Contre les huîtres triploïdes, pour des huîtres naturelles

Ostréicultrice engagée de la ria d’Étel dans le Morbihan, Tifenn Vigouroux incarne une figure emblématique de la résistance aux dérives productivistes de l’ostréiculture moderne [1]. Aux côtés de son compagnon Jean-Noël Yvon, elle défend avec ferveur une approche artisanale et respectueuse de l’environnement, privilégiant les huîtres naturelles nées en mer, sans recours aux écloseries ni aux huîtres triploïdes. Les ostréiculteurs de la Rivière d’Etel rejettent généralement ces triploïdes.
Tifenn et son mari refusent l’intensification et limitent le nombre des poches sur leurs concessions. En complément de l’élevage classique sur tables, ils pratiquent également la culture à plat qui leur permet de renforcer les coquilles et de bénéficier d’un plancton différent qui donne un goût particulier aux huîtres qui sont ensuite mises en poches sur les tables en fin d’élevage. Cette culture à plat nécessite une préparation de l’estran pour réduire les algues et les prédateurs. Ils sont également engagés dans la production d’huîtres plates qui ont été décimées par la maladie. En fond de Ria, où se trouve leur chantier, subsiste une petite zone où ces huîtres ont résisté et ils essaient de relancer cette production qui reste minime pour l’instant.
Avec CAP 2000 pour la reconquête de la qualité de l’eau
Tifenn et son compagnon se sont aussi engagés dans la défense de la qualité de l’eau, vitale pour la survie de leur exploitation. Ils ont ainsi participé activement à la création et l’animation de l’Association CAP 2000, qui rassemble ostréiculteurs, paysans et pêcheurs, pour préserver et reconquérir des eaux de qualité. Les paysans ont ainsi modifié leurs pratiques tout en continuant d’exploiter les terres littorales, tandis que les ostréiculteurs ont amélioré leurs propres pratiques en particulier dans la gestion des déchets. Inspirée par Pierre Mollo, et fondée sur le partage d’une connaissance commune du plancton, cette expérience innovante reste à poursuivre avec les nouvelles générations de paysans, pêcheurs et ostréiculteurs.

Engagés au Sénégal avec les femmes du Saloum
Leur engagement ne se limite pas à leur exploitation locale. Depuis 2013, le couple, avec d’autres ostréiculteurs de la Ria, à partagé son savoir-faire avec des femmes du delta du Saloum au Sénégal. Face à la dégradation des mangroves causée par la cueillette traditionnelle des huîtres, ils ont introduit des techniques d’élevage raisonné, adaptées aux conditions locales. Cette collaboration a permis de développer une filière durable, alliant préservation de l’écosystème et développement économique pour les villages concernés.
Aujourd’hui, Jean Noël Yvon, son compagnon (en retraite), poursuit son activité avec Tifenn jusqu’à sa propre retraite en espérant pouvoir transmettre cette belle exploitation et cette expérience à des jeunes.
Alain Le Sann