Tropiques toxiques : pollués pour des siècles, le scandale du chlordécone

, par  LE SANN Alain

Nous ne cessons d’attirer l’attention sur la gravité des pollutions d’origine terrestre, en particulier, les pollutions liées à des produits chimiques. Les exemples sont multiples. Le scandale du chlordécone dans les Antilles a soulevé des protestations populaires en Martinique et Guadeloupe.

Un documentaire graphique [1] retrace l’affaire dans une enquête remarquablement fouillée et argumentée, dans toute sa complexité. Son intérêt réside également dans la recherche de réponses dans une société confrontée à l’obligation de vivre avec des sols et des eaux polluées, sans doute pendant des siècles, alors que les effets sur la santé sont gravissimes.

20 ans d’épandages, 70 à 700 ans de pollution
Alors que le chlordécone, élaboré dans les années 50 a été interdit aux Etats-Unis dès la découverte de sa dangerosité dans les années 70, on a continué à le répandre dans les plantations de bananes des Antilles françaises, jusqu’en 1993. Il a pourtant été classé cancérigène en 1979. Pour certains, il fallait sauver les bananes des Antilles face à la concurrence mondiale, du fait de l’ouverture du marché européen aux bananes d’Amérique centrale et du Sud. Quand les effets sur la santé des habitants sont apparus, en particulier de nombreux cancers de la prostate, il devint évident que les effets du chlordécone étaient catastrophiques pour l’ensemble de la population. Les sols et les eaux polluées transmettaient le chlordécone à l’ensemble des produits alimentaires locaux, à des degrés divers.

L’aquaculture condamnée, la pêche côtière ravagée
L’élevage de crevettes d’eaux douces était florissant, il a été rapidement arrêté. De nombreuses zones côtières ont été interdites à la pêche pour des décennies et peut-être plus. Les 2000 pêcheurs de Martinique et de Guadeloupe ont dû soit arrêter leur activité, soit investir dans des bateaux plus grands et plus puissants pour accéder au large.

Qui est responsable ?
95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais sont contaminés par le chlordécone. Depuis 2008, les plans d’action chlordécone se suivent, mais il n’y a toujours pas d’enquête sur les responsabilités dans le maintien de l’épandage après les alertes sur la gravité de ses effets. Il y eut même des dérogations jusqu’en 1993, 3 ans après son interdiction. Là se situe le véritable scandale d’État. En 2019, lors du grand débat, le président Macron alla jusqu’à déclarer : « Il y a des prévalences qui ont été reconnues scientifiquement, mais je pense qu’il ne faut pas aller jusqu’à dire que c’est cancérigène ». Cette affirmation souleva un tollé dans les Antilles. Voilà sans doute qui explique largement la défiance des Antillais vis-à-vis de l’État.

Alain Le Sann

[1Jessica Oublié, Nicola Gobbi, Kathrine Avraam, Vinciane Lebrun. Tropiques Toxiques , le scandale du chlordécone. LES ESCALES, STEINKIS, 2020, 240 p.

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