Les menaces de l’érosion côtière et du tourisme
N’gaparou, jadis petit village enclavé s’adonnant à la pêche et à l’agriculture, est devenu un très grand bourg qui subit les influences de deux secteurs touristiques : au nord, la Somone, au sud, la station balnéaire de Saly Portudal. L’avancée de la mer grignote progressivement la plage de sable, menaçant les habitations. Les réserves de terres, qui permettaient aux villageois de pratiquer l’agriculture hivernale et le maraîchage, ont été absorbées pour l’essentiel par les zones touristiques de Saly et de la Somone et s’y ajoutent des résidences privées de toutes sortes. Il n’existe plus de frontières entre le village et Saly Portudal comme avec la zone de la Somone tellement les différents secteurs sont imbriqués. Cette nouvelle situation, en l’espace d’une dizaine d’années, a non seulement bouleversé les habitudes des villageois, mais a aussi contribué au désenclavement par la création d’infrastructures routières de la nationale 1 (vers Mbour) au croisement qui mène vers les secteurs touristiques de Saly et de la Somone. L’avancée de la mer est un facteur déterminant pour l’avenir de cette communauté de pêcheurs de N’gaparou. En effet dans la zone touristique de Saly, une bonne partie des hôtels situés en bord de mer subissent les contrecoups de l’érosion côtière ; la plage de sable fin a presque disparu dans une station qui se voulait balnéaire. La conséquence directe est que des hôtels sont fermés ou ne reçoivent plus de clients et les travailleurs en chômage technique ou licenciés simplement. Pour la sauvegarde de l’outil touristique, d’importants aménagements (digues, brise-vagues et autres) ont été mis en place et malgré tout, l’érosion côtière s’amplifie. Ces aménagements sommaires ont des répercussions sur les autres zones comme le village de N’gaparou, où l’avancée de l’érosion est irréversible si des solutions ne sont pas trouvées. L’Etat, les hôteliers et la Banque Mondiale prévoient de débloquer 22 millions $ pour la sauvegarde de la plage et des hôtels affectés par l’érosion. Par contre, rien n’a été prévu pour les villages de pêcheurs qui subissent quotidiennement les assauts d’une mer furieuse. Les Ong environnementalistes promptes à sanctuariser les zones de pêche ne font rien ou ne mobilisent pas de financements pour s’attaquer à l’érosion côtière. Un autre facteur non moins important est la lagune de la Somone, sorte de bras de mer dont l’embouchure est complètement bouchée par les déplacements de sable du nord vers le sud, et cela est aussi valable du côté de Saly, où il n’existe plus de bras de mer. Ces bras de mer jouaient un rôle important pour assurer l’équilibre entre la mer et la lagune et leur fermeture se répercute forcément quelque part.
L’impact de l’érosion de la côte à N’gaparou. Au fond la zone touristique de Somone. Photo Lamine Niasse
Les pêcheurs à l’initiative de la co-gestion.
Les pêcheurs de N’gaparou ont toujours participé aux initiatives d’organisation des communautés de pêcheurs avec l’avènement du collectif des pêcheurs artisans du Sénégal (CNPS) au niveau local comme au niveau national et il n’est pas étonnant qu’ils bénéficient actuellement d’un rayonnement et d’une reconnaissance nationale et internationale. La crise organisationnelle du CNPS n’a pas empêché cette localité d’approfondir son auto-organisation par des initiatives tant pour les captures que la commercialisation, surtout parce que les débarquements se faisaient le plus souvent au quai de M’bour distant de 7km ; la zone était enclavée et peu de mareyeurs la fréquentaient. Les pêcheurs ont mis en place une aire communautaire avec une réserve intégrale qu’ils défendent eux-mêmes.
Le soutien des coopérations internationales.
Le foisonnement des initiatives lancées par les pêcheurs au niveau des localités a créé une opportunité pour les différentes coopérations bilatérales et l’Etat du Sénégal pour instaurer la co-gestion des pêcheries. C’est ainsi que les coopérations française, japonaise, des Pays-Bas et de la Banque Mondiale ont chacune entrepris des actions financées pour le Sénégal, en vue de maîtriser et contrôler le secteur de la pêche artisanale qui, disait-on, était libre d’accès et donc l’effort de pêche était en constance augmentation. Les tenants de la ligne de création de richesses dans le secteur de la pêche, comme la Banque Mondiale, ont élaboré différents plans de lutte contre la pauvreté (certainement pour se donner une bonne conscience avec les dégâts énormes des plans d’ajustement qui ont appauvri les pays africains) et pour une accélération de la croissance économique en intégrant la pêche comme "grappe de convergence". Pour l’Etat du Sénégal, il fallait mettre un accent particulier sur la co-gestion avec une responsabilisation des acteurs à la base pour la reconstitution des habitats dégradés, la reconstitution des stocks, la mise en place de plans de gestion et la lutte contre la pêche illicite. La Banque Mondiale a financé le programme de gestion intégrée des ressources marines côtières (Girmac) pour la promotion et la coordination des initiatives locales de co-gestion des espèces démersales pour certaines et la cogestion des espèces pélagiques pour d’autres. Le village de N’gaparou a été impliqué dans ce programme depuis 2005, comme d’autres localités qui ont bénéficié des autres coopérations. En fin de compte toutes les localités ont voulu se greffer sur ces différentes tentatives pour ne pas être en reste. Le Girmac avait posé comme objectif une pêche artisanale fondée sur des droits de concession, avec différentes options en rapport avec les politiques de décentralisation, mais, depuis lors, l’Etat du Sénégal est resté très frileux ou prudent parce que la gestion de la pêche n’est pas encore du domaine des compétences transférées aux collectivités territoriales.
Les ONGE prennent le contrôle des AMP.
Ces différentes coopérations pour la co-gestion ont ouvert la porte à l’implication des ONG environnementalistes comme WWF, Océanium, le PRCM, l’UICN, Wetland International et FIBA, qui, elles aussi, ont profité des opportunités qu’offre la co-gestion pour mettre en place des aires marines protégées, participant à la grande offensive pour la sanctuarisation des côtes africaines, et le contrôle des pêcheurs. Ainsi le WWF a soutenu la création du Comité Local des Pêches de Cayar [1].
La particularité du Sénégal, c’est qu’il y a deux ministères (celui de la pêche et de l’économie maritime et celui de l’environnement et du développement durable) qui se disputent le pilotage de la politique de mise en place des aires marines protégées. Le ministère de l’environnement avec son bras armé, le corps des agents des eaux et forêts, plus outillé pour la conservation, la protection et l’application des lois et règlements, a une longue tradition pour la mise en place et la protection des parcs nationaux. A l’avènement des aires marines protégées, la tutelle était assurée par le ministère des pêches et par la suite, le ministère de l’environnement s’est positionné fort de son expérience dans les parcs nationaux et de la préférence des bailleurs. Le ministère de la pêche avait commencé à s’organiser en intégrant la dimension de la pêche continentale et avait même mis en place une direction des aires protégées. Les ONG environnementalistes ont mis en place un réseau sous-régional et régional appelé RAMPAO (réseau des aires marines protégées en Afrique de l’Ouest) et y ont mis des moyens financiers pour convaincre les états et les communautés de pêcheurs de la mise en place de ces aires marines. Ce réseau est arrivé à un maillage systématique le long des côtes ouest africaines en rapport avec les administrations des pêches pour montrer la pertinence de cet outil de gestion selon leurs logiques. [2]
L’Etat du Sénégal, pour trancher la question, a créé par décret du 24 mai 2012, la direction des aires marines communautaires protégées, dont la mission consiste essentiellement et exclusivement à mettre en oeuvre la politique en matière de création et de gestion d’un réseau cohérent d’aires marines protégées suivant les standards internationaux, et l’a confiée au ministère de l’environnement et du développement durable mettant fin au tiraillement entre les deux ministères. Dans le processus de mise en place et d’organisation du réseau des aires marines protégées, le Sénégal s’est appuyé sur un réseau de 14 aires protégées toutes localisées sur la frange côtière : 4 parcs nationaux (Langue de barbarie, îles de la Madeleine, delta du Saloum et Basse Casamance) ; 5 aires marines protégées (Saint Louis, Kayar, Joal- Fadiouth, Bamboung, et Abéné en Casamance), 3 réserves naturelles (Gueumbeul, Popenguine et Kalissaye) et 2 réserves naturelles communautaires (Somone et Palmarin). Mais curieusement, dans toutes ces localités, l’on a découvert du pétrole, du gaz ou des minerais comme le zircon ou autres. Les impacts négatifs pour les écosystèmes que pourraient occasionner ces découvertes ne sont pas encore pris en compte par ces ONG environnementalistes. Des centrales à charbon sont aussi aménagées sur la frange côtière à Bargny, un village de pêcheurs dans la région de Dakar, victime de l’érosion côtière dont les réserves foncières pour reloger les sinistrés, ont été accaparées par cette centrale et, dans la zone de Mboro, où le couplage maraîchage et pêche est une forte réalité. Seules quelques organisations des populations mènent le combat de la riposte et de la résistance comme à Bargny.
N’gaparou, qui n’a pas bénéficié de l’encadrement ni de l’appui d’ONG environnementaliste, a un statut d’aire communautaire protégée avec la supervision du ministère de la pêche qui n’a pas prévu dans son budget les moyens d’appuyer les initiatives des pêcheurs de ce village. Mais pour pérenniser leur action le comité local se débrouille pour asseoir des actions de financement interne pour la sauvegarde de l’outil de gestion. C’est ainsi que des cotisations pour les membres du comité de direction et des membres simples, des prélèvements à la pompe essence sont instaurés pour tout achat de carburant (appelé taxe à la pompe), une cotisation des mareyeurs intervenant dans la localité, la création d’un magasin pour la vente de matériels de pêche. Le comité assure la gestion de deux stations d’essence pour les pirogues et la gestion d’un camion frigorifique, obtenu dans le cadre de l’appui à la commercialisation des espèces co-gérées. Ce camion, affecté dans un premier temps aux femmes du village pour l’appui à la commercialisation, n’a pas fait long feu et, pour des soucis de rentabilité, ce camion est mis en location au plus offrant pour faire face aux besoins de financement de l’aire protégée et des actions d’entraide pour la communauté (scolarité des enfants en kits scolaires, subventions pour les malades nécessitant des soins coûteux et les actions de recherche en cas de disparition ou d’accident en mer). [3]
Toutes ces actions prises en charge par le comité de pêche nécessitent un appui financier conséquent pour la pérennisation et malheureusement le village ne bénéficie pas de l’action des ONG environnementalistes ni du Ministère de la pêche, alors que les aires marines communautaires protégées du ressort de la direction du ministère de l’environnement bénéficient d’un appui financier pour prendre en charge ne serait-ce que la surveillance participative et les indemnités des pêcheurs volontaires. Les bienfaits de cet outil de gestion sont visibles au niveau de la capture de la langouste verte, très prisée par le marché et les hôtels
du coin, et des espèces démersales côtières très présentes aussi dans la zone. Il faudrait un appui conséquent de la direction de la surveillance par les stations côtières, mais malheureusement, ces stations ne sont pas équipées (radars vétustes et non renouvelés) ni soutenues pour accompagner les pêcheurs dans leurs initiatives de surveillance. La conséquence directe de l’amélioration des ressources est que souvent des incursions de pêcheurs des autres localités créent des incidents.
Langoustes de N’gaparou
Les pratiquants de ski nautique, clients des hôtels, ont aussi un impact et demandent des efforts du comité de pêche.
Le comité de pêche mène des réflexions pour la mise en place d’un paiement de droits d’accès pour les pêcheurs d’autres localités pour ne pas décourager les résidents qui se sacrifient pour la bonne gestion de leurs zones de pêche. [4] Est-ce réalisable dans le contexte où la pêche est en crise et la concurrence dans les zones de pêche très tendue ?
Lamine NIASSE Correspondant du collectif Pêche et Développement à Dakar.
Juin 2016