Pillages [1] en Afrique de l’Ouest

Il est sain de dénoncer les scandales de la pêche illégale, particulièrement lorsque celle-ci prive de nourriture de base les plus pauvres de la planète. Les ravages de la pêche illégale, particulièrement chinoise, sont dénoncés régulièrement par les pêcheurs artisans africains. La BD de Maxime de Lisle [2] et Renan Coquin jette une lumière crue et nécessaire sur ce scandale. L’auteur s’inspire de son expérience à bord d’un navire de Sea Shepherd. Il décrit les horreurs qu’il a pu constater lors des arraisonnements de quelques navires chinois. Il dénonce également l’impact des dizaines d’usines de farine de poisson, majoritairement chinoises, mais parfois européennes, qui privent des dizaines de millions d’Africains de leur nourriture protéique de base.
Toutefois, Maxime de Lisle ne montre pas qu’une bonne partie des débarquements de petits pélagiques, pour livrer les usines proviennent souvent des pêcheurs artisans, attirés par les prix alléchants, privant ainsi les femmes transformatrices de poissons à transformer, de revenu et de travail.
La réalité est complexe et moins binaire que dans la BD. Au passage, les auteurs donnent aussi un coup de griffe aux thoniers français les accusant d’avoir épuisé la ressource et de faire des milliers de prises accessoires de tortues, requins et cétacés. Si cette pêche n’est pas exempte de critique, son activité est contrôlée et elle ne pèse guère avec ses quelques unités (15 bateaux français en 2024). L’activité des bateaux espagnols peut être plus problématique car ils sont plus nombreux (84) à comparer aux 194 bateaux chinois.
Bien sûr la BD ne peut que louer l’action d’un Paul Watson qui, il y a encore peu de temps, dirigeait Sea Shepherd International. Il a depuis été exclu de l’organisation internationale pour se replier sur l’organisation française de Sea Shepherd. Il doit bien y avoir un problème quelque part avec ce personnage. Mais ces quelques pages à la gloire de Sea Shepherd ne mettent pas en cause l’intérêt et la force de cette BD documentaire.
En France : On a mangé la mer [3]

Avec cette seconde BD, d’une grande qualité graphique, publiée en février 2025, Maxime de Lisle et Olivier Martin s’attaquent à une critique de la pêche française en une douzaine de séquences, avant de faire des propositions pour sauver la pêche et les océans. L’analyse est très bien argumentée avec des références à de nombreux scientifiques, chercheurs et membres d’associations et d’ONG, d’Isabelle Autissier à Gascuel et Bloom en passant par Pierre Mollo, Alain Biseau, Julien Dubreuil, Goulven Brest (ostréiculteur). L’éventail des intervenants est très ouvert de même que l’analyse de la crise. L’auteur ne se limite pas à la surpêche et met très justement l’accent sur les effets catastrophiques du réchauffement climatique et des pollutions diverses issues de l’agriculture ou de l’urbanisation incontrôlée, sans développement des équipements adaptés pour le traitement des effluents urbains en zone côtière. Les exemples de la baie de Vilaine et de la baie de Morlaix sont très bien présentés. L’analyse montre donc bien que « les pêcheurs ne sont pas les uniques responsables de la tragédie qui se joue en mer ».
Mais lorsqu’il s’agit de présenter les solutions à la crise de la pêche, « C’est simplissime »(sic) : réduire la pêche et réduire la consommation de poisson et, selon Didier Gascuel, le chercheur de référence qu’on retrouve tout au long de la BD, il n’y a pas de limites à la réduction. Bien sûr il faut renoncer à consommer des crevettes tropicales et du saumon d’aquaculture. Cette proposition ne nous pose pas de problème puisque nous la défendons depuis plus de 40 ans.
Selon l’auteur, il faut aussi arrêter de manger du thon importé, arrêter les importations. Remettre en cause les échanges internationaux, c’est nier des millénaires d’histoire où les hommes ont échangé des produits de la mer et même bâti des civilisations brillantes sur la base de ces échanges. Il ne s’agit pas d’importer n’importe quoi, n’importe comment à n’importe quel prix, mais je ne crois pas que les Islandais accepteront facilement de remettre en question leurs exportations de poissons, vitales pour leur économie et même de nombreux pêcheurs du Sud ne sont pas opposés à des exportations contrôlées d’une partie de leurs captures.
Bien sûr, Maxime de Lisle suggère que le régime végétarien est à promouvoir,( sur les bateaux de Sea Shepherd, on est souvent végan) pourquoi pas (même si on peut émettre des réserves) mais lorsqu’il suggère la solution du poisson de synthèse comme alternative, on est atterré…mais c’est dans la logique de son raisonnement.
Bien sûr, il faut limiter l’impact de la pêche et donc, pour les auteurs dans la ligne de Didier Gascuel et d’autres comme Callum Roberts, il faut aller vers une pêche réduite à la ligne, au casier et à la pêche à pied ou en plongée.
Si toutes ces pêches sont à défendre, elles ne sont pas sans poser problème car il faut souvent une bonne quantité d’appât pour les lignes ou le casier (1 kg de hareng pour 1 kg de homard aux Etats-Unis) et il faut bien aussi pêcher ces appâts au chalut ou au filet.
De plus, elles ne peuvent être la seule réponse à une consommation durable de produits de la mer. Si les techniques doivent évoluer et si on peut limiter certaines ( comme la senne danoise interdite dans les 12 milles en Bretagne), supprimer des pans entiers de nos pêches côtières ou hauturières fera disparaître la base de l’économie des pêches de nos côtes et l’histoire montre qu’on ne fait pas revivre des ports abandonnés sinon avec de la plaisance, qui n’est pas sans impact environnemental.
Évidemment pour l’auteur, les AMP (Aires Marines Protégées) sont indispensables telles que proposées par les ONG, l’UICN et la future conférence de L’ONU à Nice. Si les AMP sont nécessaires de même que des réserves (les pêcheurs ont créé des cantonnements), elles ne garantissent pas partout le retour à l’abondance. En Suède, 8 réserves ont été créées en Baltique, en zone côtière, 10 ans après, on n’y trouve que des phoques et des cormorans mais pas de poissons.
On sait aussi que derrière cette promotion des AMP se profilent les intérêts de tous ceux qui veulent financiariser les océans en créant des produits financiers sur la base de crédits carbone ou biodiversité pour compenser leurs activités polluantes. Mais la BD n’en dit rien. Les AMP ne sont pas non plus une solution dans des zones sans oxygène qui se multiplient. Elles n’auront pas d’effets pour permettre aux sardines de retrouver du plancton de qualité en quantité suffisante pour retrouver une longévité et une taille normale. La priorité pour la durabilité de la pêche, c’est aujourd’hui de retrouver des eaux et du plancton de qualité, tout en continuant de lutter contre la surpêche, ce n’est pas une mince affaire qui se réglera en 4 ou 5 ans.
Limiter la solution à la crise de la pêche à sa réduction à un niveau résiduel pour une consommation festive quelques fois dans l’année n’est ni juste ni efficace.
On aurait aimé que l’intelligence et le talent de nos auteurs soient mises au service d’une autre vision de l’avenir que la planification de l’effondrement de la pêche.
Alain le Sann