Ayant intégré les CCR [1] Nord et Sud en 2008 pour le compte du Comité local des pêches du Guilvinec, puis du Comité Départemental du Finistère, je n’avais pas tardé à croiser Xan López dans les réunions du CCR Sud où sa personnalité ne pouvait passer inaperçue.
Austère dans sa tenue, percutant dans ses propos, pratiquant un humour caustique, ami des pêcheurs artisans, petits ou grands, homme ou femme, ne craignant rien ni personne, il était intéressant, mais pouvait certes être clivant. Une bonne partie des représentants français issus de l’ANOP [2] et du Comité national des pêches ne se gênaient pas pour lui manifester une certaine forme de crispation. Rien que cela m’avait poussé vers ce personnage pas toujours facile. Il faut dire qu’il ne parlait presque pas français malgré quelques années passées à Paris dans la communauté espagnole en exil pour fuir la dictature franquiste et qu’il ne me restait que quelques notions scolaires d’espagnol. Cependant, dès que nous avons pu déjeuner ensemble et prendre un peu de temps pour parler, nous nous sommes reconnus sur plusieurs points importants : haine des dictatures de toute nature politique ou professionnelle, intérêt partagé pour la conquête de l’Europe par les pêcheurs artisans, même vision de la pêche artisanale, même amour d’une gestion à la base et d’une Europe digne de ce nom.
Nous avions bien conscience que sans l’Union européenne, nous ne nous serions jamais connus. L’Europe payait, sous surveillance stricte néanmoins, les déplacements pour les réunions, sans cela les artisans ou leurs représentants n’auraient jamais bougé de leur rocher, contrairement aux représentants de la pêche industrielle ou lointaine qui faisait du lobbying depuis longtemps. Surtout, l’Europe offrait à travers les CCRs une traduction instantanée et parfaite pendant les jours de réunion. Une fois sur place rien ne nous empêchait d’avoir des carrefours, des débats parallèles, des séances de travail, plus ou moins informels. De ce fait, on apprenait à mieux se connaître, on comprenait mieux les positions des uns et des autres et des alliances visibles ou souterraines pouvaient se nouer.
Sur la base d’une défense de la pêche artisanale avec Xan pour la Galice, Libérato des Açores et moi de Bretagne (avec quelques autres amis), nous tenions un arc artisanal informel au CCR Sud, qui s’est traduit par la création du groupe de travail Pêches traditionnelles, dont Xan était devenu le président naturel. C’était un coin dans les CCRs, jusque-là investis du Nord au Sud de l’Europe par les organisations de producteurs, les syndicats armatoriaux ou les représentants nationaux de l’organisation des pêches des pays membres. Cela n’allait pas toujours sans âpres discussions avec Xan, en particulier sur la question du chalut. Je m’occupais à cette époque de la langoustine du Golfe de Gascogne pour le compte des pêcheurs finistériens et il était important que cette série de bateaux, tous artisans à mes yeux bien que chalutiers, soient considérés comme tels. En 2012, alors que Xan était invité à la journée mondiale des pêcheurs à Lorient et qu’il dormait chez moi, je lui ai fait faire le tour des ports bigoudens pour qu’il voit concrètement de quoi je parlais au CCR Sud lorsque j’évoquais ces chalutiers. La plupart faisaient une quinzaine de mètres et 300 KW avec trois marins à bord. A peine arrivé au port de Loctudy et que je lui montrais des langoustiniers plutôt anciens, j’ai vu à son petit sourire qui avait l’air de dire « c’est ça vos chalutiers ». Ces types de navires pouvaient s’intégrer dans son univers mental « pêche artisanale ». Il faut dire qu’en Galice font partie de la Baixura [3] des bolincheurs de 30 mètres, modernes, puissants et hyper efficaces. Au contact de la réalité, nous nous étions compris et il n’a, à ma connaissance, jamais remis en question la place de ces navires dans la pêche artisanale du CCR Sud.
Nous avions évoqué cette question plus longuement après, admettant que la pêche artisanale était le résultat, non seulement de données socio-économiques et financières, mais aussi géo-morphologiques : la Galice n’a pas de plateau continental, ce qui dirige les pêcheurs vers les arts dormants ou cerclants, alors que la Bretagne est entourée d’un plateau gigantesque permettant le déploiement d’une flottille de petits chalutiers spécialisés entre autres, dans la langoustine qui abonde sur ce terrain idéal. Une autre fois, chez lui à sa table, je me suis retrouvé dégustant des percebes [4] avec tous les représentants des fédérations des Cofradias impliqués dans le CCR Sud. J’avais compris en ce début de nuit, la place qu’occupait Xan parmi ses pairs et l’honneur qu’il me faisait en me le montrant si simplement. Ces échanges humains, intuitifs, respectueux et bienveillants, devant les bateaux ou devant les pouce-pieds, malgré nos langages estropiés, nous permettaient de nous comprendre et resteront gravés dans ma mémoire. Je reste persuadé que cet humanité constructive, ouverte, est nécessaire à la gestion les pêches au niveau européen.
Brian a trouvé l’article qui suit dans "La Voz de Galicia", intitulé : "Adieu au champion de la pêche artisanale". Immédiatement s’est imposée à moi l’idée de traduire cet article avec la chaleureuse complicité de Brian et de Sebastian Losada, pour rendre un dernier hommage à Xan Lopez dans Pêche & Développement.
René-Pierre Chever, juillet 2025
Adieu au champion de la pêche artisanale L’architecte de la Fédération Galicienne des Cofradias est décédé ce mois-ci.
Article traduit de RÉDACTION / LA VOZ De Galicia
20 mars 2022
La baixura est en deuil. Elle a perdu l’un de ses principaux soutiens. Celui qui était l’architecte de la Fédération Galicienne des Cofradias [5] . Celui qui a posé la première pierre de l’Organisation des Producteurs de Galice : Xan López. Il est décédé au début du mois de mars 2022, suite à une maladie foudroyante.
Le premier président de cette entité, Benito González, se souvient de lui et lui reconnaît le mérite d’avoir mis en lumière la pêche artisanale à Bruxelles, Xan López l’ayant accompagné comme secrétaire dès les premières années de la Fédération. Xan López a pris sa retraite en 2013 en disant qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait pour le secteur. Un secteur qu’il définissait également comme la première entreprise de Galice, purement galicienne, avec un clin d’oeil à Inditex [6]. C’est à cette période que sont survenus les problèmes de la Caixa Galicia et de Caixanova, l’achat de Banco Pastor et la chute de Pescanova qui dépendait des banques... « La baixura est devenue la première entreprise de Galice, elle n’est ni expropriable ni monnayable en banque et pour le moment, non manipulable », répétait Xan López dans une interview à La Voz de Galicia [7] avec tout le sarcasme dont il était capable, sans jamais perdre son sérieux. Mais, c’étaient déjà les derniers moments d’une carrière qui lui a bien valu le surnom de « champion de la baixura ».
Il était déjà là, lorsque le 1ièr décembre 1992 le pétrolier « Aegean Sea » était venu mourir au pied de la tour d’Hercule [8], brûlant une partie des 80 000 tonnes de pétrole vomies et répandues sur les côtes de La Corogne, d’Ares, de Ferrol, etc. Xan López était resté discret, il n’avait pas beaucoup montré son visage, mais le véritable artisan, celui qui s’était battu pour l’indemnisation des dizaines de cofradias touchées par le déversement de pétrole, fut bien Xan López. Il a de nouveau assumé ce rôle dix ans plus tard avec la catastrophe du pétrolier « Prestige ». Presque par habitude, il s’est mis à la tête de la commission des sinistrés et son expérience a permis l’accélération du paiement des indemnités aux pêcheurs et aux ramasseurs de coquillages. Si dans le cas de l’« Aegeam Sea », les professionnels avaient mis dix ans pour obtenir réparation, dans celui du « Prestige », les dossiers ont été liquidés en deux ans. Benito González [9] a demandé à Xoan López de s’investir pour que Bruxelles comprenne ce qu’est la baixura, la pêche artisanale côtière, les petites pêches sous toutes leurs formes, pour qu’on l’entende aussi dans les couloirs du Parlement et de la Commission européenne. Il y avait du travail car les temps n’étaient pas si lointains où un patron pêcheur de Fisterra ne comprenait pas pourquoi il devait remettre à la mer le maquereau qu’il avait à bord en raison des TACs, terme qu’il confondait avec la « Tomografia Axial Computerizada » d’une ordonnance médicale. De même qu’un fonctionnaire ayant un bureau au Berlaymont [10] ne pouvait comprendre qu’un filet dérivant comme le xeito pouvait être inoffensif pour les dauphins.
Dans cette approche pédagogique et progressive, on a pu voir, une fois de plus, le savoir-faire de Xoán López : « Il nous a convaincu que nous devions avoir une présence en Europe et faire du lobby, comme le faisait déjà à l’époque » la pêche lointaine, se souvient Benito González. Lors de cette interview de fin de parcours professionnel dans La Voz, Xan López, qui percevait déjà à l’époque le problème du relais générationnel, ressenti par lui comme une menace d’étouffement pour le secteur, disait que « si un jour les cofradias cessaient d’exister, le secteur artisan disparaîtrait ». On ne sait pas si c’est vrai car elles sont toujours là, au grand dam de beaucoup. Ce qui est certain, c’est que le jour où Xan López a quitté ce monde, l’un des principaux soutiens de la baixura a cessé d’exister.
e. a. RÉDACTION / LA VOZ De Galicia
20 mars 2022
Collectif Pêche et Développement
Pêcher pour vivre