Une marée d’une semaine sur un chalutier hauturier
Le chalutier est le Marie Catherine II, 22,5 m, l’un des quatre bateaux de l’armement Leroi de Cherbourg. Dans ce port, il ne reste plus que 5 chalutiers hauturiers pour alimenter la criée où les bateaux doivent s’organiser pour les débarquements puisqu’elle ne peut recevoir qu’un seul débarquement par jour faute de personnel suffisant. Partout en Manche comme ailleurs, la pêche hauturière tend à se réduire. Seuls quelques armements comme Porcher à Saint Brieuc et Leroi à Cherbourg tirent leur épingle du jeu ; à Boulogne, l’armement d’Euronor déplace ses 4 bateaux du large vers les ports allemands et danois. Les coûts de construction, d’entretien, de l’énergie et les difficultés pour constituer les équipages menacent l’avenir de cette pêche d’autant plus que le Brexit et la politique des AMP des Britanniques rendent plus aléatoire l’accès aux zones de pêche et aux quotas.
L’équipage : 3 Normands et 2 Sénégalais
Le parcours professionnel de chacun des membres d’équipage est rapporté avec précision. Si le patron, Eddy vient d’une famille de pêcheurs, tous ne viennent pas d’un milieu de pêcheurs mais ils ont trouvé dans cette activité un bon revenu et une stabilité qu’ils apprécient malgré la dureté des conditions de travail et le nombre de jours de mer. Pour le patron, ce sont près de 280 jours de mer. Il n’est pas facile de trouver des patrons qualifiés pour assurer les remplacements. Les deux Sénégalais ne sont pas issus du monde de la pêche, mais après un passage par l’Espagne, ils ont trouvé en France un travail stable et rémunérateur.
Un métier à risque
La marée, par une mer agitée, est éprouvante et risquée en particulier lorsqu’une croche menace la stabilité du bateau et d’une perte du chalut. L’auteur revient d’ailleurs sur le récit émouvant de plusieurs naufrages récents en Manche qui ont endeuillé le monde des marins et éprouvé les sauveteurs. Ils montrent que le vieillissement généralisé de la flotte accentue les risques. Ils évoquent aussi les disparitions en mer, parfois liées à la consommation de drogue, totalement bannie, comme l’alcool, sur le Marie- Catherine II.
Quel avenir pour la pêche hauturière ?
Avec 280 jours de mer pour trouver la rentabilité [1] , peu d’hommes pour remplacer le patron et l’équipage, des dépenses élevées d’énergie, on peut s’interroger sur l’avenir de cette activité hauturière pourtant si indispensable pour l’approvisionnement des ports. Si elle attire toujours quelques passionnés, qu’ils s’agissent des chalutiers, des fileyeurs, des palangriers, des caseyeurs du segment hauturier, les conditions et la durée du travail rendent de plus en plus difficile l’équilibre économique et le recrutement des patrons et des équipages. Les derniers résultats comptables des bateaux hauturiers de 12 à 24 m montrent bien les évolutions peu encourageantes pour ce segment de flotte.
Pour la pêche française, « La valeur ajoutée en 2023 retombe à un niveau légèrement inférieur à celui de 2020, avec une valeur des débarquements similaire mais des coûts plus élevés (notamment concernant l’énergie). La marge brute est de 136 millions d’euros en 2023, soit une baisse de 22,1%. C’est la valeur la plus faible des cinq dernières années (inférieure de 9 % à son niveau de 2020). Les résultats économiques varient selon la taille des navires. La valeur ajoutée baisse plus fortement en 2023 pour les navires de 18 à 24 mètres (-28,3 %), dont le nombre diminue aussi de manière plus marquée que pour les autres navires, que pour les navires de plus de 24 mètres (- 5,7 %). Elle diminue de 13,7 % pour les navires de moins de 12 mètres et de 14,3 % pour ceux entre 12 et 18 mètres.
Le bénéfice net, obtenu en retranchant le coût du capital à la marge brute, est négatif depuis 2019. [2]
En 2023, le déficit net est estimé à - 56,2 millions d’euros, plus important qu’en 2022. » Si ces tendances se confirment, le modèle de la pêche française s’oriente vers une pêche côtière limitée aux sorties journalières et quelques rares gros bateaux industriels.
Ce n’est pas un hasard si l’on évoque aujourd’hui à Lorient une vente possible de Scapêche par Intermarché à un autre groupe de distribution qui se séparerait sans aucun doute de plusieurs navires hauturiers en mal d’équipages et de patrons...
La tentation de la remise en cause des droits sociaux
" En termes de structure des coûts, les salaires restent le premier poste de coûts (38 % en 2023)." [3]
C’est sans doute pour cela que des armements sont tentés par le recours à des sociétés de manning qui leur fournissent des marins indonésiens qui ne sont pas rémunérés par l’armement mais par la société de manning sous-traitante qui retient des sommes importantes sur les salaires au point que ces derniers sont dérisoires (moins de 1000€ net ?). Si, pour survivre, cette pêche hauturière en arrive à des pratiques de ce genre, contraires au droit commun, cela en dit long sur l’évolution de ce secteur. Mais c’est ce qui se passe déjà fréquemment sur des bateaux irlandais et britanniques. Une telle dérive dans la pêche française est à rejeter avec fermeté.
Mais il faut trouver d’urgence des réponses justes pour assurer l’avenir d’un secteur essentiel pour notre approvisionnement et garantir les droits des marins.
Pour prendre la mesure de tous ces enjeux, ce livre « Haute mer » est un bel outil et peut donner l’occasion d’un cadeau bienvenu.
Alain le Sann
Collectif Pêche et Développement
Pêcher pour vivre