Kayar (Sénégal) : pirogues et filets brûlés, maisons dévastées, Claies de séchage des femmes transformatrices saccagées.

, par  NIASSE Lamine

Quand les services de l’État (services des pêches, forces de sécurité, sous-préfet, gouverneur, ministère de la pêche, etc.) tardent à réagir en amont, cela tourne au drame.

Pourtant toutes ces autorités connaissent bien la nature du conflit et ses conséquences.
Malgré l’accalmie observée depuis 2005 où il y avait eu un mort, on peut tous s’accorder pour dire que la situation reste très fragile. Parce que le fond du problème demeure les conceptions opposées des deux communautés : Kayar et Guet-Ndar. Gestion et exploitation des ressources halieutiques autour de règles définies collectivement depuis près de 40 ans pour les pêcheurs de Kayar. Accès, liberté de circulation et de pêcher librement pour ceux de Guet-Ndar, souvent pêcheurs migrants, qui revendiquent la liberté d’exercer leur activité sans contraintes.

En mai 2023, le village de pêcheurs de Kayar a été le théâtre d’événements dramatiques entre Kayarois et Guet-Ndariens comme en 2005.
Après chaque crise, des médiations permettent de trouver les moyens de cohabiter, mais la situation reste fragile si l’État ne joue pas son rôle pour faire appliquer les règles définies collectivement par les communautés de pêcheurs.

Mboro, les filets de la discorde
Les crises sont causées surtout par des Guet-ndariens non établis à Kayar et résidant à Mboro. Cette situation s’explique par le fait que ces derniers, refusant les règles discutées et établies à Kayar, sont allés s’établir dans un autre village et viennent souvent pêcher dans le périmètre de pêche délimité de Kayar. Ces Saint-louisiens auparavant habitant à Kayar, se sont installés à 35km au nord de Kayar, à Mboro/mer où ils ont créé une communauté très dynamique pratiquant toutes les techniques de pêche (filet dormant de surface comme de fond, la palangre, le filet maillant dérivant). Ils y ont même initié des éleveurs peuls du village à la pratique de la pêche avec d’autres techniques en plus de celle à la ligne au bord de la plage.

Ph Lamine Niasse. Mboro sur mer , pirogues et leurs filets monofilaments
A Kayar coexistent tant bien que mal deux communautés : des pêcheurs lébous qui pratiquent la ligne dans la très riche fosse de Kayar qui nait près de la côte et se prolonge en mer, large de 300 m et très profonde, bordée de rochers, ils pratiquent aussi la senne tournante ; des pêcheurs de Saint Louis qui pratiquent des migrations saisonnières pour suivre les poissons se sont aussi installés à Kayar et acceptent bon gré mal gré les règles strictes édictées par les pêcheurs de Kayar, depuis 1982.
Les pêches au filet dormant, à la palangre et les filets mono-filaments, sont interdites dans la fosse et à une bonne distance au large et des deux côtés de la fosse : 28km vers Mboro et de Kayar à Yoff.
Par contre tout le monde peut y pêcher, y compris les Saint-louisiens en respectant des limites : 3 caisses de pageots maximum par pirogue pour éviter l’effondrement des cours de ce poisson très recherché pour l’exportation. Mais les Guet-ndariens restent au fond d’eux-mêmes opposés aux règles et aux limitations. En 1994, le prix des poissons s’était effondré du fait de débarquements abondants de pageots à Kayar, produits qui devaient être exportés en Europe. C’est d’ailleurs à ce moment que les pêcheurs français avaient découvert leur solidarité avec les Sénégalais pour reconquérir des prix acceptables.
Pratiquant souvent la pêche en suivant les migrations des poissons, les Guet-ndariens peuvent entrer en conflit avec des communautés très organisées comme celle de Kayar.
Au mois de mai, à l’approche de l’hivernage, des bancs de poissons descendent du nord et parmi eux des espèces très recherchées comme l’ombrine, la sole, etc. les pêcheurs de Mboro les suivent et à l’occasion prennent aussi des langoustes dans leurs casiers. Au cours de cette poursuite, ils descendent vers Kayar et certains dépassent les limites fixées par les Kayarois pour protéger la fosse.
Ces derniers ont arraisonné sept pirogues de Mboro, brûlé les filets sur la plage et demandé aux pêcheurs de Mboro de retourner dans leur village.

Sennes contre filets : l’escalade dramatique
Pour leur part, à ce moment, les Kayarois pratiquant la senne tournante sont eux aussi remontés vers le Nord à la rencontre des poissons pélagiques. Les pêcheurs de Mboro ont voulu se venger en attaquant une de leurs pirogues. Ils ont grièvement blessé plusieurs jeunes pêcheurs, puis amené la pirogue à terre et l’ont brûlée avec la senne. Ils ont ensuite chassé les pêcheurs brûlés et blessés loin de Mboro, ils ont été secourus par les Kayarois et acheminés vers les hôpitaux de Thiès.

Devant l’ampleur du conflit, le ministre des pêches est venu s’entretenir avec les pêcheurs hospitalisés. Mais dans une déclaration, il a minimisé les blessures, parlant « d’égratignures », alors qu’un pêcheur risque de perdre la vue. Cette déclaration a mis les jeunes Kayarois en colère.

Scandalisés, ils ont attaqué le quartier des Guet Ndariens à Kayar, brûlant des pirogues, des filets, des maisons et une station d’essence-pirogue.

Photo Lamine Niasse. Quartier des Guet ndariens, maisons brûlées Les Guet-ndariens ont répliqué en saccageant les claies de séchage de femmes.

Ph lamine Niasse. Site de transformation des femmes saccagé Pendant ce temps, des pirogues de Saint Louis ont entamé une descente vers Kayar ; elles ont été interceptées par la marine sénégalaise.

La médiation et la force de l’organisation kayaroise
Face à une situation très grave, les autorités politiques, religieuses et coutumières sont venues de Dakar pour mettre en place une médiation qui a permis de ramener le calme. L’association ADEPA a également organisé une rencontre nationale pour tirer les leçons du conflit et rappeler l’importance du rôle de l’État pour assurer le contrôle des règlementations établies par les pêcheurs dans le cadre de la cogestion.

En effet, ce que veulent les Kayarois, c’est une intervention des autorités publiques pour faire respecter les règles définies par leur communauté. Quand les Guet-ndariens admettent ces règles, les Kayarois respectent leur activité, mais la tradition saint-louisienne de refus des règles sur une mer où ils veulent être libres de leurs mouvements reprend parfois le dessus.

Les Kayarois ont leurs équipes de surveillance, mais ils estiment que c’est à l’État d’exercer le contrôle. Quand la course au poisson s’exacerbe, dans un contexte de croissance du nombre de pêcheurs, avec de plus en plus des ressources convoitées par des usines de farine de poissons [1] et des chalutiers industriels, les accords passés peuvent être fragiles, surtout lorsque les plus jeunes oublient les raisons de leur existence.

Face à cette crise, la communauté de Kayar a montré ses capacités d’organisation avec de jeunes leaders comme Mor Mbengue [2] qui ont mis en place un comité de crise. Ils ont ainsi pris en charge les procès des pêcheurs arrêtés, soutenu les brûlés et blessés. Ils ont mobilisé 7 millions de F CFA quand l’Etat n’a attribué que 500 000 F CFA pour soutenir les pêcheurs (250 000 FCFA pour chaque hôpital).

Pour les Kayarois, le ministère des Pêches n’a pas été à la hauteur. Ils attendent un engagement plus important pour éviter le retour de ce type de conflit dramatique.

L’atelier, organisé par ADEPA dans le courant de mai 2023, a campé le contexte caractérisé par une raréfaction de la ressource et un effort de pêche qui ne correspond plus au niveau de la disponibilité des ressources.

Au même moment, les côtes sénégalaises font face à la présence de bateaux pirates pêchant illégalement et de bateaux étrangers dans le cadre de sociétés soit-disant mixtes. Ces derniers sont en grande partie d’origine chinoise, turque, coréenne, européenne.

La contradiction principale demeure cette agression de nos côtes par les bateaux étrangers. Nous devons travailler à construire de larges convergences entre communautés de pêcheurs sénégalais, partageant un destin commun pour nous et les générations. Ce qui nous permettra de faire face à la gestion de notre écosystème au bénéfice principalement des Sénégalais.

Ceci est la solution à l’émigration irrégulière.

Lamine Niasse

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