Les Etats-Unis promeuvent la privatisation des mers en Amérique Centrale

, par  VARELA MARQUEZ, Jorge

Au milieu du XXème siècle, les gens croyaient que les ressources marines étaient inépuisables. A la fin du siècle, on s’est aperçu que les ressources marines étaient limitées et que de plus en plus de grandes zones de pêche avaient été pleinement exploitées, surexploitées ou épuisées au point qu’il y avait 400 « mers mortes », particulièrement dans certaines parties de la Baltique et sur les deux côtes des Etats-Unis.

Parmi les solutions expérimentées pour retrouver les ressources de poisson perdues il y a l’autorisation donnée aux flottes industrielles du Nord d’envahir des zones réservées exclusivement à la pêche artisanale. Dans le m^me temps, de grandes flottes de pêche, plus modernes, sont envoyées dans le « Cône Sud » où, par les accords avec des gouvernements, la signature d’accords de libre échange ou la pêche illégale ( INN) et la piraterie, les stocks de poissons continuent d’être épuisés.
La « Tragédie des Communs » (Hardin- 1968) est évidente quand des sociétés et des entreprises de pêche multinationales obtiennent des accès à des zones sous-exploitées et introduisent un nombre sans cesse croissant de bateaux de plus en plus modernes jusqu’à épuisement des stocks. Suggérer que les pêcheurs artisans sont responsables de cette tragédie, c’est préparer le terrain pour les priver de leur mode de vie.

L’aquaculture est une autre solution proposée, elle a connu un grand essor dans les années 70 avec la crevetticulture. mais en moins de 40 ans, elle a détruit plus de la moitié des nurseries d’espèces marines ( mangroves et écosystèmes associés). D’autres espèces d’élevage occupent de grandes bandes de terre et de mer, déversant des tonnes d’éléments nutritifs (comme le phosphore et l’azote) dans les océans, créant des zones eutrophisées et, associées à d’autres facteurs, des dégradations des paramètres physico-chimiques des espaces aquatiques ( comme l’acidification, la perte de capacité d’absorption de CO2).

En 2006, l’agence des Etats-Unis pour le Développement (USAID) a financé une enquête sur les opportunités et les défis pour la conservation de la biodiversité et des écosystèmes littoraux en Amérique latine. Les résultats ont servi à initier un programme quinquennal en 2009 sur les deux côtes de l’Amérique Centrale, dont Belize [1] et Panama. L’USAID obtint ainsi un accord avec le « Système d’intégration d’Amérique Centrale » (SICA) pour adopter l’objectif stratégique néo-libéral : « liberté pour l’économie, expansion économique, ouverture et diversification » dont les buts spécifiques sont de promouvoir les mécanismes de marché, les droits d’accès aux ressources et la sécurisation de ces accès. Ce dernier doit être atteint par des Quotas Individuels Transférables (QIT), ce qui signifie que, suivant les études de population des espèces ciblées (par ex les requins, les vivaneaux, les langoustes, les crustacés…), le TAC ( Total Autorisé de Captures) est fixé et une part de ce TAC est attribuée à un individu ou un bateau. Ensuite, le bénéficiaire peut utiliser cette concession avec tous les droits inhérents à une propriété individuelle qui peut être transférée par vente, location, héritage, etc. En outre, avec les mécanismes précités, des zones de pêche exclusives, en cogestion public/privé, peuvent être attribuées sous le contrôle d’entreprises privées [2] . En résumé, les gouvernements nationaux réalisent seulement l’attribution initiale. La biodiversité et les écosystèmes sont privatisés par des entités nationales ou étrangères ; la régulation par les bénéficiaires est encouragée ( !!) ; les pêcheurs disparaissent ou deviennent des locataires ou des valets des propriétaires de QIT. Les QIT à eux seuls n’atteignent pas leur but de conservation et l’Etat perd en fait sa souveraineté sur la mer et son rôle dans la gestion des pêches.

L’USAID espère, entre autres résultats, pour 2014 : au moins l’établissement et la mise en œuvre de 10 systèmes de QIT pour chacune des dix espèces sélectionnées. Tous les pays d’Amérique Centrale doivent adopter dans leur législation des mécanismes qui garantissent les droits des nouveaux propriétaires des mers. 100 000 pêcheurs artisans dans la zone et pas moins de 1,2 million d’ha seront affectés positivement ou négativement par ce programme sur les deux océans d’Amérique Centrale.

Le Congrès du Honduras, connu pour être très « obligeant », est sur le point d’approuver les diktats de l’USAID, inscrits dans un nouveau projet de loi sur la pêche et l’aquaculture. Les autres gouvernements d’Amérique Centrale seront-ils aussi « obligeants » ?

6 mai 2013
Jorge Varela Marquez
Goldman Environmental Award 1999

Traduction Alain Le Sann

[1Belize est un micro-état choyé par les fondations et ONG comme lieu d’expérimentation sur la gestion des réserves et AMP. (NDE)

[2Ces entreprises peuvent être des ONGE. (NDE)

Navigation