Comité des Pêches à la FAO (COFI) La seule instance internationale où les pêcheurs artisans sont soutenus et respectés

, par  LAGARDE, Virginie

Début septembre, à Rome, s’est tenu le 35ème Comité des pêches de la FAO ; le Collectif Pêche et Développement y était représenté par sa co-présidente, Virginie Lagarde, une des seules représentantes des Forums issue d’un pays européen. Elle a pu constater que nos positions sur l’OMC et les subventions, les Aires marines protégées, l’aquaculture, la lutte contre la pêche illégale, le soutien à une pêche artisanale diversifiée sont largement partagées. Mais qui a entendu parler de cette réunion majeure : aucun article n’est paru dans la presse, y compris la presse professionnelle, par contre la prise de position de 200 chercheurs contre le chalut a eu les honneurs de toute la presse sous la jubilation des grosses ONG environnementalistes qui ont largement contribué à faire émerger cette position. Ainsi se crée dans l’opinion une certaine vision de la crise de la pêche qui échappe totalement aux pêcheurs artisans, confirmant l’analyse de géographes comme Kévin de La Croix pour qui « Ces mécanismes de pouvoir s’appuient principalement sur les processus de production des discours légitimes sur l’environnement » marginalisant les premiers concernés. Cette construction d’un savoir sur l’état de dégradation et les mesures à prendre exclut les pêcheurs et leurs savoirs et évacue « la complexité des interactions que les sociétés locales ont établies au cours du temps avec leur milieu ».
(Kévin de la Croix et Veronica Mitroi (dir). Ecologie politique de la pêche, Temporalités, crises, résistances et résiliences dans le monde de la pêche. Éd Presses universitaires de Paris Nanterre, 2020, 265 p.)
Si les grandes fondations anglo-saxonnes et les ONG environnementalistes sont également très présentes avec des moyens de communication considérables, les organisations de pêcheurs artisans et leurs soutiens disposent d’un lieu unique pour se concerter et s’exprimer. Ce n’est absolument pas le cas dans les autres instances et organisations internationales.

Le Comité des Pêches de la FAO : unique en son genre

Le Collectif Pêche et Développement a fait partie de la délégation du CIP (Comité International de Planification pour la Souveraineté Alimentaire) qui a un statut d’observateur au Comité des pêches de la FAO (COFI en anglais) réuni tous les deux ans. Pour rappel, le COFI est un organe subsidiaire du Conseil de la FAO créé en 1965 par la Conférence de la FAO. Il est le seul espace intergouvernemental mondial au sein duquel les membres de la FAO se réunissent pour analyser et examiner les questions et les enjeux en rapport avec la pêche et l’aquaculture. Le Comité des pêches est unique en son genre car il formule régulièrement des recommandations et des orientations de portée mondiale à l’intention des gouvernements, des organes régionaux des pêches, des organisations de la société civile et des acteurs du secteur privé et de la communauté internationale. Il a facilité l’élaboration et l’adoption de plusieurs accords, contraignants et non contraignants, qui ont redéfini la manière dont le secteur contribue à la durabilité des ressources (y compris à la conservation de la biodiversité).
Le CIP, quant à lui, regroupe diverses organisations professionnelles dont le WFF (World Forum of Fish Harvesters and Fishworkers) dont nous sommes membres. C’est une plateforme mondiale autonome et auto-organisée de petits producteurs alimentaires, d’organisations de travailleurs ruraux et de mouvements sociaux de base et communautaires qui plaide en faveur de la promotion de la souveraineté alimentaire aux niveaux mondial et régional.
Cette participation a consisté à suivre les sessions du COFI et à participer à toutes les réunions préparatoires, les debriefings, la rédaction et la lecture de « position papers » ou déclarations [1] .

Les Forums Mondiaux des Pêcheurs ont pu préparer la session du Comité des Pêches
Avant cet évènement, une semaine de préparation (par les mouvements sociaux pour la pêche artisanale, WFF, WFFP (World Forum of Fisher Peoples), Via Campesina, CIP, CAOPA…) et de réunions s’est déroulée à Rome pour préparer le COFI, faire le bilan sur l’Année de la pêche artisanale de la FAO et la mise en œuvre des directives volontaires de la FAO. Le groupe de travail de la CIP sur la pêche a donc profité de la 35ème session du Comité de la Pêche de la FAO pour célébrer les mouvements populaires de la pêche artisanale. Les 2 et 3 septembre, se sont donc réunis différents réseaux de pêcheurs, de peuples indigènes, de travailleurs et de jeunes de la pêche artisanale afin d’élaborer des points de vue communs sur des sujets cruciaux pour la survie et la dignité des peuples de la pêche artisanale. Ce moment fut crucial pour organiser et discuter de l’avenir de la pêche artisanale et de l’aquaculture dans un contexte de crise climatique, d’abus des entreprises et de perturbations dues aux pandémies. Ces acteurs sont fermement convaincus que les marchés locaux, la production alimentaire à petite échelle et la promotion des droits humains et environnementaux doivent être au cœur de toute action réglementaire et politique. Du 2 au 4 septembre, les délégués du CIP ont contribué à la première édition du Sommet Small Scale Fisheries (SSF), organisé avec le soutien de la FAO, de la CGPM (Commission Générale des Pêches pour la Méditerranée) et du Hub SSF [2]. A cette occasion, le CIP a organisé une journée entière consacrée uniquement aux organisations SSF, ce qui a permis de créer un espace de dialogue entre les organisations SSF et d’ouvrir la possibilité de collaborer au niveau régional pour assurer la mise en œuvre des directives sur la pêche à petite échelle.

Suite à cela, d’autres membres du CIP (dont Pêche et Développement) sont venus compléter cette équipe pour suivre le COFI. Au cours de la 35ème session du COFI, le groupe de travail du CIP sur la pêche a préparé ses déclarations sur les questions qu’il considère comme prioritaires. Le développement durable de la pêche et de l’aquaculture dans le contexte du changement climatique, une meilleure utilisation de la biodiversité, la garantie d’une croissance équitable pour les pêcheurs à petite échelle et l’élimination de la pêche INN, ont été parmi les principales questions discutées lors de la 35ème session du COFI. Voici un petit résumé du déroulement de ces quelques jours, les déclarations et textes réalisés lors de cette semaine sont disponibles sur le site du CIP [3] (et facebook [4] ou twitter [5] ) et sur le site du COFI.

Le déroulé

Jour 1 : Ouverture de la 35ème session du Comité des pêches de la FAO (#COFI35). Margaret Nakato (WFF) et Christiana Louwa (WFFP) ont participé, au nom du groupe de travail de la CIP sur la pêche, à l’événement spécial sur l’Année internationale de la pêche artisanale et de l’aquaculture (IYAFA-AIPAA 2022) [6]. Elles ont fait des déclarations et parlé des projets menés au cours de cette année. Un appel a été fait aux membres du COFI pour qu’au cours de deux prochaines années il existe une reconnaissance et une pleine mise en œuvre des directives sur la Pêche artisanale, en allouant des ressources financières et techniques, en renforçant les capacités institutionnelles et en développant des mécanismes de mise en œuvre participative, en étroite collaboration avec les pêcheurs artisanaux, les peuples autochtones et nos organisations dans le monde entier.

Jour 2 : Zoila Bustamante du WFF (Forum mondial des pêcheurs et des travailleurs de la pêche) a parlé au nom du CIP de la manière dont les gouvernements doivent soutenir la pêche artisanale et à petite échelle, notamment dans le cadre de l’Année internationale de la pêche artisanale et de l’aquaculture (IYAFA- AIPAA)). Voici un extrait de la déclaration : "C’est une année importante - l’Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales (AIPAA). En tant que co-président de l’AIPAA, le CIP a contribué à d’importantes initiatives menées cette année en faveur des organisations et des communautés de pêcheurs à petite échelle du monde entier. Cependant, l’AIPAA a été un encouragement, et nos membres continueront à étendre leurs efforts comme ils le faisaient auparavant pour renforcer les communautés de pêche à petite échelle au-delà de l’AIPAA, pour leur souveraineté alimentaire et leur bien-être social, comme le prévoient les directives volontaires pour la durabilité de la pêche artisanale".

Jour 3  : la discussion a porté sur la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). Virginie Lagarde (Forum mondial des pêcheurs et des travailleurs de la pêche / Pêche et Développement) est intervenue au nom de la CIP sur ce point. Voici un extrait de la déclaration :
"En ce qui concerne les négociations de l’OMC sur la suppression des subventions à la pêche en tant que stratégie de lutte contre la pêche INN, nous sommes profondément préoccupés par le fait que ces négociations se sont déroulées sans que les pêcheurs à petite échelle et les peuples autochtones aient la possibilité de participer. L’OMC ne tient pas dûment compte des droits de l’homme et du développement culturel et social. Son programme de libre-échange a facilité la concentration accrue de la propriété des territoires et des ressources naturelles entre les mains de puissantes sociétés. Nous demandons donc aux membres du COFI de ramener les négociations sur les subventions à la pêche au sein du COFI, afin de garantir que la pêche INN soit abordée de manière démocratique et que nous ayons la possibilité de contribuer aux négociations".

Jours 4 et 5  : Les principaux sujets débattus ces deux jours suivants ont été l’aquaculture, la préservation de la biodiversité et la création du sous-comité de la pêche au sein du COFI. Du fait de retard, le secrétaire général du COFI n’a plus donné la parole aux observateurs, ce que la délégation a fortement regretté, surtout dans un contexte où l’on parle de cogestion et de consultation. Des « positions papers » ont toutefois été rédigés et envoyés aux membres du COFI.

Les déclarations

Les déclarations de la CIP réitèrent le manque de reconnaissance des pêcheurs à petite échelle et des peuples autochtones, les défis auxquels ils sont confrontés et la marginalisation des femmes travaillant dans le secteur de la pêche qui ne bénéficient pas de droits égaux dans ce secteur. Ces défis continuent d’être souvent négligés, tandis que les pêcheurs artisanaux et les peuples autochtones sont tenus à l’écart des processus décisionnels qui affectent directement leurs vies et leurs moyens de subsistance.
En outre, les pêcheurs artisanaux et les peuples autochtones continuent de perdre l’accès aux territoires et aux ressources de pêche, en raison de l’expropriation croissante des ressources halieutiques dans les territoires intérieurs et marins du monde entier. Une fois de plus, le CIP a invité les États à éviter les fausses solutions, telles que les aires marines protégées (AMP) et la planification spatiale marine (PSM), et à prendre des mesures efficaces pour rétablir les droits d’occupation traditionnels, coutumiers ou autochtones légitimes des communautés de pêcheurs et redistribuer ces droits lorsqu’ils ont été violés.
Comme lors de la précédente COFI 34, la discussion en plénière a accordé beaucoup d’espace et d’attention à l’aquaculture et à sa contribution à la sécurité alimentaire et à la durabilité. Le CIP dans ses déclarations a affirmé ne pas être d’accord avec le développement et les aides orientés vers l’aquaculture d’exportation comme solution à la crise alimentaire. Les volumes de poissons de capture sauvages et de produits à base de plantes, comme le soja, qui sont nécessaires pour nourrir l’industrie aquacole en pleine croissance ne sont tout simplement pas durables. Le CIP a donc appelé les membres du COFI à travailler avec les pêcheurs à petite échelle et les peuples indigènes, afin de soutenir et de faire progresser les chaînes de valeur localisées des produits de la pêche en mer, qui peuvent fournir une alimentation saine et abordable aux communautés.
L’existence même de nos communautés est menacée par le changement climatique, la destruction de l’environnement et la pollution. Le CIP a appelé les gouvernements à mettre en œuvre des plans et des projets pour la réparation et la protection de la nature. Les États doivent faire face aux impacts du changement climatique en se basant sur les connaissances, les informations et les solutions proposées par les communautés de pêcheurs, les peuples autochtones et nos organisations.

Au cours de la 35ème édition du COFI, les États membres ont discuté et convenu de procéder à la création d’un sous-comité sur la gestion des pêches, qui comprendra un point permanent à l’ordre du jour sur la pêche à petite échelle. Pour le CIP, le sous-comité ne sera pas en mesure d’aborder les questions primordiales liées à la pêche à petite échelle, qui ont une portée beaucoup plus large. Au lieu de cela, le COFI, en tant que principale plateforme permettant à divers acteurs de s’engager et de discuter des questions relatives à la pêche à petite échelle, doit être renforcé et amélioré. Enfin, le CIP a demandé aux États de ramener les discussions sur les subventions à la pêche à la FAO et au COFI, afin de garantir que la question de la pêche illégale, non réglementée et non déclarée (INN) soit abordée de manière démocratique, et que nous ayons la possibilité de participer aux négociations.

Satisfaction et limites

Le CIP s’est félicité de la décision des gouvernements d’organiser un sommet de représentants de la pêche artisanale dans les jours précédant le COFI, une occasion d’avoir un espace de discussion et d’élaboration de stratégies entre les différentes organisations. Cependant, le CIP a exprimé sa grande déception face à la décision du président du COFI de ne pas autoriser les observateurs à s’exprimer pendant les discussions sur la création du sous-comité sur la pêche, la biodiversité et le changement climatique, justifiant ce choix par un manque de temps. Suite à cette décision, il n’a autorisé qu’une intervention d’une minute, privant une fois de plus les petits pêcheurs et les peuples autochtones de la possibilité de s’exprimer, empêchant ainsi la voix de millions de pêcheurs artisanaux d’être portée à l’attention des délégations gouvernementales.
La délégation du CIP a apporté sa contribution à la discussion en envoyant par e-mail toutes ses déclarations pour s’assurer qu’elles soient téléchargées sur le site du COFI, mais à l’heure actuelle, seule la déclaration générale du CIP est disponible.

Le bilan de cette participation est plus que positif, la délégation du CIP était très positive à l’idée que, pour la première fois, via le Collectif Pêche et Développement, l’Europe et la France aient été représentées ce qui n’était pas arrivé dans le passé. Cela a fait passer le message fort de la diversité et de l’unité.

Virginie Lagarde, Co-présidente du Collectif pêche et développement
Septembre 2022

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