Les océans pompes à fric Scandale au pays de Neptune

, par  LE SANN Alain

Dans son pamphlet satirique « Scandale au pays de Neptune », Mathilde Jounot conclut sur un discours délirant de Neptune qui proclame « Nous n’avons plus besoin des mers pour produire de la nourriture !! Plus besoin des pêcheurs ! Plus besoin des poissons ! Les océans peuvent servir à l’essentiel ! Nous allons transformer l’océan en Or, en Argent ! De l’Or en barre ! De l’Or cru !, de l’Or cuit !!! De l’Or à l’infini !!! ». Derrière le délire apparent, c’est ce qu’elle a pu filmer et entendre dans les nombreuses conférences internationales qu’elle a suivies et qui lui ont donnée l’idée de son premier film « Océans, La voix des invisibles ». A la fin, ces invisibles se révoltent contre Neptune, scandalisés par son discours.
Mathilde JOUNOT, Scandale au palais de Neptune, éd Portfolio production, juin 2023, 132 p.

Evidemment certains beaux esprits, sauveurs des océans autoproclamés, considèrent cela comme du complotisme. Pourtant alors que ce pamphlet est paru début juin, ce même mois (22-23 juin) s’est tenue à Paris une conférence internationale « Pour un nouveau pacte financier mondial », un an tout juste après la conférence des Nations unies sur les océans à Lisbonne. A cette occasion, « La France et le Royaume-Uni ont lancé un processus visant à piloter une feuille de route mondiale sur les crédits en faveur de la biodiversité (crédits carbone favorisant la biodiversité et certificats de biodiversité) afin de créer des conditions propices à l’augmentation des investissements du secteur privé dans le capital naturel, grâce à une mise en commun des savoir-faire nécessaires et à la définition de mesures spécifiques assorties de délais ». Ils répondaient ainsi à la demande du WWF : « Les objectifs en matière de climat et de biodiversité ne pourront être atteints qu’à une condition : les investissements dans les solutions fondées sur la nature doivent rapidement atteindre 384 milliards de dollars par an d’ici 2025, soit plus du double du montant actuel (154 milliards de dollars) ».

Le modèle est constitué par le Gabon qui se propose de remplacer sa rente pétrolière par une rente forestière en vendant des crédits carbone aux grandes entreprises, un peu réticentes, mais fortement poussées par le gouvernement français. [1] Promu par les grandes ONG libérales, c’est ce modèle qui est aussi favorisé pour la protection des océans sous le pilotage de la France et du Costa Rica comme l’a annoncé un communiqué de l’Elysée (4-07-2023) : « À la suite de la Conférence des Nations unies sur les océans organisée conjointement à Lisbonne par le Portugal et le Kenya, le Président de la République française, Emmanuel Macron, et le Président de la République du Costa Rica, Rodrigo Chaves Robles, ont annoncé leur intention d’organiser ensemble la troisième Conférence des Nations unies sur les océans, qui aura lieu en France en 2025 après la tenue d’une réunion préparatoire au Costa Rica en 2024...La France et le Costa Rica sont des partenaires de longue date dans leur engagement en faveur de la promotion d’une gestion durable des océans et de l’amélioration de la gouvernance marine. Nous sommes fiers d’annoncer, en tant que co-présidents de la Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples que nous avons lancée conjointement en 2019, que la France et le Costa-Rica ont atteint à Lisbonne l’objectif de 100 pays membres de la coalition. Dans cette lancée, les deux pays poursuivront leurs efforts conjoints pour augmenter le nombre de membres de cette coalition afin de renforcer notre plaidoyer en faveur de l’objectif de protection de 30 % des terres et des océans à l’horizon 2030 ».

Des gouvernements au service de la finance bleue

Comment expliquer ce curieux attelage du Costa Rica et de la France ? Edouard Morena [2] nous apporte l’explication : « Le Costa Rica a toujours été un des pays d’Amérique latine les plus désireux d’accueillir des projets carbones forestiers et autres systèmes de marché pour « services environnementaux »...dès les années 1990 avec le président José Maria Figueres Olsen, devenu ensuite directeur du Forum économique mondial. Sa sœur, Christiana Figueres, représentait le Costa Rica dans les négociations climatiques mondiales et les COP tout en étant investie dans des ONG (Conservation International) et sociétés spécialisées dans la finance carbone. Plus récemment, elle siège dans plusieurs entreprises du BTP, de l’énergie et du pétrole (ENI), et bien d’autres.

On voit donc ce qui se profile derrière la politique de création des AMP et de réserves (politique 30x30) et les organisations de pêcheurs ne sont pas dupes quand elles dénoncent les orientations de la conférence de Lisbonne dont le gouvernement français promeut la mise en œuvre et l’inscription de la politique 30x30 dans le droit international à la future conférence de l’ONU en 2025. « L’introduction d’"infrastructures résistantes au climat" pour des "économies maritimes durables", aliénant les intérêts des peuples de l’océan, sur l’océan et ses ressources, n’est rien d’autre qu’une "colonisation climatique". Dans ce contexte, où sommes-nous censés aller, nous, les peuples de l’océan ? C’est notre patrie. Où sont nos droits ? Il s’agit d’un processus d’apartheid bleu, de dépossession constante de nos communautés de leurs droits coutumiers, perpétré par le biais de la "l’enclosure bleue". [3]

Aujourd’hui, en Ecosse, les grands propriétaires terriens rêvent de transformer leurs propriétés issues des enclosures, en réserves de carbone à vendre, ce sera bien plus lucratif que les moutons. En mer, c’est le même processus qui se met en place, les gouvernements rêvent que les touristes admirateurs des phoques [4] ou des baleines [5] remplacent les pêcheurs. Mais qui arrêtera cette machine infernale qui, de conférence en conférence, verrouille de plus en plus l’accès des pêcheurs à leurs ressources vitales, avec à chaque fois des commentaires scandalisés des ONG libérales (grassement financées), qui réclament toujours plus et préparent les prochaines mesures d’exclusion ? Les pêcheurs écossais viennent de donner un coup d’arrêt à cette politique qui les marginalise en exigeant d’être associés à la politique de protection de la mer et en montrant que les mises en réserves ne sont pas toujours efficaces pour la protection de la biodiversité [6] . Une affaire à suivre…

Voici donc un pamphlet, à savourer sur une plage, si possible sans algues vertes, ni algue toxique comme ostreopsis. Par son scénario et le déroulement des séquences, il porte la marque de la réalisatrice et monteuse. Décrivant avec humour le monde des « petits fours » qu’elle a vu à l’oeuvre comme Edouard Morena, Mathilde Jounot montre que la caricature n’est pas loin de la réalité. Espérons que, comme Neptune ridiculisé par les habitants des mers, il se trouvera des forces pour arrêter cette mainmise sur les océans par les puissances de l’argent et leurs alliés.

Alain le Sann, Juillet 2023

[1Laurence CARAMEL, Un sommet sur les forêts tropicales sur mesure pour le Gabon, Le Monde, 1er mars 2023

[2Edouard MORENA.

Fin du monde et petits fours, les ultra-riches face à la crise climatique, cf p 56-60, éd La Découverte, 2023, 160 p

[3https://peche-dev.org/spip.php?article442 La déclaration des peuples de l’océan (COP 22)

[4Fishing News, 11 Juillet 2023. MPs call for more protection for seals

[5Antoine COSTA. Des financiers veulent créer un marché des baleines, Reporterre, 5 février 2022

[6Cf sur le site shetlandfishermen.com/ sfa fishy falsehoods paper six

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