sont les seuls hauturiers ?
R : Oui, autrement il reste encore les 24 m d’Etaples qui font la Manche et le sud de la Mer du Nord.
Un avenir menacé
Q : Pour toi quel est l’avenir de cette pêche ?
R : Je suis inquiet, on arrive à une population de marins qui ont la cinquantaine. A la passerelle, on est trois, tous à plus de cinquante ans, donc la retraite approche et il n’y a pas de relève derrière. Les gars font un passage à la pêche et se dirigent vers autre chose, le transport de passagers ou l’éolien. Maintenant comme on construit des champs d’éoliennes un peu partout sur le littoral, certains se dirigent vers çà aussi. Mais faire une carrière complète à la pêche au chalut, ça n’existe plus.
Q : Parlons de la ressource. Qu’est-ce que tu pêches ?
R : Essentiellement du lieu noir, en moindre quantité, la morue, du merlu, de l’églefin, de la julienne. C’est du poisson pour les collectivités, à fileter pour les écoles, les maisons de retraite, les hôpitaux.
Q : C’est un poisson qui n’est pas très cher, à part la morue.
R : Oui
Des contrôles rigoureux
Q : Comment ça se passe quand vous naviguez dans les eaux des Feroë, de Norvège, des Shetland.
R : On a une déclaration à faire quand on rentre dans les eaux d’un pays. Il y a un logbook, un journal de bord. Quand on part du port, généralement de Hanstholm au Danemark, maintenant on commence à débarquer en Ecosse. Suite au Brexit, on n’y allait plus. Seule la Scapêche continuait à aller à Lochinver. Là, c’est reparti. Il y a eu 2-3 rotations. On fait une entrée de zone dans les eaux britanniques soit dans les eaux norvégiennes ; on reçoit un message de confirmation.
Q : Après vous avez des contrôles en mer ?
R : Ca arrive ; le dernier qu’on a eu, c’était avant l’été. Autrement, c’est sous les criées. Les contrôleurs contrôlent les espèces, nos déclarations. Généralement, ça se passe bien parce que toutes les espèces sont pesées à bord en caisses de 22 ou 27 kg, calibrées, taille par taille et il y a la date dessus. Une espèce par caisse.
Q : C’est extrêmement rigoureux.
R : Oui.
Q : Aujourd’hui, il y a des associations comme Bloom qui demandent l’interdiction de la pêche industrielle, du chalut.
R : Oui, on est des « pillards des mers », mais toutes les espèces qu’on pêche sont soumises à un quota, discuté en fin d’année à la Commission européenne, sur la base de données scientifiques. A bord des bateaux on embarque des observateurs. Ils ont les données, transmises à la Commission européenne. IFREMER fait aussi des prélèvements en mer.
Q : Il y a un observateur sur chaque bateau ?
R : Il y a un observateur qui vient de temps en temps. En général, on en a un tous les mois et demi. Il fait 10 jours avec nous. Ils appartiennent au bureau Veritas.
Q : Les contrôles sont vraiment permanents ?
R : Oui, les débarquements sous criées sont comptabilisés ;
Q : Toi, tu ne constates pas d’effondrement de la ressource ?
R : Un effondrement, non, un tassement.
Q : Vous passez régulièrement sur les mêmes endroits et la ressource est là ?
R : Oui, il est vrai qu’il y a moins de bateaux aussi. Il y a moins de pression, moins d’effort de pêche de notre côté, mais du côté anglais, il y a peut-être plus d’effort de pêche. Côté norvégien, l’effort reste soutenu ; la baisse est surtout du côté français. Il suffit de regarder l’évolution des ports comme La Rochelle, Lorient, Douarnenez, Fécamp, Saint Malo. Malheureusement tous nos ports de pêche sont en train d’installer des pontons pour les voiliers. C’est une économie, il y a juste à ouvrir les yeux. Quand j’ai commencé en 1987, il y avait 17 gros chalutiers industriels, entre l’armement Jégo-Quéré, l’armement Lucas, l’armement Met, l’armement Scaviner. La Scapêche n’en a plus que 2. Il s’est passé quelque chose en 37 ans, ce n’est pas juste qu’à Lorient.
L’impact du réchauffement est sensible
Q : En dehors d’un tassement dans les ressources, est-ce qu’il y a un changement dans les espèces ?
R : Il y a un changement, oui. On constate depuis 4-5 ans que les eaux se réchauffent. Il y a 4-5 ans, la température idéale pour pêcher le lieu noir, c’était 8-9° sur les fonds de 150 à 300 m. maintenant le réchauffement amène un déplacement du poisson vers le nord, mais on n’a pas accès à ces zones.
Q : Le lieu noir est-il remplacé par d’autres espèces ?
R : Non, on n’a pas l’impression, par contre on a constaté cette année des quantités de merlan bleu, comme on n’en a jamais vu. D’habitude, ils sont un peu plus bas.
Q : Une question concernant les rejets. Est-ce que vous avez beaucoup de rejets ?
R : Non, en fait très très peu ; sur le fonds qu’on travaille, il y a très peu de diversité. Ce sont des bancs ; on travaille beaucoup à la détection, donc, il y a très peu de rejets.
Q : Est-ce qu’il y a une baisse de la taille des poissons ?
R : Non, je n’ai pas l’impression.
Q : En conclusion, ce qu’on peut dire, c’est qu’une des grandes causes de l’effondrement de cette pêche industrielle, c’est vraiment l’aspect humain ?
R : C’est le désintérêt. Avant on disait, c’est un métier de courageux, mais maintenant on est des pillards, on vide les mers.
Q : Toi, depuis 30 ans que tu pêches, tu n’as pas cette impression-là ?
R : Non au contraire, on participe à nourrir les populations, on fait tourner une économie.
Q : La légine, çà peut tenir au contraire ?
R : Je pense que oui. Humainement, le fonctionnement n’est pas le même. Les gars partent 3 mois, c’est un embarquement en mer, puis la même durée à terre. Je sais bien que partir 6 mois dans des mers difficiles… mais pour nous en Mer du Nord, c’est entre 225 et 250 jours, légalement par an. C’est pas les mêmes conventions collectives. Au thon, c’est pareil, mais là, même si on part 2 mois, c’est pas dur de faire la valise, c’est un short, un teeshirt...2 mois en Mer du Nord, c’est pas la même affaire.
Le prix de l’énergie a été multiplié par 10 quand le prix du poisson a peu augmenté
Q : Si cela doit évoluer, il faudra tomber à combien de jours ?
R : 6 mois, 6 mois, je pense. Mais bon, est-ce que c’est viable pour les armements ? Il faudrait augmenter l’équipage et il faudrait trouver, c’est là le problème. A l’avenir, ce n’est pas la ressource, mais le personnel qui va manquer. Un jour, est-ce qu’il y aura toujours des officiers français et puis pour le reste des non Européens comme ça se passe sur les bateaux franco-espagnols ? On embaucherait des Philippins. Même en Ecosse, ils ont des Philippins, qu’ils ne payent pas pareil...et ces gens-là partent 1 an de chez eux. C’est pas un billet d’avion A-R tous les mois. Ils sont courageux, ces gens-là. Il y a aussi un autre problème, le chalut, c’est gourmand en carburant. Moi, quand j’ai commencé à naviguer, on payait le gasoil 55 ct de F, on est rendus à le payer 90 ct d’€, donc 10 fois plus. Le prix moyen du poisson, quand j’ai commencé, c’était 10 F soit, 1,5€, maintenant c’est 1,8€, 12–13 F, la progression n’est pas du tout la même. Le prix a augmenté, mais pas assez par rapport au gasoil.
Q : Parce que ce sont des espèces de masse ?
R : Oui, c’est pas des espèces de niche, mais c’est de la nourriture qui permet de nourrir à des prix abordables.
Q : L’énergie, c’est la limite pour ces bateaux-là, il n’y a pas de solution pour l’instant.
R : Non, les bateaux ont 20 ans, ils sont conçus pour le gasoil. Est-ce que dans l’avenir l’hydrogène… ? Mais je ne vois pas encore de solution.
Un métier de passion
Q : Est-ce que la palangre… ?
R : Mais la palangre n’est pas adaptée à ces espèces-là.
Q : Il faut de l’appât.
R : L’appât, c’est du maquereau ou de l’encornet, donc, ça ne vaut pas le coup. La Scapêche a essayé avec un ancien chalutier transformé en palangrier, l’Héliotrope, ça n’a pas marché du tout, du tout.
Q : Ce qu’on oublie souvent dans les pêcheries dites douces, c’est l’appât qui est un élément important.
R : Oui, bien sûr. On n’attrape pas avec n’importe quoi. Ca a un coût et c’est de la nourriture aussi, du maquereau et des encornets, moi j’en mange. C’est aberrant de prendre ça pour servir d’appât. L’impact sur la nourriture, il est important.
Q : Il faut parfois 1 Kg d’appât pour 1 Kg de captures ?
R : Oui, à peu près. A la légine, on pêche sur une marée 180 T, mais il faut 60 T d’appât. Un encornet est coupé en tranches, mais il faut 30 % d’appât.
Q : Sur d’autres espèces, moins concentrées, c’est plus ?
R : Oui et l’appât, s’il n’est pas consommé, au bout de 2-3 jours, il se délite, ce n’est plus un appât.
Q : Merci beaucoup. Dans le temps, on connaissait bien ce métier, mais maintenant qu’il est plus rare, on le connaît moins, on ne le voit pas, il n’est plus présent au port.
R : On ne voit plus de marins, on ne travaille pas de la même façon, non plus.
Q : Bon courage, jusqu’à la retraite.
R : Je n’y pense pas, je suis passionné, je parle de mon métier avec passion. Le jour où je n’aurai plus la passion, je dirai : c’est bon…