La montée en puissance d’une ONG en Afrique
AP a été fondée par un néerlandais Paul van Vlissengen avec des partenaires Sud-Africains. Il a fait fortune dans le commerce du pétrole et des énergies fossiles. L’ONG contrôle maintenant plus de 20 millions d’hectares au nom de la conservation des animaux, principalement, les big five (éléphants, rhinocéros, buffles, guépards et lions) ; ce sont les animaux chéris du public et des donateurs. Généralement, les Etats qui leur ont concédé la gestion de ces parcs pour plusieurs décennies, leur abandonne leurs responsabilités étatiques et leur laisse une grande liberté d’action, tout cela au nom de l’efficacité d’une stratégie de « business approach to conservation ». Il s’agit donc d’une privatisation de la conservation avec l’appui des fondations européennes et américaines au nom de l’efficacité. Le modèle de conservation forteresse séduit aussi certains chefs d’états africains qui confient ainsi leurs parcs difficiles à contrôler, à financer et à protéger en renonçant pour de longues périodes à contrôler ces zones parfois immenses. L’ONG devient ainsi un Etat dans l’État.
Le poisson avant le pêcheur, priorité aux animaux
Les habitants et voisins des parcs sont des agriculteurs, éleveurs mais aussi pêcheurs et chasseurs pour assurer leur subsistance. Très souvent exclus des parcs ou soupçonnés de braconnage, ils subissent fréquemment des violences de la part des rangers, gardiens des parcs.
Dans son enquête, le journaliste rapporte les circonstances de la mort d’un congolais.
« Sous un palmier, Talaguma Ogambita relate la triste histoire de son cousin Prosper Adrupiako ( dit Papa Pelé) parti pêcher le tilapia avec un ami en février 2019. Dans le domaine de chasse, ils sont tombés sur une patrouille. Selon Ogambita, ils étaient en possession d’une autorisation, mais on les a malgré tout arrêtés. Les rangers ont tué un serpent et on demandé à Papa Pelé de le tenir, puis ils l’ont pris en photo. Or, peu après, la patrouille a repéré un groupe de « véritables braconniers », selon les termes d’Ogambita. Les gardes se sont lancés à leur poursuite, l’un d’eux restant pour surveiller Papa Pelé et son ami. Entendant les coups de feu, « Papa Pelé a pris peur et s’est mis à courir. Le ranger lui a tiré dans le dos. Il est mort sur le coup. Quand les autres sont revenus, leur chef a estimé qu’ils devaient aussi abattre son ami, mais ses acolytes ont protesté : « on va avoir des problèmes avec la population ». Après huit jours de détention, son ami a été libéré ». Dans de nombreux parcs, les rangers, mal payés, reçoivent des primes quand ils arrêtent des « braconniers », la tentation est donc forte d’accuser de simples habitants qui veulent seulement chercher leur nourriture. AP a beau revendiquer le respect des droits humains, il faut aussi créer les conditions pour qu’ils soient respectés.
AP a construit sa réputation surtout sur la défense des Big five. Elle a réussi à monter des opérations spectaculaires de translocation d’éléphants, avec l’appui du prince Harry, devenu un pilier de l’organisation. Leur activisme en ce domaine est tel qu’ils envisagent même de transférer des rhinocéros dans des parcs où ils n’ont jamais existé ; mais il y a en Afrique du Sud de grands élevages de rhinocéros qu’il faut bien disperser quand leur nombre excède les capacités de la ferme. L’une d’elle élève ainsi 3000 rhinocéros.
La militarisation des parcs
L’ONG revendique faire la guerre aux braconniers par la violence. Elle forme ses rangers pour cela. Ils peuvent donc arrêter sans preuve, emprisonner dans des prisons sordides et faire pression sur la justice pour des peines sévères et disproportionnées. Si le braconnage est une réalité, souvent violente elle-même, les méthodes utilisées font que les habitants se sentent dépossédés, privés de leurs moyens traditionnels d’existence : « Aujourd’hui, on n’a plus le droit de pêcher, de tuer les babouins qui pillent nos récoltes, de chasser les porcs sauvages. Le parc interdit tout simplement tout ». Bien sûr, heureusement, les morts et les blessés ne sont pas quotidiens, mais le système des primes pour arrestation, favorise le mépris des droits humains et la criminalisation des activités de subsistance des habitants qui dépendent des ressources des parcs pour simplement survivre. Le dirigeant sud-africain d’ AP déclare à propos des pêcheurs : « En ce qui concerne la militarisation et la conservation forteresse, permettez-moi de souligner que 90 % de la menace qui pèse sur notre parc maritime de Bazaruto au Mozambique, provient des pêcheurs illégaux. Contre eux, on n’utilise pas d’armes. Ce n’est pas nécessaire. Mais si de gros navires de pêche chinois arrivent la nuit, nous disposons d’une équipe d’intervention spéciale armée, étant donné que ces pêcheurs sont eux aussi souvent armés ». l’État confie donc de fait son rôle de défense à des milices privées armées.
A l’affût des crédits carbone
Contrairement aux espoirs de gains financiers par le développement du tourisme de luxe, de la chasse aux trophées, des safaris, etc, les parcs sont loin d’atteindre la rentabilité. Le plus rentable, au Rwanda couvre ses dépenses à 87,8 %. La quasi totalité ne couvre pas 25 % de leurs coûts. Il faudra donc en permanence trouver des donateurs pour assurer le financement des parcs. C’est aussi la raison pour laquelle AP attend beaucoup de la vente de crédits carbone. L’ONG espère en retirer 28 millions de dollars sur un budget évalué pour 2030 à 203 millions. L’essentiel des revenus resterait assuré par la philanthropie pour 110 millions. L’ONG espère aussi doubler d’ici 2030 le nombre de ses parcs et étendre ceux qu’elle contrôle déjà.
Une efficacité discutable
AP est donc confiante en son modèle et en son avenir, confortée par une image positive malgré quelques problèmes médiatisés. Pourtant, l’enquête approfondie d’Olivier van Beemen soulève quelques inquiétudes quant aux résultats réels au bénéfice de la conservation. Si pour certains parcs, il y a une progression du nombre des gros animaux, ce n’est pas le cas partout, loin de là, d’après les données mêmes des documents de l’ONG. Il y a beaucoup d’incertitudes sur l’estimation de l’évolution du nombre des animaux protégés. Souvent des baisses importantes sont constatées ou estimées. Il peut s’agir des effets du braconnage mais aussi d’épidémies, de sécheresses qui touchent les animaux. La conservation, au delà des mythes, n’est pas un long fleuve tranquille, mais il faut maintenir l’image positive des parcs pour assurer les financements. Pour cela, AP paie une agence communication très réputée qui travaille notamment pour les entreprises pétrolières. On ne renie pas ses origines.
Une vision néocoloniale de la conservation
Pour Olivier van Beemen : » Avec ce pouvoir, African Parks vise à recréer ou à maintenir un continent qui réponde aux attentes occidentales de « l’Afrique », un continent fait d’une nature vierge et sauvage, où la présence humaine aura été autant que possible effacée en faveur des big five ». N’est-ce pas ce dont rêve aussi aujourd’hui bon nombre d’ONG qui saturent les médias avec leur promotion des AMP sans pêcheurs ?
L’auteur reprend également cette citation très percutante d’écologistes kényans parodiant « l’écologiste blanc qui vient en Afrique pour sauver les animaux sauvages. »
« Le dilemme en cette époque du politiquement correct ? Comment apaiser les véritables propriétaires des terres alors qu’on les met à l’écart ? Comment les convaincre qu’ils profitent de la situation alors qu’on les prive de leurs ressources ?… la réponse à ce problème : maintenir en l’état l’apartheid dans la nature, séparer les hommes des animaux, créer des parcs, des zones protégées et des corridors pour les animaux sauvages, élever des clôtures, prélever des droits d’entrée, entériner des lois qui accordent la première place aux animaux et reléguer les communautés dans une note d’orientation poussiéreuse ; infliger à ces fichus braconniers de lourdes peines de prison et jeter les clés des cellules au fond d’une fosse d’aisance. Appelez cela gestion participative ». [1]
Remplacez, l’Afrique et les terres par les mers, l’écologiste blanc par un écologiste urbain et terrien, les big five par les dauphins, les baleines, les phoques et les requins... et vous aurez compris ce qui se met aujourd’hui en place pour « Sauver les océans ».
Alain le « Sann »