Plus qu’un métier, une passion à défendre ?
Il existe un vrai attachement des pêcheurs pour leur métier. Nous sommes la mer de Benat Gereka montre l’importance du monde de la pêche au Pays basque et de son lien organique avec la mer. Or aujourd’hui plusieurs facteurs remettent en cause cette vocation ancienne ! La concurrence des poissons importés, les changements et migrations des espèces, les difficultés à embaucher, des stocks variables, le regard d’ONG anti-pêche ...changent la donne. La pêche va-t-elle se réduire à une activité touristique et saisonnière ?
Une vraie ferveur demeure chez les jeunes. Mermaid-Sirène , du norvégien Eilif Bremer Landsend, montre toute la détermination de la jeune femme Sisilie qui s’engage comme patronne du bateau de pêche à la suite de son père. Et voilà un jeune breton qui ne décolère pas quand on remet en cause sa volonté d’être pêcheur. Félix contre le reste du monde de Justine Morvan et Kevin Nogues, a enthousiasmé les jeunes d’une classe de 4e de Ploemeur qui lui ont décerné le prix des collégiens : ils se sont reconnus dans ce personnage excessif par certains côtés mais combien attachant et vrai ! A 16 ans, il fait front à toutes les mises en garde, vent debout face aux réglementations de Bruxelles, aux associations anti-pêcheurs. Il s’affirme comme un résistant attaché à son territoire et à sa vocation.
Ailleurs au Canada, Nakatuenitam Innuh Aitun montre comment Edouard Kaltush s’efforce de transmettre un savoir-faire traditionnel. Il apprend à trois enfants de sa communauté amérindienne comment tresser des raquettes et pêcher le homard. Le Festival organise pour les jeunes des lycées maritimes deux journées Pêcheurs d’avenir en lien avec les professionnels, les projections. Contre vents et marées, il faut préparer un futur durable.
Sauver le pêcheur sous pression ...

Ce métier est contesté. On tire à boulets rouges contre les pratiques du chalut par exemple en Bretagne. Le film Chaluts en périls de Mathurin Peschet ne nie pas les difficultés de cette technique mais souligne les efforts des pêcheurs pour s’adapter et éviter la disparition de la pêche. Il s’agit de mieux partager les quotas souvent accaparés par les bateaux plus puissants. Il s’agit d’accompagner les pêcheurs pour assurer une transition technologique. On accuse le chalutier d’abimer les fonds sous-marins et d’être énergivore, sans doute, mais a-t-on fait le bilan carbone entre les importations des poissons, notamment du saumon, et celui des chalutiers ? Transports de la nourriture, transport pour le traitement, transport pour la vente : il n’y a pas photo, la marchandisation mondialisée et l’élevage aquacole industriel sont des catastrophes environnementales. Les fonds sous-marins sont-ils respectés par les centaines de milliers de câbles électriques qui relient les éoliennes ? Au contraire les pêcheurs adoptent des techniques pour faire évoluer les filets en fonction des fonds. Les contraintes se multiplient comme la défense de phoques ou des dauphins de plus en plus envahissants. Là encore les pêcheurs doivent être accompagnés pour éviter les accidents. Mais il faut aussi affronter la vraie réalité : l’arrêt de la pêche dans le golfe de Gascogne n’empêche pas les échouages de mammifères. Au Brésil, au Mexique, aux Etats Unis ce sont des milliers de bêtes qui arrivent sur les littoraux ! Le phénomène est beaucoup plus lié à des maladies, des transformations du milieu, à la pollution : l’interdiction de la pêche ne vise qu’à présenter les pêcheurs comme les responsables d’un problème beaucoup plus vaste. A noter que ces espèces ne sont pas menacées, leur nombre est stable mais leur concentration sur les côtes les exposent davantage. Le problème est le même avec les phoques qui progressent partout. Jean Guénette interpelle dans Pêche sous pression au sujet des phoques gloutons du Saint Laurent. Leur appétit en alevins est un frein à la recomposition des stocks halieutiques.
Faire face aux défis de l’environnement
La détérioration de la qualité des eaux marines est d’abord le fait des effets du changement climatique, des pollutions des terriens, des aménagements et des modes de consommation.

En Bolivie, les orphelins du lac Fantôme de Sophie Bontemps, réalisatrice chevronnée de l’ancienne Thalassa, est spectaculaire et émouvant. Il rapporte la détresse d’une population qui voit disparaitre le lac qui leur offrait leur nourriture sur l’Altiplano : la sécheresse provoque l’évaporation de son eau. Une véritable métaphore sur l’évolution climatique et ses effets. Autre phénomène, la côte est de plus en plus mangée par la mer, aux tropiques plus vite qu’ailleurs. Les habitants des littoraux sont délogés puis souvent réinstallés loin de leur cadre à l’intérieur du pays, perdant leur source de revenu mais aussi leur lien avec le milieu naturel : une vraie acculturation se produit, une désespérance pour les jeunes, comme au Sénégal.
Le monde des pêcheurs se heurte à des invasions plus pernicieuses. En Indonésie Joko et Putra de Jessy Trompez dénonce ce grand scandale du plastique mortifère pour les hommes et la faune : les dépôts s’entassent jusque dans les ports ! Quel avenir pour les gens de mer ? Pour le fils du pêcheur ? La pollution est multiforme sur toutes les côtes.
En France, Ronan Le Corre, pêcheur de tellines en baie d’Audierne, constate que le stock ne cesse de baisser : quel est donc cet ennemi invisible qui décime ces petits coquillages ? Catherine Le Gall, réalisatrice, mène l’enquête avec Pierre Mollo, biologiste et Geneviève Arzul, éco-toxicologue : le verdict est sans appel, les pesticides utilisés en agriculture, notamment localement pour la culture des tulipes sont en cause ! On n’oublie pas les algues vertes dues à l’accumulation des engrais nitratés.
La construction d’un barrage sur le Mékong, Les courants parallèles de Pablo Chavanel, menace un village de paysans-pêcheurs ; le réalisateur s’interroge sur cette violence faite à ces habitants d’une minorité et ose le parallèle avec le génocide opéré par les Khmers rouges.
Au Brésil, Vinicius Girnys conte l’histoire simple de Samuel et la lumière . L’arrivée de l’électricité tant attendue dans un village en bord de mer en forêt a répondu à un espoir d’amélioration de la vie quotidienne mais surprise, c’est toute une transformation qui se produit pour ces villageois-pêcheurs. Une vague de submersion de touristes citadins vient bouleverser ce cadre naturel somptueux qui échappe à la population locale.
Le grand remplacement : la pêche nourricière détrônée par l’aquaculture industrielle ?
C’est tout un système et une logique qui se mettent en place avec l’instauration dans le monde, de l’aquaculture industrielle exportatrice. Autant l’aquaculture a un rôle important à un échelon local en lien avec l’agriculture, la riziculture notamment ou pour produire des alevins, autant elle devient mortifère lorsqu’elle prend une dimension industrielle d’élevage. Au Sénégal, en Australie, au Chili, en Islande, en Norvège, Irlande, Grèce, Turquie, Albanie... cette activité explose. Est-ce l’alternative aux pêcheurs prévue par les milieux financiers et agroalimentaires ? De nombreux films dénoncent ses méfaits dans le monde, Elle remet en cause l’alimentation des peuples du Sud, provoque ruine et chômage dans toutes les filières des pêches traditionnelles. Ses impacts sur l’environnement sont considérables : pollutions chimiques et organiques, contamination de la faune sauvage, bilan carbone catastrophique, épuisement de stocks halieutiques sauvages...et, finalement, elle contribue à l’émigration les jeunes générations découragées et sans avenir.
Jusqu’au bout du monde de Francisco Augustinis fait la synthèse d’un sujet encore mal connu du grand public pourtant en pleine expansion. Le film démonte les interdépendances d’un système, emblématique du nouveau colonialisme bleu. Les impacts sont énormes sur la biodiversité, l’environnement marin, la sécurité alimentaire, la santé. Il va jusqu’à appauvrir des populations, à ruiner les filières artisanales, à rendre plus dépendants les pays du sud concernés. L’élevage de saumon, daurade, bar...connait une croissance spectaculaire s’offrant comme la solution pour nourrir la population selon ses protagonistes et malheureusement la FAO.
La réalité est différente, et de nombreuses communautés locales dénoncent et luttent contre l’expansion des fermes piscicoles responsables de pollution des eaux et d’aggravation de l’insécurité alimentaire. Sur les plages du Sénégal disparaissent les mareyeuses alors que se pressent les envoyés des firmes pour s’emparer des pêches pour produire dans leurs usines la farine de poisson destinée à l’exportation vers les pays qui pratiquent l’élevage industriel. Les multinationales tournent le dos à une production alimentaire équitable et durable, ne se préoccupent pas de la préservation des stocks halieutiques en détournant ici la pêche nourricière, ailleurs en déforestant ... Les poissons carnivores des fermes européennes ou chinoises mangent de la farine de poisson importée du Sénégal ou d’Amérique latine.

En complément de ce film, Sardinelles, une responsabilité partagée de Thomas Grand, enquête minutieusement auprès de tous les acteurs sur ce vol de nourriture. Il met en garde contre les explications trop simples en montrant les implications locales au Sénégal.
Le réquisitoire est le même en Tasmanie, Australie, Heart of the island de Mike Sampay. Ce sont aussi

des peuples premiers qui en sont les victimes comme au Chili, Corazon Salado , Daniel Casado se fait le passeur de leur demande de création d’un parc pour tenter d’interdire la mainmise des multinationales.
Lueur d’espoir, Une Nation de saumons Laxanqjoo (Islande) d’Arthur de Neumeier, remet les pendules à l’heure : il est urgent de sauver un des derniers refuges de saumons sauvages en Europe. Des Islandais se mobilisent contre les fermes piscicoles d’export et pour sauver la nature.
La production des crevettes tropicales pour le marché mondial est aussi problématique. Le documentaire-thriller The whistleblower and the shrimp de Ben Blankenship aborde le sujet : un Américain croit avoir décroché le travail de ses rêves en Inde, mais arrivé sur place il découvre que le traitement des crevettes aquacoles d’exportation en Inde est un véritable enfer social. Le prix bon marché de ces crevettes dans les supermarchés européens ou américains repose sur un esclavage moderne !
Mais il peut être dangereux de dénoncer pêche et pratiques illégales, rappelle Death at sea de Sara Pipernos (Corée du Sud) : Eritara Aati, observateur des pêches, l’a payé de sa vie.Etre réalisateur c’est aussi être lanceur d’alerte en prenant des risques.
Changeons notre consommation ?
Guillaume Lévêque met l’accent sur l’urgence de se nourrir en ayant recours aux ressources locales. Il propose au Québec Du Phoque au menu ! au lieu d’importer poulet, viande de bœuf, farine de poisson, voilà une solution pour améliorer le bilan carbone ! Plus généralement, il faut remettre au gout du jour des espèces négligées et rejetées faute de consommateurs : des campagnes sur la diversification de la consommation en fonction des lieux de pêche devraient être une priorité tant pour sauver les pêcheurs que pour préserver les ressources de l’océan.
Les travailleuses de la mer
L’édition 2025 donne plus que jamais la parole aux femmes de la mer ! Leur place a été souvent limitée aux métiers des conserveries. Le ciné-concert d’Alain Pichon, De l’atelier à l’usine en Bretagne évoque combien leur travail a été essentiel dans cette industrie de la Région. Sans queue ni tête, décorticage d’une crevette grise de Julien Brygo décortique le système d’exploitation...des ouvrières des Pays-Bas puis du Maroc ! Mexillonaria de Pablo Chouza explore l’importance économique et culturelle de l’élevage de moules dans un estuaire d’Espagne, porté par des femmes qui témoignent. Régis Croizer se met à hauteur de la ramasseuse de coquillages dans la Baie de Somme, La Baie de Reinette , une passionnée à la recherche d’un remplaçant ! Daughter at sea (Corée) est le récit émouvant des réalisatrices Nicole Gormley et Nancy Kwon : Jaeyoun Kim de l’île de Mara en Corée du Sud, égarée à Séoul pour travailler, décide de rentrer chez elle, où des générations de femmes ont travaillé comme haenyeo, « sirènes » pêcheuses.
Patrimoines, histoire de la pêche, place des scientifiques...
Evidemment le monde des pêcheurs a une longue histoire pleine de héros et de situations difficiles. Laurent Giraudineau révèle cette condition à peine croyable. Des enfants ont été quasi enlevés dans l’Ouest de la France pour devenir forçats à Saint Pierre et Miquelon au XXe siècle : Petits graviers de Saint Pierre . Les petites mains mettaient la morue à sécher sur des pierres et graviers.
Une séance spéciale cin’émoi est proposée par Alain Pichon Entre les vagues qui conte la vie d’un couple, l’un patron pêcheur, l’autre mère de famille. C’est aussi un biopic documentaire sur un moment de la grande pêche industrielle de Lorient des années 1960-70 à partir d’archives. Voilà un superbe témoignage d’une vie partagée à deux autour du métier de patron pêcheur, émouvant, chaleureux mais aussi informatif. Parallèlement au lien du couple, se déroule devant nous tout un pan de l’histoire de la pêche lorientaise des années 1960-70. Dans le contexte d’une vision productiviste de l’économie d’une part, d’une mer inépuisable à exploiter avec l’accord des scientifiques de l’époque, s’est déployée une flotte aux bateaux toujours plus gros, perfectionnés et performants. Mais en même temps ce jeune patron pêcheur qui expérimente toutes les techniques novatrices avec une parfaite connaissance des lieux de pêche garde une lucidité et un esprit critique sur les risques encourus pour l’environnement comme pour la ressource. Contraint de mettre un terme à sa carrière pour raison de santé, son départ sonne comme aussi un signal de la remise en cause d’un système qui ne pouvait durer car contraire à l’équilibre de l’écosystème marin. Novateur effectivement, Jean avait accepté d’embarquer avec lui des scientifiques qui ont apporté leur contribution à la nécessaire remise en cause d’une activité sans avenir. Ainsi cette réalisation d’Alain Pichon montée à partir de films de Jean et de réalisateurs dont les œuvres font partie du patrimoine cinématographique sauvegardé par la Cinémathèque de Bretagne, met en évidence une image du pêcheur correspondant à une période de prospérité aux fondations naturelles fragiles. Ce temps héroïque basé sur un travail difficile mais oh combien reconnu et motivant est révolu aujourd’hui dans nos eaux : la rentabilité de tels monstres de technologie n’est plus assurée, la vision de la mer et de la pêche tend à définir le métier de pêcheur comme un gestionnaire de la ressource plus qu’un chasseur-cueilleur. C’est toute une image du pêcheur qui s’est transformée sur nos côtes. Ailleurs dans le monde c’est une autre histoire.
Bien sûr Voyage de documentation de madame Anita Conti de Louise Hémon évoque la dame de mer qui a osé embarquer sur des chalutiers. Mais attention, d’autres femmes ont eu et ont de nos jours un rôle auprès des pêcheurs. La séance proposée par Alain Pichon et Alain Biseau pour le Festival « Femmes à bord : De l’observation à la science : Anita Conti (1960) Marie Henriette Dubuit (1968 à 1977) Yvanne Bouvet (1988 ...) » met en scène à partir d’archives et de films d’études le travail de ces trois femmes. Le spectateur embarque pour mieux comprendre le travail de ces femmes et à travers elles la complémentarité entre pêcheurs et scientifiques.
Pêcher pour vivre et nourrir la population en préservant la ressource
C’est un enjeu majeur, à condition que les peuples de la mer n’en soient pas exclus ! Sans doute faut-il changer le regard sur les ressources de la mer. On peut s’inspirer des peuples premiers car ils ont entretenu une relation vitale avec la nature et ses ressources. Au Chili, Daniel Casado dans Corazon Salado conte l’histoire de ce surfeur écologiste qui soutient le peuple Kawésqar. Cette communauté indigène colonisée de la Patagonie lutte pour protéger ses eaux ancestrales contre l’industrie du saumon, qui détruit leur écosystème fragile.
Au Sénégal le peuple Lebou , film de N’deye Soukeynatou Diop (Sénégal), s’interroge sur la transition à effectuer pour maintenir son identité entre tradition et modernité.
En Indonésie, Kewang, les anciens gardiens de la nature explore le travail d’Indah Rufiati, écologiste. Elle collabore avec les communautés côtières qui cherchent à améliorer leurs pêcheries et à s’adapter aux effets du changement climatique.
For the Love of the Sea d’Arthur Neumeier, présente une famille qui tente de faire revivre le littoral. Voilà une ferme océanique, régénérative et communautaire du Pays de Galles qui révèle comment l’océan peut lutter contre le changement climatique tout en nourrissant la population.
Pour le futur
L’avenir des Pêcheurs n’est pas dans le développement d’un colonialisme bleu lié à une mondialisation marchande, mais dans un sursaut pour accompagner les pêcheurs dans la transition pour gérer de façon durable les ressources d’un océan vivant. De nombreux environnementalistes et ONG veulent des aires marines protégées pensées comme des « zones de non droit humain », comme l’écrivent Jean Eudes Beurel et Anne Cadoret (Aires marines protégées..., PUR) : de fait il s’agit de spoliation et d’exclusion des peuples de la mer et des pêcheurs comme le rapportent nombre de films évoqués ici. Plus grave, cette guerre aux pêcheurs fait la place à des alternatives beaucoup plus impactantes pour la santé publique, les droits humains et la préservation de la planète, comme l’aquaculture industrielle ou encore la viande ou poisson artificiels. Sauver les pêcheurs pour sauver les océans, voilà le message qui devrait être porté par la Conférence de Nice en juin prochain. Le Festival montre avec le cinéma, aide à comprendre, propose des débats pour appréhender un futur d’espoir pour les pêcheurs et pêcheuses du monde en phase avec un océan vivant.
Jacques Chérel. Président du Festival Pêcheurs du Monde
Festival Pêcheurs du monde
Cité Allende - 12, rue Colbert - BP 79 -56100 Lorient Tél : 07 82 89 36 74 festivalpecheursdumonde@gmail.com www.pecheursdumonde.org
Soutenez le Festival : Participez à la collecte de dons pour soutenir la prochaine édition du festival !
https://projets.solidaritegrandouest.fr/project/defis-environnement-soutenez-festival-pecheurs-du-monde