Demain au boulot : prix Chandrika Sharma

Cette année, le prix a été attribué au documentaire de Liza Tonquer « Demain au boulot » [1]. Le film donne la parole aux femmes de la conserverie Chancerelle de Douarnenez, cent ans après la grève des sardinières, en 1924. Un constat, la majorité des 300 employées sont issues de l’immigration, originaires de plus de 25 pays. Habitant souvent à Quimper, elles doivent se lever très tôt quand elles sont de la première équipe et elles ne savent pas toujours à quelle heure elles vont terminer. Joyeuses et solidaires, elles se plaignent de l’accélération des cadences, de l’irrégularité des horaires. L’introduction de nouvelles machines qui devrait limiter la pénibilité, aggrave au contraire le rythme de travail. Elles ont fait grève pour demander l’amélioration de leurs conditions de travail, suite à la création d’une section syndicale animée par une ouvrière immigrée.
Toutes sont également confrontées aux problèmes des troubles musculosquelettiques, même si la direction cherche à les réduire par des exercices physiques et des rotations de postes. Ces témoignages, filmés dans l’usine ou aux domiciles, nous font pénétrer comme rarement dans la réalité du quotidien de ces ouvrières. La conserverie est la plus ancienne de Douarnenez, une survivante, elle a été récemment transmise par la famille Chancerelle à une holding. Le témoignage de ces femmes rejoint tout à fait la description du travail faite par une ouvrière bretonnante, Eliane Ansquer qui y a travaillé jusqu’à sa retraite en 2018 [2].
Sans queue ni tête, décorticage d’une crevette grise [3]

En France, la pêche à la crevette grise au chalut en Mer du Nord a pratiquement disparu mais subsiste la tradition du concours de décorticage de crevettes où les femmes excellent tandis que les hommes ne se considèrent pas comme aptes à ce travail. Par contre, l’activité est florissante aux Pays-Bas où l’on pêche des dizaines de milliers de tonnes. Traditionnellement décortiquées par les femmes et les enfants, les crevettes sont désormais expédiées par camions au Maroc où 15 000 femmes travaillent dans des conditions difficiles. Mal payées et poussées à des cadences infernales pour bénéficier de l’assurance sociale et des allocations familiales, elles travaillent 6 jours sur 7 pour assurer le revenu familial car le mari n’a souvent pas de travail fixe. Elles ont fait grève brièvement pour tenter d’améliorer leur salaire, mais sans succès. Les usines appartiennent à des industriels hollandais prospères qui contrôlent le marché en Europe. Ils n’hésitent pas à envoyer leurs crevettes jusqu’en Indonésie lorsque l’accès au Maroc est fermé lors du Covid. Au cours du tournage, le réalisateur, Julien Brygo, a mis en relation les championnes françaises du décorticage et les ouvrières marocaines ce qui donne lieu à des échanges émouvants ; une belle réussite. Le réalisateur conclut en remarquant que ce secteur de la crevette grise n’est rien comparé à l’importance majeurs des crevettes roses dans le commerce international. Mais la situation y est pire.
En Inde, tout n’est pas rose pour les crevettes.
The Outlaw Project nous offre presque chaque année un reportage sur des scandales dans le monde de la pêche. Cette année « The Whistleblower and the Shrimp » [4] dénonce celui d’une usine d’emballage de crevettes pour l’exportation, employant des centaines d’ouvrières.

Migrantes de l’intérieur, venues de campagnes lointaines, elles sont pratiquement emprisonnées pendant des mois dans des dortoirs, parfois sans matelas. Elles travaillent parfois sans jour de repos, exilées loin de leur famille, interdites de sortie. Un gérant américain, embauché pour diriger l’entreprise qui alimente les marchés américain et européen, découvre rapidement cette réalité épouvantable qu’on cherche à lui cacher. Il enregistre les discussions avec les cadres et dénonce cette situation scandaleuse. Il découvre aussi que des crevettes contaminées par des produits toxiques utilisés dans les élevages sont exportées aux Etats-Unis. Par ailleurs lorsqu’un audit est réalisé par des experts pour Aldi afin de vérifier les conditions de travail, celui-ci est complètement truqué à la demande des propriétaires par une préparation qui permet de déplacer des ouvrières dans des hangars isolés, loin de l’usine, sans condition d’hygiène. Un reportage qui met à mal l’image d’une activité majeure pour les exportations indiennes, l’un des plus grands pays producteurs et exportateurs de crevettes.
La lumineuse Reinette, reine de la Baie de Somme
Malheureusement de nombreux films témoignent d’une triste réalité parfois désespérante. Heureusement, cette édition du festival nous a donné l’occasion d’une belle découverte réjouissante et lumineuse avec « la Baie de Reinette » [5]. Reinette est sur le point de prendre sa retraite mais elle veut transmettre son savoir et sa passion et elle prend sous son aile un successeur et lui transmet les bases de son métier, la récolte des coques, des vers de vase et des végétaux comme la salicorne.
Toujours optimiste et souriante, elle bouscule les hommes qui constituent la majorité des pêcheurs à pied de la Baie de Somme qui ne sont guère intéressés par les réunions et les démarches pour défendre le métier. Reinette est la représentante des cueilleurs de végétaux marins au Comité National des Pêches. Il n’est pas sûr que sa représentation sera poursuivie mais elle a la satisfaction d’avoir transmis son savoir à son successeur et aussi à ses petites filles qui l’accompagnent pendant les vacances. Le public ne s’est pas trompé qui a longuement applaudi le film et son réalisateur, le Lorientais Régis Croizer et lui a attribué son prix coup de coeur.
Le festival a projeté bien d’autres films témoignant de la place des femmes dans la pêche et les activités à terre. Il faut également souligner le nombre important de réalisatrices et la qualité de leurs productions.
Alain Le Sann