Lorient : de Keroman à KER’OMAN

, par  GOHLAZO, Yann

L’un des participants à la rencontre organisée à Lorient sur le projet Ker’Oman et l’avenir de la pêche lorientaise nous a fait parvenir ce texte qui donne un point de vue différent de ceux qui ont été généralement exprimés, notamment dans la presse nationale. Il apporte aussi des éléments sur la question des importations et de la pêche industrielle.

Le 12 janvier 2024 à l’initiative du mouvement « LES ECOLOGISTES » s’est tenue au foyer Courbet à Lorient un débat sur le projet intitulé « KER’OMAN » et sur les pêches bretonnes.

Plus de transparence

Les écologistes ont dénoncé un projet mené par la Société d’Economie Mixte Lorient-Keroman qui consisterait à participer à la transformation du port de Duqm au Sultanat d’Oman en port de pêche identique à celui de Keroman mais en plus grand pour y développer la pêche et rapatrier le poisson de ce port vers Lorient par avion ou cargo.
Les débats furent tendus et des attaques virulentes et ciblées eurent lieu contre les responsables de ce projet.
Si l’on peut dénoncer le manque de transparence de ce projet, il appartient aux représentants politiques (dont les écologistes) qui siègent au conseil d’administration de la SEM de venir informer objectivement la population lorientaise plutôt que de s’attaquer aux représentants des professionnels de la mer qui font le maximum pour maintenir la filière pêche tant au niveau production qu’au niveau commercial.

Comment assurer les approvisionnements et le travail sur le port ?

Aujourd’hui l’avenir de la filière doit être pris dans sa dimension économique, sociale, environnementale. Les débats le 12 janvier dernier ont pris beaucoup plus une dimension environnementale qu’une dimension économique et sociale.

En 1975 le port de Lorient-Keroman c’était, toutes pêches confondues (pêche industrielle, pêche semi-industrielle, pêche artisanale), 75 000 tonnes débarquées et vendues sous criée : du poisson noble (merlu, sole, langoustine) mais aussi des espèces plus communes (lieu noir, élingue, églefin, poisson bleu). Toutes les filières étaient approvisionnées (mareyage, transformation, conserveries).

Aujourd’hui la flotte de pêche lorientaise ne ramène pas plus de 15 000 tonnes soit 20% des 80 000 tonnes de la plate-forme commerciale. Les 60 000 tonnes manquantes proviennent des autres ports bretons mais surtout d’Irlande, d’Ecosse, du Danemark, de Hollande, de Norvège.

Criée deLorient

La flotte de pêche lorientaise confrontée à de multiples problèmes (prix du gazole, quotas à la baisse, aires marines protégées, arrêts temporaires des navires pour la protection des dauphins) ne pourra à court et moyen terme dépasser les 15 000 tonnes par an. Le casse-tête d’un président de la SEM, quel qu’il soit, sera donc de trouver chaque année les 60 000 tonnes manquantes en se tournant vers les productions au sein et en dehors de l’Union Européenne.

Car le développement des AMAP évoqué dans les débats (vente directe au client) aura pour inconvénient de se limiter à la seule production locale sur des espèces de qualité mais de faible tonnage et pour une clientèle qui a les moyens d’acheter une denrée devenue rare, une clientèle qui prend ses aises sur le littoral et qui va continuer à en profiter. Dans ce cas il n’y aura plus de Lorient-Keroman mais seulement quelques bateaux qui tiendront boutique sur les quais alors que Lorient-Keroman continue à alimenter toutes les filières de consommation pour que tout le monde puisse, quelle que soit sa condition sociale, manger du poisson.

Lorient-Keroman avec les marins embarqués sur les bateaux, les salariés du port, les personnels des magasins de marée, des entreprises de transformation, les ouvriers à l’entretien des navires, les chauffeurs routiers, c’est 3 000 emplois.

Atelier de marée au port de Lorient

Les importations d’Oman paraissent peu réalistes

Alors le projet « KER’OMAN » se situe-t-il dans ce contexte ? Par le peu d’informations entendues lors de ce débat, les espèces pêchées en Mer d’Arabie sont surtout des espèces pélagiques de faible valeur marchande mais source de plus-value si elles sont transformées. Reste à savoir où et par qui ? L’acheminement par avion ou par cargo représenterait un coût financier important avec un impact sur les coûts de transformation et de distribution.

Même si le Sultanat d’Oman est propriétaire de quelques chalutiers et que la pêche de fond est actuellement interdite, il s’agira de savoir si les espèces pêchées pourront convenir aux marchés français.

Dans les années 1990, il y eut un précédent à Conakry en Guinée avec la Société Guinéenne de Pêche (SOGUIPECHE) détenue à 50% par l’Etat guinéen et à 50% par l’Armement JEGO-QUERE de Lorient. Tout avait rapidement sombré : port neuf tout aménagé mais personnel incompétent, chaleur, hangars réfrigérés rapidement en panne, états-majors lorientais et étellois des 3 chalutiers construits chez Piriou pas ravitaillés en gazole, en matériel de pêche et pas payés pendant plusieurs mois et enfin espèces de poissons ne correspondant pas au goût des Français.

Le projet « KER’OMAN » pour le peu que l’on en connaisse quelques aspects reste plutôt un projet d’engineering avec des possibilités d’implantation des entreprises de froid, de chantiers navals, d’industries de transformation pouvant venir de Bretagne.

La pêche industrielle assure des emplois dans la transformation

Concernant l’intervention de la représentante de l’ONG « BLOOM » qui dénonce les méfaits de la pêche industrielle et notamment l’armement d’un nouveau bateau qui va remplacer le « JOSEPH ROTY » l’on ne peut pas être d’accord avec une telle intervention. Il reste deux navires de grande pêche à St Malo : Le « JOSEPH ROTY » et l’« EMERAUDE ». Le plus ancien le « JOSEPH ROTY » va partir à la casse mais il est remplacé par un chalutier polonais qui amène avec lui ses quotas. Il va donc toujours rester 2 bateaux de grande pêche à St Malo. Il faut savoir que ces deux bateaux sont neufs et alimentent l’usine de St Malo qui fabrique du Surimi de première qualité et qui emploie 350 salariés. Le surimi est fabriqué à partir de la pêche de merlan bleu, les stocks se situant entre l’Écosse et la Norvège. Les quotas à partir des TAC (estimation scientifique des stocks) sont négociés depuis des années entre l’UE et la Norvège. Comment la représentante de l’ONG « BLOOM » dénonçant une pêche soit disant abusive ferait-elle pour garder 350 emplois à St Malo sans compter les 2 équipages dont l’état-major est breton ?

Douarnenez est le port spécialisé dans les espèces pélagiques et où se trouvent les deux plus grosses conserveries de France : PETIT NAVIRE et CHANCERELLE-CONNETABLE. Les senneurs artisans pêchent la sardine, l’anchois, le sprat mais les tonnages débarqués sont faibles. Les conserveurs font appel pour le thon aux thoniers océaniques, pour le thon blanc ou thon germon aux bateaux bretons, irlandais, pour le maquereau aux senneurs écossais. Si là aussi l’on considère que ces pêches industrielles et artisanales sont destructrices c’en sera fini de l’emploi à Douarnenez.

La pêche thonière change de pavillon

Reste la crise au thon tropical. Il y a trois armements français qui pêchent dans l’Océan Indien et en Atlantique : CFTO (Compagnie Française du Thon Océanique), VIA OCEAN (ex-Saupiquet) et SAPMER. Cela représente 18 thoniers océaniques pour 60 000 tonnes de production. Les zones de pêche et les tonnages sont négociés entre l’UE et les états riverains mais les pêches se font aussi en eaux internationales. Les armements ont leur siège à Concarneau mais les bateaux ont leur base pour l’Océan Indien aux Seychelles, à Diego à Madagascar et pour l’Océan Atlantique à Abidjan en Côte d’Ivoire. Les équipages sont pour un tiers breton, soit 400 marins et pour les deux tiers africains (sénégalais, guinéens, ivoiriens, malgaches, seychellois). La rémunération est calculée à la fois sur le tonnage débarqué et sur la valeur des ventes. Les pêches sont congelées à bord et partent par cargo vers Porto Rico, Singapour et bien sûr vers l’Europe pour les conserveries françaises et italiennes. Actuellement la pêche au thon tropical ne va pas bien : coût du gazole, apports moindres, faibles prix, concurrence asiatique. La SAPMER a vendu ses 3 thoniers, VIA OCEAN est en train de suivre (manifestations à Concarneau) et la CFTO qui ne veut pas vendre ses bateaux veut revoir la rémunération des équipages en leur demandant de participer aux frais de gazole comme en 1970. La multinationale italienne BOLTON (VIA OCEAN) veut faire passer ses bateaux sous pavillon de complaisance et les équipages demandent le pavillon des Kerguelen pour rester quand même fiscalement français à minima comme à la Marine Marchande.

Aujourd’hui la pêche industrielle française qu’elle soit de grande pêche, de pêche au thon tropical ou de pêche de poisson frais est aux mains de multinationales hollandaises et italiennes. Seul survit à Lorient la SCAPECHE filiale d’INTERMARCHE qui n’a plus que 2 ou 3 chalutiers dans le Nord Ecosse mais avec de grosses difficultés avec les Britanniques du fait du Brexit. La SCAPECHE se replie et rachète des bateaux artisans pour continuer à alimenter les magasins INTERMARCHE et l’usine de Lanester CAPITAINE HOUAT, filiale d’INTERMARCHE, importe du poisson, des crevettes d’Asie et de Madagascar. Ils sont 200 ouvriers et ouvrières à CAPITAINE HOUAT.

Le monde de la pêche comme celui de l’agriculture est soumis aux aléas de la mondialisation. Cela n’est pas nouveau. En 1960 la première à en avoir subi les conséquences c’est la Marine Marchande française lorsque les armateurs grecs très tôt suivi par les Allemands ont mis leurs bateaux sous pavillon de complaisance avec équipages philippins, sri-lankais. Il n’y a jamais eu de pavillon européen. A la Marine Marchande française seuls les états-majors sont français, les bateaux sous pavillon RIF ou pavillon des Kerguelen (d’ailleurs créé par J.Y LE DRIAN quand il était Secrétaire d’Etat à la mer).

Il serait donc judicieux de se garder de condamner d’emblée un projet que l’on ne connaît pas vraiment et qui sera sans doute présenté par les instances professionnelles et politiques au moment voulu.

Yann Gohlazo
A Lorient, le 22.01.2024

Les intertitres sont de la rédaction.

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