Entre tourisme et ostréiculture, il faut choisir.

, par  LEBAHY, Yves

Publié avec l’autorisation du Peuple Breton (février 2020)
http://www.pressespopulaires.bzh/produit/pressions-sur-lhuitre-peuple-breton-de-fevrier-2020/
La crise était depuis longtemps prévisible et annoncée. Elle vient d’éclater ces dernières semaines au plus mauvais moment pour les ostréiculteurs, la période des fêtes de fin d’année, celle où ils réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires.

Des interdictions de vente de plus en plus fréquentes

Les premiers arrêtés d’interdiction des ventes ont été pris en décembre concernant les secteurs des rivières d’Auray, Crac’h, Saint Philibert, anse du Pô, baie de Plouharnel, rivière d’Etel. Désormais, 12 secteurs de production sont fermés dans un périmètre allant d’Etel jusqu’aux traicts du Croisic pour la côte sud de la Bretagne (9 dans le Morbihan et 3 autres en Loire atlantique, en aval de l’estuaire de la Vilaine). Mais le phénomène a aussi touché l’autre grand bassin ostréicole de la baie du Mont Saint Michel ou 3 autres secteurs sont également concernés dont celui d’Hirel en Bretagne ; la préfète d’Ille et Vilaine, elle aussi, a pris un arrêté interdisant les ventes le 31 décembre dernier pour les mêmes raisons. En cause la propagation en mer du norovirus qui provoque les gastro-entérites ; il contamine les eaux marines bordières alors qu’il ne le devrait pas.
Régulièrement de telles mesures sont prises face aux diverses contaminations qui affectent de plus en plus fréquemment ces mers qui bordent nos côtes, perturbant, notamment en été, les productions conchylicoles et ostréicoles. Mais, en Bretagne sud, ce fait devient récurent surtout lors de ces périodes de fin d’année (2016, 2017) : en 4 ans, c’est la 5ème fois que des mesures d’interdiction touchent, pour ces mêmes raisons, les secteurs du Golfe du Morbihan et du Mor Braz, ce grand foyer ostréicole qui fournit 61 % des 25 000 tonnes d’huitres produites en Bretagne, région assurant à elle seule un tiers de la production nationale. Et c’est aujourd’hui plus de 200 entreprises qui sont concernées par ces fermetures à la vente, 180 pour le seul secteur d’Auray/Plouharnel soit 1000 emplois, entrainant des chiffres d’affaires en chute libre. Des pertes de plusieurs millions d’euros sont annoncées, pertes que la collectivité va devoir prendre en charge sous forme d’aides aux entreprises. Pire, c’est l’image de marque de ces secteurs de production qui se trouve affectée, pour de longues années sans aucun doute, réduisant à néant le travail méticuleux de ces professionnels et l’image de qualité de leur production. Une véritable catastrophe !

Des pollutions d’origine terrestre

« Cette contamination accidentelle, peu fréquente à une telle échelle, est d’origine terrestre et probablement due à la conjonction de plusieurs facteurs », déclare la préfecture de Région. En fait, les causes de cette crise sont bien connues et dénoncées depuis fort longtemps : obsolescence et/ou inadaptation des stations d’épuration, vétusté des réseaux d’assainissement tant collectifs qu’individuels, rejets individuels non contrôlés. S’y ajoute cette année la très forte pluviosité de l’automne qui a saturé les réseaux, fait déborder les bacs de traitement de stations d’épuration et accéléré les déversements fluviaux en mer. Certes des politiques sont engagées pour limiter de tels effets, mais elles s’avèrent insuffisantes voire, pire, inopérantes et d’autres sources de contamination restent également envisageables. Car depuis une vingtaine d’années ce secteur du golfe du Morbihan et du Mor Braz, à travers la Charte de son parc naturel régional (PNR), son schéma de mise en valeur de la mer (SMVM, l’un des rares en France), tente de réguler de tels dysfonctionnements par une mise aux normes des stations d’épurations voire leur rénovation, un contrôle des réseaux, l’instauration du suivi des installations par les services publics d’assainissement non collectifs, les SPANC. Ce que dénoncent d’ailleurs les ostréiculteurs en mettant en cause les élus de la communauté d’Auray Quiberon Terre Atlantique (AQTA) qui multiplie lotissements et qui, en dépit de ses efforts d’amélioration des réseaux, ne répond que trop partiellement à la question. La création récente de cette communauté s’est en fait traduite par une diminution des investissements en matière d’assainissement : de 10M d’€/an, ils sont passés à 4 actuellement alors que les besoins ne cessent de croître, soit une diminution de 60% que dénoncent les ostréiculteurs du secteur.

La pression touristique en cause

Car, au-delà de ces causes matérielles et conjoncturelles qui ont facilité la propagation de l’infection virale, ne faut-il pas s’interroger sur les causes plus profondes d’un tel évènement ? N’interpelle-t-il pas les politiques conduites depuis des décennies sur ce littoral, ce que désormais dénoncent les ostréiculteurs en critiquant les représentants politiques de ces territoires littoraux ? Et ces interrogations sont valables pour tous les secteurs littoraux affectés, celui du golfe du Morbihan illustrant au mieux la complexité des enjeux.
« Voilà 4 ans qu’on les alerte sur cette question de l’assainissement ; nous n’avons plus confiance », déclare un porte-parole de la profession, interpellant les élus de la communauté AQTA. Si la question met bien en cause le traitement des eaux continentales, c’est avant tout la question de la densification littorale qui se trouve posée. Depuis près de 30 ans, la population de ces territoires ne cesse de croître à des rythmes déraisonnables : sur les secteurs littoraux concernés, on enregistre au dernier dénombrement des taux de croissance démographiques annuels supérieurs à 1%/an, pouvant dépasser les 3%/an dans certaines communes riveraines du Golfe du Morbihan, alors que la moyenne régionale se situe à +0,5%/an, taux déjà élevé. Inutile de dire que les collectivités n’arrivent pas à suivre une telle croissance de population, et que les équipements nécessaires ont du mal à s’adapter. Les collectivités ne font que parer au plus pressé. Mais plus grave, à cette pression sans cesse croissante, s’ajoutent les phénomènes touristiques ponctuels qui multiplient de 6 à 10, selon les communes, la population présente sur le territoire lors des congés et des fêtes : celle-ci passe brutalement de 275 000 habitants permanents à 1,5 million en l’espace de quelques jours sur l’ensemble Vannes Auray. Et les autres littoraux soumis à des pressions similaires sont ceux où la crise s’est également développée. Les stations de traitement des eaux usées, aussi modernes soient-elles, ne sont pas aptes à traiter les variations de volume que de tels afflux génèrent. Les ports de plaisance, celui de La Trinité par exemple, deviennent ponctuellement des villes flottantes avec le problème sous-jacent des déversements d’eaux grises et noires à la mer. Cette concentration ponctuelle de populations venant de tous horizons doit être « encaissée » par les équipements et le milieu. Et, par le brassage d’individus qu’elle favorise, elle constitue un terreau favorable à la propagation des épidémies, à la contamination des eaux continentales puis maritimes. Entre tourisme et ostréiculture, il faut choisir !

Des choix politiques contestables

Car derrière cette augmentation déraisonnable de la population, c’est tout un modèle économique qui se trouve mis en cause, celui que défend au grand mépris des professionnels de la mer et de leurs autres électeurs, nombre d’élus de ces territoires. En privilégiant l’économie de villégiature et du tourisme, ils détruisent les équilibres sociaux et environnementaux de leur territoire littoral. Tout un processus de spéculation immobilière, d’éviction des populations autochtones qui vivent de leurs ressources primaires, qui construisent ses paysages et les entretiennent, dotent d’une identité ces espaces, est en cours. Il est dénoncé depuis de nombreuses années. La sacro-sainte option d’une économie redistributive privilégiant tourisme et loisirs ne profite guère aux populations locales : elle est conjoncturelle, ne bénéficie qu’à une minorité, tue toute activité productive, conduit à une ségrégation sociale. Et les activités primaires traditionnelles, incongrues dans un tel paysage, constituent un obstacle au développement de cette économie de villégiature. Tout au mieux ne leur accorde-t-on d’intérêt que pour l’image touristique qu’elles véhiculent. Ainsi, les élus locaux n’envisagent-ils pas de créer un méga complexe de la mer dans la commune ostréicole du Tour du Parc…en puisant sans vergogne dans les 3,8 millions d’euros d’aides dont ces activités ont tant besoin ? Or, trop souvent, la création d’un musée n’est-il pas signe de mort annoncée voire voulue d’une activité, d’une profession ? Il n’y a qu’un pas à franchir pour le penser et les déclarations récentes du président du conseil départemental du Morbihan, François Goulard, tançant les ostréiculteurs pour leurs actions de protestation à l’égard de leurs élus locaux ne sont pas là pour rassurer : « entendre dire que les huitres sont l’un des problèmes et que la mer est polluée dans le Pays d’Auray, je trouve cela d’une bêtise affligeante. N’oublions pas que l’on vit du tourisme ici » -sic-. Propos provocateur et irresponsable, s’il n’est cynique, d’une personnalité qui a en charge le développement d’un territoire et l’équilibre d’une société !

Les ostréiculteurs, sentinelles de la mer

De telles déclarations, et c’est là la question essentielle, au-delà de leur contenu agressif, démontrent tout le déphasage d’une classe politique à l’égard d’enjeux d’une autre dimension. L’inéluctable mutation climatique fait entrer nos sociétés dans d’autres règles que celles de la spécialisation des territoires, de la vision spéculative à court terme, de la société de loisirs. Nous avons à prendre soin des milieux qui nous portent et nous font vivre. Vivre demain, ce sera d’abord vivre à partir des potentialités de son territoire, de la richesse de ses milieux équilibrés. Vivre demain ce sera tirer au maximum les richesses d’une économie bleue ; on ne cesse de le répéter. Nous avons en Bretagne la chance de posséder un littoral, des mers bordières fécondes. Respectons leurs équilibres ; ils sont notre avenir. Qui plus est, la Convention internationale du droit de la Mer de 1982, nous rend responsables de toute atteinte à leur état. Or, nulles autres professions que celles des activités primaires travaillant et tirant leur richesse de ces milieux, les ostréiculteurs notamment, ne sont les mieux à même d’observer leurs dérèglements. Avec des huitres qui filtrent de 100 à 400 litres d’eau /jour, ils sont aux premières loges pour en mesurer les perturbations et elles ne sont pas que bacillaires. Produits phytosanitaires, hydrocarbures, métaux lourds, antibiotiques, microplastiques terminent en mer et participent à la détérioration des eaux marines, bordières notamment. Avant même d’être des producteurs, les ostréiculteurs sont donc les sentinelles nécessaires dont la collectivité a besoin. Ils sont loin d’être incongrus dans le paysage social. Et seule une approche globale et différenciée des problèmes permettra à une société, plurielle socialement, de vivre à l’avenir sur ces espaces, d’y définir un mode de vie, de produire une culture. Ne pas l’avoir compris relève de l’imbécilité ou d’une avidité égoïste que seuls les tenants de l’économie ultra libérale actuelle peuvent concevoir.

Cette crise pose enfin la question que nul ne veut aborder, tant elle est dérangeante : celle de la capacité d’un territoire à porter une population. Les services de l’état se réfugient derrière la notion très relative de « capacité d’accueil ». Celle-ci, destinée à la régulation de la pression touristique, reste bien limitée et la tentation est grande chez les responsables de ce secteur économique (comités locaux, départementaux voire régionaux du tourisme) de pousser le curseur au maximum pour tirer profit de la manne financière que cette activité représente. Or, la capacité d’un territoire à porter une population relève de tout autre chose, de l’adéquation entre les capacités physiologiques d’un milieu à supporter une pression démographique et ses activités afférentes avec les mesures techniques mises en œuvre pour en réduire les effets. En ce cas, il apparait clairement que l’afflux de population dépasse les limites d’équilibre. C’est donc toute cette spécialisation des territoires dans une fonction de tourisme et de villégiature qui se trouve remise en cause. Elle est incompatible avec le respect du milieu et suppose alors une véritable politique d’aménagement, régulatrice de ce phénomène de société.

Cette crise de l’ostréiculture est donc bien plus qu’une simple crise due à des aléas conjoncturels. Elle est le signe de l’irresponsabilité des hommes et de l’absence d’une vision globale et censée de leur avenir. Puisse-t-elle déboucher sur une prise de conscience que le monde tel que nous le vivons et/ou subissons est terminé, qu’un autre est à construire.

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