Scientifiques et pêcheurs aujourd’hui Table ronde, à l’UBS de Lorient, 28 novembre 2019

, par  Collectif Pêche et Développement

A l’occasion de la Journée Mondiale des Pêcheurs 2019.Voici la première partie de la transcription de la table ronde consacrée aux rapports scientifiques-pêcheurs aujourd’hui, avec des exemples.
Voir aussi le film https://www.youtube.com/watch?v=samBXI0_YPA.

Ronan Le Délézir, UBS, géographe enseignant-chercheur, master AUTELI

"la qualité de l’eau sera déterminante"
On va faire cette table ronde, une petite conclusion avec Christophe Baley qui représente Archipel. Notre Université s’engage dans une démarche croisée de regards scientifiques entre mes collègues de sciences (biologie, etc) et nous ici, en Lettres- sciences humaines et sociales.
Vous l’avez remarqué, on est des géographes aussi. On porte un regard de géographes parce que le mot territoire, le mot littoral, on a bien vu cette articulation. Je prendrai parfois ma casquette d’élu, je suis dans un SAGE, notamment le SAGE Golfe du Morbihan - Ria d’Etel, donc, je vois bien l’impact de l’eau. On a vu notamment CAP 2000, un acteur de l’ostréiculture qui nous parle bien de la relation terre-mer, de l’agriculture littorale. Un étudiant vient de faire un rapport pour le CDPMEM sur les zones de pêche et on voit de plus en plus que les pêches sont liées à la zone côtière. La qualité de l’eau sera de plus en plus déterminante. Et quand on voit cette attractivité massive des territoires, çà pose une question sur : quelle régulation sur ces territoires, liée à la qualité de l’eau.

René-Pierre Chever, Collectif Pêche & Développement.

On va commencer cette table-ronde, nous avons une heure et nous allons essayer de diviser cette heure en 3 parties. La première va consister à demander à chacun de ces acteurs qui se trouvent ici, une expérience dans laquelle les pêcheurs et les scientifiques ont travaillé ensemble ; chacun va essayer de décrire un exemple. Ça doit aller assez vite puisqu’il y a 6 intervenants, 3mn, çà fait déjà 18 mn. Ce sera un premier tour de table. Il y en aura un second, qui demandera à tous ces spécialistes, comment améliorer la relation pêcheurs - scientifiques, qu’est-ce qu’il faut inventer de nouveau et puis, la 3ème partie, c’est la discussion avec vous. Je souhaite vraiment que le dernier tiers temps soit réservé à des questions-réponses avec l’intervenant que vous souhaiterez et tout à la fin on passera 2’30 de film qui est un hommage à un pêcheur qui travaillait avec les scientifiques (Philippe Deru).

Pierre Mollo, spécialiste du plancton

"L’objectif des pêcheurs, c’est que l’aquaculture serve aussi à la ressource"
Le privilège de l’âge me fait penser que j’ai démarré en 1969. Il me donne 3 minutes pour raconter 50 ans, on va le faire. La rencontre avec les pêcheurs dans ces années-là 69-70, çà a été formidable, parce que à l’époque, il y avait un grand laboratoire, le CNEXO - c’était un projet de de Gaulle et Pompidou- et on allait voir ce qu’on allait voir. Il était dit à l’époque, que les scientifiques allaient s’occuper de la mer et qu’on allait abandonner la pêche, les pêcheurs allaient disparaître et on allait les remplacer par l’aquaculture. Bien sûr, c’était insupportable, l’aquaculture industrielle, c’est le mot qu’on entendait à l’époque, avec les pêcheurs de l’île de Houat, on s’est concertés et ils ont demandé à Jean Le Dorven et à moi-même : "vous avez quelques connaissances sur la biologie marine, est-ce qu’on peut travailler ensemble ? Est-ce que cette science elle n’est pas réservée qu’aux scientifiques ? Vous deux, est-ce que vous voulez bien travailler avec nous ?" On a dit oui. Tout de suite on est partis sur cette île de Houat. Je n’en dis pas plus. On a construit un labo. Il faut qu’on fabrique notre laboratoire. La construction pendant 4 mois, çà a été formidable, pour réensemencer la mer. L’objectif des pêcheurs, c’est que l’aquaculture serve aussi à la ressource, au réensemencement. Il fallait d’abord leur apprendre à cultiver le phytoplancton, ensuite du zooplancton à donner aux bébés homards, à réensemencer. Ça a été une très belle aventure, pour moi, ça a été formidable. Un petit mot aussi. On n’était pas seuls pour contrer le CNEXO. Le CNEXO vivait sa vie. Le problème avec les scientifiques, c’étaient des purs et durs pour l’aquaculture et donc une personne, un scientifique du CNEXO qui a claqué la porte à ce moment-là... Je suis ému, Marie Christine Revêche, c’était une scientifique vraiment extraordinaire du CNEXO, qui l’a quitté et qui, un peu comme nous, s’est mise au service des pêcheurs de Blainville. Elle avait décidé : on allait réensemencer la mer en homards dans les îles Chausey. On le doit à Marie Christine Revêche. Elle était de toutes les réunions, tous les soirs, sur les routes. Elle se battait avec les pêcheurs, et il y a un camion qui a eu le dernier mot...

Marie Savina-Roland, IFREMER, Lorient

"(les partenariats) ce sont de bonnes expériences qui sont très productives."
Je travaille à IFREMER Lorient. Jusqu’à récemment, j’ai travaillé aussi à IFREMER Boulogne-sur-Mer sur l’exemple que je voulais prendre aujourd’hui, d’un partenariat scientifiques-pêcheurs qui arrive à terme, il a duré 4 ans. Un projet qu’on avait monté en partenariat avec le CRPMEM des Hauts-de-France sur la sole de Manche-Est. C’était un stock, dans les années 2014-2015, pour lequel il y avait des baisses de quotas successives qui mettaient la profession en difficulté. Ce qui se combinait avec un ensemble d’autres contraintes qui faisaient que la profession dépendait énormément de la sole. Il n’y avait pas beaucoup d’autres espèces qui étaient accessibles à l’époque. Je voulais donner un exemple un peu différent de ce qui va être présenté plus tard. C’était vraiment là une réunion de scientifiques, de professionnels et de représentants de la profession parce qu’il y a beaucoup de discussions au sein des CDPM et des CRPM. On n’en a pas beaucoup parlé aujourd’hui mais ce sont des lieux importants de communication et de rassemblement des professionnels, de leurs représentants, des gens qui font le contrôle aussi, de la DDTM, de la DPMA. Et donc voilà, des discussions ont eu lieu sur le manque de connaissances sur ce stock-là qui faisait que l’évaluation était difficile. Il y avait de grosses incertitudes et on a essayé de faire un bilan du manque de connaissances qu’on avait et notamment sur la structuration spatiale de ces populations, on ne savait pas trop comment elles descendaient entre différents secteurs qui étaient pêchés ; pas suffisamment de connaissances sur le recrutement. Les indices qu’on avait, les campagnes de surveillance n’étaient pas suffisantes. On avait de grosses incertitudes qui faisaient que les résultats d’évaluation de stocks étaient assez différents d’une année sur l’autre. Et enfin, il y avait aussi une étude à faire sur la sélectivité des engins. Les deux régions qui pêchent sur ce stock-là, ce sont des trémails avec des matériaux et des maillages légèrement différents et il y a toujours des incompréhensions. Les Normands ne comprenaient pas pourquoi les Boulonnais ne voulaient pas pêcher avec des mailles plus grandes. Les Boulonnais ne comprenaient pas pourquoi les Normands ne voulaient pas pêcher avec ce matériau-là. Le but des scientifiques c’était d’essayer d’objectiver un petit peu en récoltant des données chiffrées, des données neutres qui permettent de discuter, de se mettre autour d’une table et de voir quels étaient les impacts des 2 types de pêche. On allait pouvoir prendre des décisions au niveau gestion. Voilà, c’est un projet qui arrive à son terme cette année. Donc on a fait des progrès en ce qui concerne la structuration spatiale des populations. On a des données maintenant sur la sélectivité des engins, au niveau des recrutements on fait des progrès aussi. Cà avance petit à petit, ça va probablement partir sur d’autres collaborations, d’autres partenariats. C’est ce qu’on espère et voilà, ce sont de bonnes expériences qui sont très productives.

Quiterie Sourget. AGLIA

" main dans la main pour améliorer la sélectivité"
Je travaille à l’AGLIA, c’est une association qui a été montée par les professionnels de la pêche dans les années 80. En gros, on est chargés de mettre en place des projets pour accompagner les pêcheurs du Golfe de Gascogne sur des positionnements et des projets communs. Notre travail c’est de faire du partenariat scientifiques-pêcheurs un peu tous les jours. L’exemple dont je vais vous parler, c’est la sélectivité sur les langoustiniers du Golfe de Gascogne. Dans le reportage, on parlait de l’obligation de débarquement des rejets. L’Europe interdit de rejeter par-dessus bord les espèces soumises à TAC et quotas. Pour éviter d’avoir ces rejets il y a plusieurs possibilités, c’est notamment la sélectivité, c’est-à-dire trier sur le fond plutôt que sur le pont et donc, il y a des dispositifs sélectifs qui avaient été testés et rendu obligatoires pour les langoustiniers, déjà avant les obligations européennes, dans les années 2000. Là on a continué à travailler sur des dispositifs, notamment sur la grille à langoustine qui ne marchait pas très bien sur les bateaux. Donc on a travaillé sur trois grilles. On a trouvé une grille qui marchait bien qui a été testée sur plusieurs bateaux cette année et que les professionnels ont accepté. Certains l’ont gardée à bord. Cà c’est un partenariat qui a bien marché, mené avec IFREMER de Lorient, le laboratoire des techniques de pêches et les langoustiniers du Golfe de Gascogne.
Parlant de ces langoustiniers, on avait également travaillé il y a deux ans sur le taux de survie des langoustines pour prouver que ces langoustines, quand elles sont remisses à l’eau, elles avaient un taux de survie élevé de 50%. En fait, il valait mieux les rejeter par-dessus bord plutôt que de tout ramener à terre. C’est une exemption qui est permise au niveau européen. Il faut prouver un taux de survie élevé. En fait, le partenariat scientifiques-pêcheurs a permis d’avoir des résultats positifs et donc de déroger à cette obligation de débarquement et de ne pas rejeter de langoustines par-dessus bord. Le travail scientifiques-pêcheurs, main dans la main pour améliorer la sélectivité et avoir moins de rejets et favoriser une survie des langoustines dans l’eau.

Virginie Lagarde, CDPMEM Finistère

"je ne connais pas de scientifique qui passe 200 ou 300 jours en mer par an"
Après quelques années de travail dans l’Océan Indien, je travaille aujourd’hui au Comité des pêches du Finistère. L’exemple dont je vais vous parler, c’est bien celui des professionnels dans "La voix des invisibles". C’est important de dire que le Comité des Pêches qui représente les pêcheurs, qui sont tous membres du Comité des pêches, est reconnu partenaire sur des projets avec des scientifiques. Je vais vous parler du projet sur la langouste. Je ne vais pas détailler, mais il a bien été créé par les professionnels. Ce projet est parti d’un constat et d’une initiative des pêcheurs suite à la chute drastique d’abondance de la langouste, due à un changement des techniques de pêche et, peut-être, d’autres phénomènes climatiques ou autres qu’on ne connaissait pas. Donc il y a eu des initiatives des pêcheurs, dont une qui est une zone de cantonnement dans la Chaussée de Sein. Les pêcheurs voulaient commencer à se poser des questions et essayer de comprendre en vue d’une reprise de cette ressource. Après, il y a le Parc marin qui est arrivé sur ces zones et qui a trouvé que la démarche était très intéressante. C’était du bon sens, donc, il y a eu un travail en partenariat avec IFREMER qui est venu, parce que tout est fait avec le partenariat des pêcheurs. Il y a un suivi de la langouste qui a été fait avec le partenariat des pêcheurs. C’est super-intéressant parce que les pêcheurs ont une capacité d’observation et de connaissances. Moi, je ne connais pas de scientifique qui passe 200 ou 300 jours en mer par an. Ils n’ont pas l’analyse qu’il y a derrière et ils ont besoin de cette analyse. Ce qui a été aussi intéressant, c’est que les pêcheurs ne voulaient pas se cantonner à ce périmètre-là. Comme le partenariat fonctionnait, ça s’est un peu étalé au niveau de la façade. Ils ont partagé avec les autres professionnels dans les autres régions et maintenant on a un programme sur l’Atlantique, beaucoup plus important. Il a fait des émules, puisque maintenant, il y a un autre suivi, le programme " Recrue", sur le suivi des stades larvaires, des larves de homards, langoustes et araignées. Donc, çà continue et tellement bien que nos pêcheurs vont partir en Australie pour partager leur expérience avec des scientifiques et d’autres pêcheurs ailleurs.

André Berthou, président du SRPAR (syndicat des récolteurs professionnels d’algues de rive en Bretagne) CDPMEM Finistère

"on a mis des règles en place... sans l’avis des scientifiques, on ne pouvait pas le faire"
Au sens du code rural de la pêche maritime, il y a 3 sortes de goémon : le goémon de fond, les goémons de rive et les goémons d’épave. Les goémons de rive sont accessibles à marée basse et accrochés à la roche. En 2008, on s’est aperçu que la biomasse était en régression. On s’est posés la question, pourquoi çà disparaissait et on a mis des règles en place, de taille de récolte et de dates de récoltes, sauf que sans l’avis des scientifiques, on ne pouvait pas le faire. A l’époque, c’est le préfet de Région qui prenait des arrêtés et il n’y avait pas d’arrêté de pris... Au laboratoire des écosystèmes marins, on leur a demandé ce qu’ils pensaient de nos propositions, dates, tailles, etc. Les pêcheurs n’étaient pas tous d’accord. Il y en a qui disaient : "Dédé tu racontes des conneries, de toutes façons, du goémon, il y en aura tout le temps". En fait, non, ce n’est pas vrai. On a augmenté les tailles pour certaines espèces, notamment le bezin du. On pêche à peu près 2000 Tonnes par an et de 24 on est passé à 30 cm, et la biomasse, il y en a plus. Alors qu’il y avait une réticence au départ, pour certaines espèces, on a imité cela, des limites de taille qui concernent les pêcheurs mais aussi les pêcheurs de loisir. Maintenant, ça marche bien, avec les scientifiques, cela se passe bien.

Ronan Le Délézir

"Comment fait-on le partage des connaissances ?"
J’ai travaillé sur un projet de recherche avec des collègues, pluridisciplinaire. C’était notamment sur le zéro rejet. C’était assez impressionnant de voir des collègues à l’IFREMER, dans d’autres champs universitaires, de biologie, chimie se confronter à des géographes, des gens qui approchaient le territoire d’une autre façon, sachant que s’il y a bien une dimension dans le domaine de la pêche qui est importante, c’est celle des choix. Vous pouvez mettre n’importe quelle gestion en mer, si vous n’avez plus de ports de pêche demain, ou d’hinterland à terre parce qu’on aura préféré une marina ou de zones résidentielles de tourisme, ça pose quand même la question aujourd’hui de l’accès à la mer. Donc, l’approche transversale qu’on a aujourd’hui, c’est sur les littoraux et rétro-littoraux pour montrer cet interface terre-mer, où on étudie de manière scientifique que ce soit au niveau de la mer ou sur un cordon dunaire sur le littoral et ce qui se passe derrière. Quelle est aujourd’hui l’expertise scientifique, le partage des connaissances ? Parce que, c’est très bien l’expertise scientifique. Je suis élu, sur l’eau, j’ai plein d’expertises scientifiques, plein de chargés de mission, des techniciens, des études sur la qualité de l’eau, du CRC, du Comité départemental des pêches, c’est formidable. Mais il y a cette question derrière : comment on fait ce partage de connaissances ? Comment on coconstruit aussi le projet ? l’Etat, la DDTM, des professionnels, des associations ; parfois pour avoir le niveau de langage, c’est bien compliqué. Et puis, la prise de décision, faire des aires marines, je veux bien, faire des zonages, très bien. Il y a bien des instances de gouvernance mais comment aujourd’hui, elles se mettent en place ? Quelle est la réalité ? Quels choix elles font réellement ? Parce que derrière cette prise de décision, on le voit en France, on est quand même les champions du monde des règles, des normes, des recommandations. Après on regarde l’application ; est-ce qu’elles sont réellement appliquées, ces normes, ces recommandations ? Et puis, dernière chose qu’on étudie aussi, c’est l’évaluation. Je donnerai cet exemple, on regarde le Golfe du Morbihan ou aujourd’hui le port de Lorient, comment on utilise tout cet espace ? Évidement la pêche est un élément fort, comme la conchyliculture, les activités primaires. Je voudrais ici saluer Yves Lebahy qui est le créateur de cette formation et qui nous a toujours dit que l’interface terre-mer, il fallait le regarder dans la dimension pays maritime. Parfois ces activités primaires sont vraiment remises en cause. Je peux vous dire, il faudra protéger notre espace pour avoir ces activités mais encore faut-il avoir la volonté farouche de les défendre sur le territoire.

René-Pierre Chever

" C’est l’humain qui est au cœur du sujet"
Merci beaucoup, effectivement au cours de cette première phase, on a bien vu qu’il y a énormément d’activités qui sont en cours et qui fonctionnent relativement bien et ce depuis fort longtemps. Ce matin, on l’a dit, les scientifiques travaillent avec les pêcheurs depuis fort longtemps. J’entendais mon père me dire : "tiens, aujourd’hui, je vais en mer avec un scientifique". Ça remonte à plus de 50 ans. Donc, c’est vrai que cette présentation qui a été faite, un peu idyllique, cache certainement aussi des difficultés, des problèmes et il ne faut jamais oublier une chose extrêmement importante, c’est que l’argent est le nerf de la guerre. Qu’on soit scientifique ou pêcheur, de toutes façons on ne peut rien faire si on n’a pas les capacités financières qui permettent d’agir. C’est aussi un sujet fondamental. Il y en peut-être un autre qui est en filigrane depuis le début, c’est que c’est l’humain qui est au cœur du sujet. C’est vrai qu’on parle souvent de biologie, de laboratoires, mais il y a aussi la dimension de la sociologie appliquée à la pêche, dans la pêche. C’est ce que j’aimerais que nos acteurs de la table-ronde saisissent un peu au vol et peut-être d’autres sujets, pendant cette seconde période, avant de vous laisser la parole.

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