Un livre : Movimiento social de pescadores artesanales de Chile Historia y organizacion de la defensa del mar chileno

, par  SCHMITT Odile

ESCRIBANO VELOSO, Irène. - CHILE OCHOLIBROS, 2014. - 255 P.
Cet ouvrage est issu de multiples interviews réalisées en 2010, alors que la maladie du leader charismatique Humberto Chamorro donnait un caractère d’urgence à ce travail de mémoire, d’analyse et de prospective.

Siège de CONAPACH, Valparaiso (photo O. Schmitt)

Le livre situe d’abord l’importance économique et sociale de la pêche au Chili, en particulier de la pêche artisanale. En 2010, elle concerne 75 000 personnes, dont les pêcheurs à pieds et les plongeurs, 15 000 embarcations et plus d’un millier d’organisations, pour plus de 450 « caletas », réparties du nord au sud, dans les 14 régions côtières de cet immense littoral pacifique, caractéristique de la géographie de ce pays. Pays particulièrement soumis aux risques sismique : en 2010, le tremblement de terre et le tsunami ont affecté 104 caletas et 650 bateaux.

Puerto Natales, avril 2014 (photo B. Schmitt)

De générations en générations, les pêcheurs artisans transmettent oralement leur culture et leur expérience : liberté, amour et respect de la mer, courage face au danger, adaptation aux fluctuations de la ressource, dévotion et aussi leur volonté de sortir de la marginalisation, de l’analphabétisme de la pauvreté et du machisme.

Dès les années 60, se créent des coopératives, des syndicats. Ces syndicats se différencient de ceux du secteur industriel et minier par leurs relations à l’administration locale et non au milieu patronal.

Le temps de l’Unité Populaire (1970-1973), marque le progrès de la protection sociale pour les pêcheurs artisans et de la commercialisation par camions frigorifiques avec prix minimum garanti. Mais aussi un accord avec le Japon pour l’introduction du saumon et avec la Russie pour des gros chalutiers (surexploitation du merlu).

Pendant la longue période de la dictature (1973-1990), la répression s’abat sur les militants et les structures syndicales. Le gouvernement militaire favorise les « associations germiales », sorte de corporations. Il crée le Sous-secrétariat à la Pêche en 1979 et promeut la Loi Pêche et Aquaculture en 1989, « Ley Merino » qui établit la zone des 5 miles réservée aux pêcheurs artisans. Cette période est marquée par l’abondance des ressources marines : « locos », albacore, merlu…, boom des algues, développement de la salmoniculture (avec ses effets négatifs sur l’environnement et la pêche artisanale).
Les multiples opposants à la dictature ont bien conscience de l’importance de la pêche artisanale pour le Chili et du potentiel de mobilisation des pêcheurs, en particulier un certain nombre d’universitaires (sociologues et biologistes), tels Hector Morales, revenus après quelques années d’exil. Ils créent la Fondation pour la capacitation du pêcheur artisanal (FUNCAP)(N.B : pour H L Moralès, FUNCAP a été créée avec l’appui de la dictature, à la différence de CEDIPAC) soutenue par la FAO, le PNUD, le Japon et l’Université pontificale catholique de Talcahuano, ceci avec l’accord du gouvernement, et rencontrent les nouveaux leaders de la pêche artisanale. A la même époque un puissant mouvement étudiant, soutenu par l’église catholique développe des projets de développement contre la pauvreté des pêcheurs artisans. Caleta Portales, le port où travaille Humberto Chamorro devient l’exemple type.
En 1984, à Rome, la première conférence de la FAO et surtout la conférence parallèle de la pêche artisanale donne l’impulsion pour créer une organisation des pêcheurs artisans.
En 1985, sous couvert de l’église et avec le soutien de diverses ONG internationales (dont le CCFD et la FPH en France), se prépare une rencontre nationale des pêcheurs artisans et Humberto Chomorro apparaît comme leader infatigable, parcourant le pays.
Enfin, les 9 et 10 novembre 1986, un congrès organisé par la droite finance les voyages des délégations de tout le pays ce qui permet l’organisation du Xème Congrès National de la Pêche artisanale (11, 12, 13 novembre 1986), réuni discrètement au séminaire jésuite de Santiago, et la création de la Confédération Nationale des Pêcheurs Artisans du Chili : CONAPACH. Elle accueille alors 116 délégués de 74 organisations, regroupant 43 600 pêcheurs !
Elle se donne pour buts la protection des ressources par rapport à la pollution et à la surexploitation, la protection sociale, la formation des pêcheurs, le commercialisation, le développement des infrastructures, la place des femmes et de l’algoculture et, bien sûr, le retour à la démocratie. Elle se dote d’un siège à Valparaiso, d’un journal « La caleta » et de fédérations régionales en 1987, ainsi que d’un centre de formation géré par les pêcheurs, le CEDIPAC. En février 1988 a lieu la première « école nationale d’été » à Chiloé, avec des universitaires et des organisations internationales et toujours l’appui de l’église.
En 1988, le XIème congrès reçoit l’appui de ICSF (Collectif international d’appui à la pêche artisanale) et commencent les rencontres internationales.
En 1989, CONAPACH intervient sur le projet de loi pêche pour défendre la ressource contre l’ouverture aux flottes étrangères.

En 1990 arrive enfin un gouvernement démocratique, avec l’élection du président Aylwin. C’est lui qui ouvre le 3ème congrès de CONAPACH, structure écoutée et reconnue à l’international, toujours présidée par Humberto Chamorro. La loi pêche est reformulée en 1991. Les questions de gestion de la ressource, de valorisation post-capture et surtout de commercialisation restent difficiles, ainsi que la définition de la « pêche artisanale » en pleine évolution durant ces années de libéralisme.
En février 1996, Humberto Chamorro, alors président de la FEDEPESCA (fédération de la Vème région) organise une grande manifestation contre les chalutiers de la baie de Valparaiso, amenant un bateau jusqu’à la Chambre des députés à Santiago. C’est de début de l’éclatement de CONAPACH et de la création de CONFEPACH : Confédération Nationale de Fédérations de Pêcheurs Artisans du Chili, plus conciliante avec le gouvernement.
Les causes de la division sont l’introduction des partis dans l’organisation, les questions de pouvoir et d’appétit économique, les conflits d’intérêt et aussi la fin des subventions étrangères.
Le gouvernement Lagos (2000-2006) introduit les quotas et la « limite maximum de captures » qui ne parviennent pas à stopper l’effondrement de la ressource (en chinchard particulièrement) dont les artisans sont peu responsables.

La fin du livre : « héritages et défis pour le futur » reconnait une amélioration du niveau de vie des pêcheurs artisans, mais de grosses inégalités, suivant les métiers pratiqués, et un désinvestissement de la base. La pêche artisanale n’attire plus les jeunes et beaucoup de bateaux ont du sortir de flotte à cause des quotas. Les organisations sont éclatées, sans liens.
Puerto Natales, avril 2014 (photo B. Schmitt)
En conclusion, il n’y a pas une politique des pêches à la hauteur du pays, la consommation intérieure reste très faible. Les questions de gestion des ressources, de pollution, de réchauffement climatique, de concurrence du tourisme, de relations avec la pêche industrielle sont de plus en plus difficiles, sans parler du tremblement de terre de 2010 !
Que restera-t-il de l’investissement courageux de Humberto Chamorro, mort en avril 2015 ?

Humberto Chamorro en pêche, (photo Ph. Favrelière)

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