Les aires marines protégées, Thème de la 26ème Journée Mondiale des Pêcheur : regard de Bertrand Fazio, expert EMR

, par  FAZIO, Bertrand

C’était le seul représentant de la filière EMR à la 26ème journée mondiale des pêcheurs.
Bertrand Fazio (*), expert du développement de projets EMR confie son point de vue à energiesdelamer.eu
Petite séance de rattrapage…
Article publié dans la lettre quotidienne le 2 décembre.
https://www.energiesdelamer.eu/2024/12/06/26eme-journee-mondiale-des-pecheurs-a-lorient/

Très intéressante 26ème journée mondiale des pêcheurs, jeudi dernier, à l’Université Bretagne Sud de Lorient sur le thème des Aires Marines Protégées. On pouvait y croiser une classe de pêcheurs étudiants du Guilvinec, des étudiants de l’UBS, des chercheurs, la directrice du WFF (World Fishworkers Forum), un pêcheur sénégalais, président de la plateforme de la pêche artisanale PAPAS, des présidents de comités des pêches bretons ou encore Daniel CUEFF, dont la conclusion courte et « offensive » fut des plus réjouissante (teaser !). Petite recension.

Jean-Eudes BEURET, professeur en gestion concertée des ressources à l’Institut Agro Rennes-Angers a présenté le résultat de comparaisons d’approches et de résultats d’AMP sur le plan mondial. Une chose est sûre : il faut se méfier de l’approche universaliste, et il vaut mieux des « règles contrats » discutées et validées entre les acteurs des territoires concernées qu’une approche règlementaire si l’on vise pérennité et réel respect des règles. Le cas des AMP créées avec des financements internationaux permettant de rémunérer une « administration/gouvernance » durant quelques années avant que le dispositif ne retombe ensuite dans une absence de toute « protection » (tout en restant comptabilisé en AMP !) ne semble pas être l’exception. La course à la tenue de l’objectif 30/30, sur lequel se sont engagés les états (30% des surfaces maritimes classées en AMP avant 2030), est un moteur qui peut s’avérer pervers, confer le classement en AMP de zones avec peu d’enjeux et donc peu de conflits, mais ainsi faciles à protéger (de quoi ?), et générant de grandes surfaces au compteur 30/30…

« La plupart des conflits dans les AMP ne sont pas entre ceux qui veulent protéger et ceux qui ne le veulent pas, mais entre ceux qui veulent protéger et qui défendent des approches et des méthodes différentes. Il convient de trouver des mesures pour gérer et non pour interdire, en prenant en compte les évolutions qui génèrent des pressions nouvelles, comme les hausses de population centrées sur une ressource donnée, l’utilisation de navires motorisés là où ils ne l’étaient pas auparavant, etc. »

Brice TROUILLET, géographe, directeur de recherche à l’Université de Nantes, a présenté les biais d’utilisation de rapports tels que celui de l’IPBES et leur instrumentalisation par des ONG comme Global Fishing Watch, avant de présenter le système VALPENA mis en place avec les comités des pêches et qui a été utilisé pour identifier les enjeux d’importance pour la pêche dans le cadre du débat public visant à définir les zones d’implantation des parcs éoliens en mer des 30 prochaines années. « Cette opération est tout sauf simple, multicritères, et son résultat dépend surtout de ce que les pêcheurs choisissent de défendre. » Avec cet axiome, en conclusion, pour reboucler avec la thématique des AMP : « Une AMP n’est pas un outil mais une expérience sociale ».

Philippe PERROT, vice-président du parc marin d’Iroise et du comité des pêches du Finistère a donné une vision positive de l’expérience de la gouvernance de ce parc : « Une AMP bien gérée et organisée peut aussi être positive pour la pêche. Au Parc Marin d’Iroise, grâce aux actions de suivi et de préservation du plan langouste, le prélèvement est passé de 50 à 200 tonnes en 20 ans. Cela prend du temps, mais c’est efficace. Une AMP, cela doit être un périmètre et une cogestion ».

Armand QUENTEL, acteur incontournable au cœur des enjeux pêche professionnelle et énergie, a questionné, depuis le public, sur le lien terre/mer et les nombreux impacts non liés à l’action des gens de mer qui ont de fortes répercussions sur les aires maritimes : acidification des océans, augmentation des températures etc. : « Les Aires Marines Protégées, mais de quoi ? »

Gabriel LAHELLEC, doctorant en sciences halieutiques à l’institut agro de Rennes, cartographie les zones de nourriceries de soles, de seiches et de bars, en s’appuyant sur la connaissance des pêcheurs. Il travaille aussi sur une méthode qui pourrait permettre de « rendre scientifique les connaissances empiriques ». Cela serait, de l’avis de tous les acteurs présents, une grande avancée qui permettait de s’appuyer plus facilement sur les connaissances approfondies des pêcheurs alors que celles-ci ne sont pas considérées dans les études scientifiques actuelles.

Margaret NAKATO, directrice exécutive du WFF (World Fishworkers Forum), venant d’Ouganda, a présenté les enjeux de la prochaine Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) qui aura lieu en juin 2025 à Nice, dont le thème principal est « Accélérer l’action et mobiliser tous les acteurs pour conserver et utiliser durablement l’océan ». On comprend sans peine l’importance des actions d’influence des parties prenantes, en particulier certaines ONG, et les conséquences possibles sur les activités traditionnelles et nourricières. Il s’agit donc de bien préparer cette échéance.

Karim SALL, pêcheur sénégalais et président de la plateforme de la pêche artisanale PAPAS, a donné l’illustration de la situation dans son pays. Entre actions de préservation mises en place par les pêcheurs et règlementation jugée outrageusement favorable à la pêche industrielle chinoise, ce fût passionnant.

Pour finir, Daniel CUEFF, très déçu de ne pas pouvoir débattre avec Fabrice LOHER, ministre délégué à la mer et à la pêche, Damien GIRARD, député écologiste de Lorient, et Olivier LE NEZET, président du comité national des pêches, tous invités mais retenus ailleurs, a évoqué deux sujets graves du moment : le risque d’interdiction du chalutage faute d’une action commune, et l’assignation en justice par des ONG sur la demande portée notamment par la Région Bretagne d’augmenter les jauges des navires de pêche pour permettre leur transition énergétique, sans augmenter, bien sûr, leur capacité de pêche. Sujet technique que je connais bien et qui restera dans l’impasse tant que ce déblocage règlementaire n’aura pu être obtenu.

Laissons à M. CUEFF le mot de la fin  : « Nous ne voulons pas de EN MEME TEMPS ni de OU mais entendons bien mettre en œuvre la cohabitation de l’éolien en mer ET de la pêche ET du nautisme. Les AMP ne doivent pas être des aires marines protégées des pêcheurs ! »

Merci au collectif Pêche et Développement (https://peche-dev.org/), à Ronan LE DELEZIR/Master AUTELI de l’Université Bretagne Sud et au World Fishworkers Forum (http://www.worldfisher-forum.org/) pour l’organisation et l’animation de cette journée.

Et merci aux partenaires qui ont soutenu cet évènement : Région Bretagne University of South Brittany cap l’orient agglomération

Programme complet de la journée : https://peche-dev.org/spip.php?article543

Bertrand Fazio [1]

Voir en ligne : https://www.energiesdelamer.eu/2024...

[1Bertrand FAZIO est présent dans le secteur de l’éolien flottant depuis le tout début de cette aventure, en 2009, lorsqu’il dirigeait Nass&Wind Industrie et son projet précurseur d’éolienne flottante WinFlow. Après des missions de développement international pour Voltalia (Mulliez) et sur le projet Makani de kyte flottant pour GoogleX, il a pris en charge le développement de projets offshore flottant pour Qair où il a notamment réuni dans une alliance tripartite inédite et prometteuse acteurs de l’éolien en mer, de la pêche professionnelle et de la défense de l’environnement

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