L’Ile de Pâques - Rapanui : Un modèle de gouvernance démocratique de la mer

, par  KERBIQUET, Armel

L’île se situe au Sud-est de l’Océan Pacifique et fait partie du territoire chilien. Rapa Nui est également connue sous le nom d’Île de Pâques ; c’est une île volcanique isolée située dans le Pacifique Sud, à plus de 3 500 km des côtes chiliennes et à 4 193 kilomètres de Tahiti. Elle fait donc partie du territoire chilien tout en conservant une identité culturelle forte, forgée par le peuple rapanui, une communauté polynésienne au patrimoine riche.

• Superficie : 164 km2
• Langues :
• - Rapa Nui (langue polynésienne) parlée par environ 20 % de la population
• - Espagnol (langue officielle) parlée par environ 80 % de la population
• Population totale de l’Île : environ 7 750 habitants

Un patrimoine culturel mondial :
Les Européens ont abordé l’île le 5 avril 1722 le dimanche de Pâques, ce qui lui a donné son nom par la suite. Elle est célèbre pour ses statues de pierre que l’on appelle « MOAÏ », sa culture et du fait de son isolement géographique. Les moai sont des statues monumentales sculptées entre les XIIe et XVIIe siècles. Aujourd’hui, ils forment un musée à ciel ouvert, ces statues sont un symbole de la volonté de protection de l’environnement de l’île.

Au-delà de ces figures emblématiques, l’île est le berceau d’une civilisation complexe, dotée de son propre système d’écriture (rongorongo), de traditions orales et de savoirs maritimes ancestraux. Elle est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1995.
La culture de l’île allie traditions polynésiennes et pratiques locales. On y trouve une langue propre « le rapa nui », des danses, des chants et un artisanat riche en symboles (tatouages, pétroglyphes).
Chaque année, un événement se déroule sur l’Île, le festival « Tapati Rapa Nui ». Ce festival célèbre la culture de l’île avec des compétitions à la fois sportives, artistiques et musicales. Il se déroule chaque année les 10 premiers jours du mois de février et ce depuis sa création en 1975. Le but de cet événement est de conserver les traditions locales, que l’on appelle la tradition « Rapa Nui ».

Le Conseil de la Mer :

Toutes les décisions politiques dépendent du Chili continental et ce depuis la fin du XIXème siècle. Mais ces dernières années, les habitants de l’île et particulièrement les pêcheurs ont obtenu la création du Conseil de la Mer : KORO NUI O TE VAIKAVA, une instance de gouvernance marine autochtone.

Le KORO NUI O TE VAIKAVA est une instance de co-gouvernance autochtone et étatique, créée en 2018 à la suite d’une consultation indigène menée selon la Convention 169 de l’Organisation Internationale du travail (OIT). Elle est chargée de la gestion de l’Aire Marine Côtière Protégée de Multiples Usages de Rapa Nui (AMCP-MU), qui couvre plus de 579 000 km2 dans le Pacifique Sud.
Cette instance est composée de 6 membres élus du peuple Rapa Nui ainsi que de 5 représentants de l’État chilien dont les fonctions sont les suivantes :
• Cogérer l’AMCP-MU en garantissant une conservation écologique basé sur les savoirs traditionnelles
• Élaborer, approuver et mettre en œuvre des plans de gestion intégrés
• Valoriser la cosmovision Rapa Nui, notamment les principes de Te Moana Tapu a
Hotu Matu’a. Ces principes signifient « l’océan sacré de Hotu Matu’a », qui est par ailleurs le fondateur de cette île. Ce concept ancestral a plusieurs but : sacraliser l’océan comme héritage des ancêtres et source de vie, représenter un lien spirituel entre le peuple, la mer et Hotu Matu’a. Il sert également à protéger les ressources marines par le biais de règles (comme l’interdiction temporaire de pêche). Aujourd’hui, ces principes à la fois culturels et écologiques permettent de préserver la mer selon les valeurs de l’île.
• Représenter Rapa Nui dans les forums régionaux et internationaux liés à la gouvernance des océans.

En août 2024, au Conseil de la Mer, un Plan de Gestion Intégré a été approuvé avec 86 % de votes favorables, à l’issue d’une large consultation communautaire à Rapa Nui, Santiago et Valparaíso. Ce plan permet une reconnaissance internationale renforcée avec notamment une participation active au Rapa Nui Pacific Summit 2024 (un événement régional sur la protection des océans), l’intégration des savoirs ancestraux dans les mécanismes de gestion de la mer pour lutter contre la pollution plastique, la surexploitation et renforcer la souveraineté écologique de l’île.

En ce qui concerne sa vision, l’objectif de KORO NUI O TE VAIKAVA est de faire de Rapa Nui un modèle de gouvernance marine insulaire autochtone, résiliente, respectueuse des cultures et des acteurs clé de la protection des océans à l’échelle mondiale.

Défis contemporains et résilience :

Comme beaucoup de territoires insulaires, Rapa Nui fait face à des défis importants : gestion des ressources naturelles, dépendance extérieure, pression touristique.
L’Île vit principalement du tourisme de masse, mais aujourd’hui elle ne souhaite plus trop en dépendre, car cela a causé trop de dégâts. Cela représente un défi majeur. Ces dégâts mettent en cause la satisfaction de besoins vitaux (notamment l’accès aux ressources telles que l’eau potable et l’électricité). De plus, cela génère des grosses quantités de déchets accumulés (qui polluent à la fois le territoire, mais aussi l’espace maritime et sa biodiversité), ce qui rend compliquée leur gestion. En outre, cela entraîne des contaminations qui concernent à la fois les êtres humains, mais aussi les autres êtres vivants. Aujourd’hui, le plus important sur l’Île de Pâques est de trouver un équilibre entre l’autonomie locale des habitants de l’Île et le tourisme afin de le contrôler et de limiter son impact sur le territoire. En effet, l’ambition pour l’île est que d’ici 2030, elle devienne un territoire « zéro déchet » ; mais dans la réalité des faits, cet objectif semble difficile à atteindre sur le terrain. Cet objectif « zéro déchet » semble inaccessible en raison de la quantité de déchets marins et terrestres qui arrivent sur le territoire. Par ailleurs, l’île vit également de l’artisanat et de l’agriculture.
Sur ce territoire, la population locale est très soudée, car la vie communautaire est notamment liée à l’entraide et à la solidarité.
Les initiatives locales en faveur d’une pêche durable, d’une agriculture régénérative et de l’éducation environnementale illustrent la capacité du peuple rapanui à innover tout en valorisant ses traditions.
Le lien vital de l’île avec l’environnement marin joue un rôle central dans la cosmovision, la subsistance et l’organisation sociale de Rapa Nui. Depuis des siècles, les Rapanui naviguent, pêchent et protègent leur océan.
Aujourd’hui, l’Aire Marine Protégée de Rapa Nui (ZEE) couvre plus de 720 000 km2 (avec la réserve intégrale du parc marin de Salas y Gómez) et est cogérée avec la communauté locale, dans une démarche d’autodétermination écologique.
L’Île est également fortement affectée par la question du changement climatique.

Le conflit avec PEW :

En 2015, la fondation américaine PEW Trust engagée dans la conservation de l’environnement marin a proposé la création d’une grande réserve intégrale sur une majeure partie de la ZEE et de la surveiller à partir d’une centrale d’analyse de données sur les navires. L’objectif affiché était la préservation des écosystèmes marins, via des technologies de surveillance à distance des bateaux, centralisées dans une base de données contrôlée à partir de l’extérieur de l’île.
Cette initiative a été dans un premier temps présentée comme bénéfique d’un point de vue environnemental pour Rapanui, notamment pour lutter contre la pêche illégale et préserver les ressources halieutiques.
Dans un second temps, celle-ci a rapidement suscité des tensions avec la communauté du territoire, notamment en menaçant leur souveraineté et en ne prenant pas en compte leur liens (culturel et spirituel) avec la mer.
Ce conflit révèle un désaccord plus profond entre une vision technocratique de la conservation et de la préservation de l’Océan, imposée de l’extérieur et une approche locale fondée sur les savoirs ancestraux, incarnée par le concept de « Te Moana Tapu a Hotu Matu‘a ». Face à ces critiques, le projet a évolué en allant vers un modèle de cogestion, dans lequel les autorités de Rapanui participent désormais à la gouvernance de l’AMP.
Cette évolution a permis de réintégrer les principes culturels locaux comme le rahui dans la gestion des ressources marines. De ce fait, ce cas met en avant l’importance d’une reconnaissance réelle des droits des peuples autochtones dans les politiques de conservation. La reconnaissance des droits des peuples autochtones a permis aux pêcheurs de prendre le contrôle de leur mer. C’est loin d’être le cas pour la grande majorité des pêcheurs. Cela montre également la nécessité d’un équilibre entre l’expertise des scientifiques et les savoirs traditionnels.

Armel Kerbiquet
Stagiaire au sein du Collectif Pêche et Développement. 27 mai 2025

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