Mer d’Arabie : razzia chinoise sur le calamar, 420 000 T

, par  LE SANN Alain

Tout le monde n’a pas accès à la lecture du « Monde » et si on peut être souvent agacé par certaines analyses de ses journalistes sur la pêche, on ne peut que se féliciter de les voir dénoncer les scandales de la pêche illégale. C’est précisément le cas avec cette enquête fouillée sur la ruée récente vers le calamar en mer d’Arabie.
Le Monde,10-11 juillet 2022, enquête de Adnan Aamir, Julien Bouissou, Nathalie Guibert, Simon Leplâtre, Harold Thibault, Martine Valo.

Ruée sur le calamar
Le calamar assure 3,6 millions t de captures, réalisées pour 50 à 70 % par la Chine, en Atlantique au large de l’Argentine surtout et plus récemment en mer d’Arabie, où les captures ont atteint 420 000 T pour la dernière saison d’août 2021 à mai 2022. En 2016, on y trouvait 56 bateaux industriels et 279 en 2021. Ces bateaux proviennent principalement de Chine, puisqu’on y a recensé cette année 150 jiggers (pêche à la turlutte), sans compter les chalutiers pélagiques. Ils sont accompagnés de 22 cargos qui assurent chaque mois le ravitaillement et la collecte des calmars congelés transférés en Chine. L’un de ces cargos a une capacité de 7000 T. S’y ajoutent des bateaux venus d’Iran, de Corée du Sud et du Vietnam.

Une ressource non régulée
Les calamars ont une durée de vie courte, d’environ un an. Ils assurent en partie la nourriture des thons. Mais cette faible durée de vie pose des problèmes de suivi et de gestion d’autant plus qu’il n’y a pas d’encadrement de la pêche en l’absence d’Organisation régionale pour le Nord de l’Océan Indien. Les conflits entre les Etats sont trop importants et certains d’entre eux sont complices des flottes chinoises. C’est le cas du Pakistan où le port de Gwadar a été construit par la Chine pour servir de base au développement de ses activités. Depuis, des chalutiers pakistanais ont été achetés par des Chinois et les pêcheurs côtiers pakistanais s’estiment menacés par leurs pratiques et protestent contre leur activité.

Des pêches illégales.
Si la Chine a mis en place des restrictions pour la pêche dans sa ZEE, elle soutient le développement d’une pêche lointaine sur tous les océans du monde. Il y a au moins 2700 bateaux industriels chinois qui travaillent sur tous les océans, dont 500 [1] à 1000, selon les sources, dans l’Océan Indien.
La Chine a mis des moratoires sur les pêcheries de calamars en Atlantique et dans le Pacifique pour répondre aux pressions internationales, mais rien pour l’océan Indien. Par ailleurs, elle continue de subventionner largement ses flottes lointaines et depuis 2010, elles sont privatisées et donc plus difficiles à contrôler. Ces bateaux naviguent souvent sous pavillon de complaisance : Panama, Kiribati, Sierra Leone. Des techniques pour effacer le traçage des bateaux ont été mises au point même si parallèlement les autorités peuvent sanctionner certaines pratiques illégales. Les bateaux coupent régulièrement leur AIS dans l’Océan Indien quand ils pénètrent illégalement dans les eaux indiennes ou omanaises. Cela a été constaté sur 35 % des 281 bateaux suivis par les enquêteurs. L’exemple d’une importante société de pêche est révélateur. Le fondateur de la société Pingtan Marine est un proche de Xi Jinping. La société est basée aux Iles Caïmans et dispose de 142 bateaux, sans compter ses activités financières et immobilières.

Une économie fragile, un coût social élevé.
Malgré les subventions, ces entreprises sont fragiles et peu rentables. Elles restent cependant attractives car elles alimentent le marché intérieur chinois mais aussi des exportations vers les Etats-Unis, le Pérou, l’Indonésie (50 % des débarquements sont exportés). La faible rentabilité explique la fréquence des incursions illégales et se traduit également par des conditions de travail difficiles. Si les salaires sont attractifs, car ils représentent environ 1000€, soit 2 fois le salaire d’un ouvrier, ils sont acquis au prix d’un travail continu 11 mois sur 12, loin des familles. Parfois, les situations sont dramatiques lorsque, après, un accident les blessés ne peuvent être soignés à cause du refus d’arrêter la pêche pour débarquer dans le port le plus proche. 2 décès ont ainsi été dénoncés. De nombreux cas de salaires impayés sont également signalés.

Face à un tel tableau effarant de la puissance de nuisance des flottes chinoises, on peut se demander comment arrêter une telle armada.

Ces étranges lumières rouges en Atlantique traduisent la présence de Jiggers chinois qui pratiquent la pêche de nuit avec des éclairages de LED.

N’est-on pas naïf de croire en la capacité de l’OMC, celle-là même qui a organisé le développement de la mondialisation dont la Chine a su bénéficier ? On peut se demander pourquoi l’Union Européenne, quand elle s’en prend aux pays exportateurs de produits de la mer suspectés de pratiques illégales, ne met jamais la Chine dans son viseur. Il est plus facile de s’attaquer aux modestes pêcheurs sri-lankais... Ce travail d’enquête est nécessaire et précieux, La rébellion des pêcheurs du Pakistan doit être soutenue et relayée.

Alain Le Sann
Août 2022

[1500 à 600 selon Ian Urbina, l’auteur de La jungle des océans, enquête sur la dernière frontière sauvage, éd Payot, 2019

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