Contre les oukases, pour une gestion démocratique des espaces marins. Intervention de Alain Le Sann aux Assises de la pêche à la Rochelle, septembre 2022

, par  LE SANN Alain

Alain Le Sann, vous êtes le co-président du collectif Pêche et développement. Vous avez publié sur votre site un article de Jan Geert Hiddink, professeur de biologie marine à l’université de Bangor, au pays de Galles. Il écrit, je cite, « Si l’objectif de la protection du milieu marin est de trouver un équilibre entre la conservation et la production de produits de la mer, la gestion de la pêche au chalut de fond doit donner la priorité à la réduction de la pêche des stocks surexploités. » Pour vous, l’interdiction n’est pas la meilleure solution ?

Oui, l’interdiction des arts traînants n’est pas la meilleure des solutions. Jan Geert Hiddink, que vous citez, précise même que « Les fonds marins sont en bonne santé là où la pêche au chalut est gérée de manière durable », et il ajoute : « Une interdiction totale du chalutage de fond réduirait la disponibilité des produits de la mer ».
Mais, bien sûr, il est légitime de s’interroger sur l’impact des chaluts et dragues. On peut interdire localement ou temporairement les arts traînants en fonction de la nature des fonds, de leur état, des impacts socio-économiques, et cela se fait déjà, mais sans interdiction généralisée, ce qui est clairement l’objectif de certains biologistes, de nombreuses fondations et des Ong qu’elles soutiennent.
Mon expérience sur le sujet remonte à 1994, il y a près de 30 ans, lors d’une rencontre de pêcheurs de pays du Sud, souvent confrontés à de graves problèmes face au développement du chalutage, un représentant de Greenpeace, qui est toujours un des leaders du mouvement anti chalut, a proposé au vote une motion pour l’interdiction totale du chalut. Pour ma part, l’un des rares Européens présents, j’ai souligné que les mêmes avaient demandé et obtenu à l’ONU l’interdiction des filets maillants dérivants. Les pêcheurs trouvaient cette interdiction absurde et ils les utilisaient souvent eux-mêmes. J’ai proposé que les interdictions soient décidées en fonction des réalités locales et par les communautés de pêcheurs. Cette position a été adoptée.
J’ai compris bien après que la proposition de Greenpeace s’inscrivait dans une stratégie élaborée et soutenue par des fondations anglo-saxonnes, dont Pew, qui avaient décidé de mettre des moyens considérables pour créer des réserves intégrales et bannir le chalut et les dragues. Un an auparavant, un stratège de Pew, Tom Wathen avait déclaré : « Pour des sommes considérables, il est possible de modeler l’opinion publique, de mobiliser les électeurs, de faire des recherches sur les problèmes et de faire pression sur les décideurs, le tout dans un arrangement symphonique ».
On voit bien qu’on est face à un déni de démocratie or la condition de la durabilité dans la gestion des communs est « la création d’un ordre politique dans lequel le contrôle des ressources naturelles dépend, dans toute la mesure du possible, des communautés qui en dépendent et la prise de décision au sein de la communauté doit être aussi participative, ouverte et démocratique que possible ». C’est un grand leader d’une ONG indienne qui le disait en 1992.
Il faut donc sortir des logiques autoritaires, technocratiques, uniquement fondées sur une approche bioéconomique qui dépossèdent les pêcheurs de leurs savoirs et de leurs pouvoirs. Comme le dénonce un géographe, Kévin de La Croix, cette prise de pouvoir commence par « les processus de production des discours légitimés sur l’environnement, concernant son « état de dégradation et sur les mesures à prendre ». Au-delà de la bioéconomie, il faut prendre en compte les réalités sociales et culturelles, s’appuyer sur les sciences humaines, prendre la mesure des conséquences humaines des décisions.
Que vont devenir les ports comme Lorient, le Guilvinec, Erquy, Boulogne, etc, si on interdit les arts traînants dans les AMP qui représentent 50 % de la bande côtière en Bretagne et menace des pêcheries emblématiques comme la langoustine, la coquille St Jacques, les algues...On sait déjà que le plan actuel de sortie de flotte va décimer les flottilles. Est-il nécessaire d’en rajouter sachant que les fileyeurs sont aussi menacés et sont confrontés également aux difficultés de recrutement ?
Il y a des décisions à prendre et un nouveau modèle à inventer dans un contexte de transition énergétique, d’occupation de l’espace marin par de nouvelles activités industrielles et des AMP qui marginalisent les pêcheurs. Les pêcheurs ont des droits et des responsabilités à défendre, il faut pour cela un cadre démocratique. La France a inventé les Comités de bassin pour la gestion des eaux douces, elle doit maintenant inventer des Parlements de la mer responsables de la gestion des eaux marines. Le modèle existe, c’est celui du Parc Marin d’Iroise qui associe tous les acteurs en respectant les droits et responsabilités des pêcheurs. Les financements peuvent venir des nouvelles activités marines (Taxes sur les champs éoliens, etc.) et aussi de l’indemnisation des pollutions d’origine terrestre ou autre, comme c’est le cas pour les eaux douces.
La survie de la pêche comme activité économique structurante sur le littoral est à ce prix.

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