Les effets de la drague et du chalut sur les écosystèmes des fonds marins

, par  FLEURY Pierre-Gildas

Pierre-Gildas Fleury, ingénieur agronome des pêches et des écosystèmes marins. Février 2022

Comme l’homme a détruit de nombreuses forêts pour créer des champs et des pâturages afin de mieux se nourrir, l’homme va-t-il maintenant détruire les fonds marins pour rapporter davantage de poisson ? Pour sauver les océans, de nombreuses ONG environnementalistes, peut-être trop facilement catastrophistes et extrémistes, voudraient interdire toute pêche dans de nombreuses mers du globe. Parmi les activités de pêche ; la drague et le chalut, arts traînants sur le fond, sont les plus controversés, jusqu’à être comparés à des bulldozers ! Mais rien n’est tout noir ou tout blanc, et il peut être bon, pour un débat serein et raisonné, de rappeler ici quelques effets "vertueux" des arts traînants.

1) D’abord, et c’est leur qualité essentielle mais trop souvent oubliée, ce sont des engins très efficaces, qui ramènent beaucoup de poisson, et c’est quand même la première chose qu’on demande à un engin de pêche, que ce soit pour une pêche vivrière ou commerciale.

2) A l’inverse d’autres engins de pêche qui sont eux assez spécifiques (senne à thon, palangre à bar, casier à crabe, etc.,), la drague et le chalut sont des engins qui remontent une grande variété d’espèces et sont donc producteurs de protéines animales diversifiées et moins dépendantes d’un seul stock.

3) Mais du fait de leur pêche multi-spécifique, il est reproché à ces engins de pêcher diverses captures accessoires ("by-catches") dont une partie, petites espèces notamment, peut être nécessaire à la chaîne alimentaire marine ou au renouvellement des stocks : par exemple la pêche de merluchon (petit merlu) pris dans les chaluts à langoustines dans les années 1950-70. Cet argument tient de moins en moins, car les engins sont de plus en plus sélectifs, notamment sur les tailles (maillage, goulottes de tri, etc.), ce qui fait que la plupart des petits poissons, soit passent à travers l’engin de pêche (tri sur le fond), soit retournent à l’eau immédiatement (grilles de tri à bord).

4) Et puis, il ne faut pas oublier qu’une autre partie des captures accessoires est fondamentalement constituée de nombreux prédateurs, étoiles de mer, poulpes ou crabes divers, dont les populations, souvent explosives, sont ainsi régulées et contenues. Pour exemple, en mer du Nord, près de 20 ans après la fermeture d’une zone côtière (la "box plie") aux chalutiers à perche, on constate une réduction de la biomasse de poissons démersaux (plies et soles), la fuite des plies vers les zones du large et une réduction de leur vitesse de croissance. Par contre il y a une augmentation des prédateurs concurrents que sont les crabes et les étoiles de mer qui s’attaquent notamment aux bivalves qui diminuent depuis 2000. Aussi la nourriture des plies a-t-elle souvent diminué [1], [2].

Autre exemple, des semis de jeunes coquilles saint-Jacques (3 cm) tout à fait performants en Bretagne sud se sont retrouvés décimés dans les baies côtières d’Irlande ou d’Écosse qui ne sont pas travaillées par les arts traînants : en Irlande, les juvéniles étaient tout de suite attaqués par des étoiles de mer et même des petits crabes de rien du tout, avant que ces jeunes coquilles puissent s’enfouir et se protéger un minimum ; tandis que sur les fonds dragués et chalutés de la baie de Saint-Brieuc, de la rade de Brest ou des Courreaux de Belle-île, la plupart des petites coquilles avaient le temps de s’enfouir et de se dissimuler face à une moindre pression des prédateurs. De la même façon, de nombreux conchyliculteurs du Morbihan peuvent témoigner d’hivers ou de printemps où ils ont vu leurs semis d’huîtres décimés par les étoiles de mer ou les poulpes, du fait que les arts traînants sont interdits trop près de la côte (ce qui se justifie par ailleurs pour ne pas détruire les nourriceries de poissons). Mais les prédateurs sont parfois résistants au passage du chalut ou de la drague, pas si destructeurs que ça, donc. Aussi, en baie de Quiberon, les pêcheurs ont l’obligation de garder les étoiles à bord, car des études ont montré que, rejetées à l’eau, elles survivraient.

5) Par ailleurs, à la grande différence des arts dormants (casiers ou filets posés), drague et chalut ne nécessitent pas d’appât pour attirer les proies. Ces appâts peuvent être pêchés (souvent grâce au chalut d’ailleurs) sur des stocks de petits poissons locaux (lançons par exemple), mais ils proviennent parfois d’importations congelées depuis l’autre bout du monde (avec un fort bilan carbone !). Les appâts constituent d’ailleurs souvent un des facteurs limitants des arts dormants car il faut environ 1 kg d’appât pour 2 ou 3 kg de poisson ou crustacé capturé.

6) La drague et le chalut, à l’inverse encore d’autres engins de pêche, ne peuvent être utilisés partout et laissent donc de nombreuses zones de jachère : roches, épaves, câbles sous-marins sans compter les zones protégées comme les bancs de maërl, toutes zones qui sont autant de refuges de biodiversité sous-marine, un peu comparables aux talus de nos campagnes.

7) Enfin, une des questions les plus récurrentes concernant la drague et le chalut est celle de leur impact sur les fonds marins. En ce qui concerne leur effet dans les baies vaseuses en aval des estuaires (où les fleuves drainent de nombreux apports terrigènes), il est évident que les arts traînants remettent en suspension les vases ce qui augmente localement la turbidité, mais facilitent leur dispersion vers le large, limitant ainsi l’envasement de ces baies.

8) Sur le sédiment lui-même et sa micro-faune, la drague et le chalut, comme une herse ou une houe, permettent l’oxygénation du sédiment en le mixant à l’eau de mer riche en oxygène. Cela peut s’avérer très bénéfique sur les fonds marins des zones calmes qui peuvent être hypoxiques (déficientes en oxygène) et par là défavorables au développement d’une faune benthique établie sur le fond ou enfouie. Le passage du chalut ou de la drague va oxygéner le sédiment et libérer toute une micro-faune nourricière (vers de vase, etc. ...) qui contribue à la chaîne alimentaire marine, à tel point que c’est parfois dans les zones travaillées qu’il y a le plus à pêcher. Par exemple, quand la baie de Quiberon a été découpée en plusieurs secteurs ; les pêcheurs se sont vus attribués certaines zones qui n’avaient pas été exploitées. Leur mise en exploitation tenait davantage du nettoyage que de la pêche, avec des rendements en coquille de 100 kg à l’heure. Cinq ans plus tard, les pêcheurs constatent que ces zones travaillées font partie des meilleures zones avec des rendements de 350 à 400 kg/heure. Certes, il ne s’agit pas non plus de "labourer" trop profond ! [3]. Et ici, c’est une vraie question, car la gestion de certains gisements, de coquille saint-Jacques, pour garder cet exemple, peut être régulée par des horaires de pêche très encadrés (juste une demi-heure parfois !) qui poussent les pêcheurs à "ratisser" les gisements le plus vite possible, pouvant alors entailler profondément le sédiment. Ceci illustre bien que tout le débat est une question de dose, plus subtil que le discours extrémiste d’un monde tout noir (la vilaine pêche) ou tout blanc (les réserves marines intégrales). Question de dose aussi, la taille des chaluts, comme l’illustre par exemple le combat des petits pêcheurs de crevettes du Costa Rica qui ne veulent pas être confondus avec les chalutiers industriels [4].

Comme la charrue, la herse ou la houe (et avant eux la déforestation ou même toutes activités humaines !), la drague et le chalut ne sont pas des engins neutres sur l’environnement [5], mais leur impact doit être relativisé et mieux compris du Grand Public qui n’a parfois d’autres informations que celles d’ONG alarmistes mais très communicantes.

Et si les ONG environnementalistes sont tout à fait pertinentes à se poser des questions sur l’impact de ces engins, il importe quand même qu’elles prennent en compte tous les aspects de leur exploitation (dont les arguments 1 à 8 ci-dessus).

Comme une voiture automobile utile pour se déplacer mais qui ne doit pas être conduite comme un bolide meurtrier, la drague et le chalut sont des engins performants dont l’usage doit seulement être bien encadré.

Une coopération internationale sur un indice innovant d’évaluation de la santé des fonds marins montre que "les pêcheries au chalut gérées efficacement et de manière durable sont associées à des régions dont l’état des fonds marins est élevé" [6].

Et c’est bien aux communautés de pêcheurs elles-mêmes, de gérer leurs zones de pêche, en lien avec les scientifiques et l’administration, afin d’orchestrer intelligemment l’usage de leurs divers engins de pêche, dont ils connaissent mieux que personne les effets bénéfiques et ceux qu’il convient de réguler  [7].

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