Le passé et l’avenir 65 ans d’histoire du Comité des pêches du Guilvinec, l’ouverture à l’international

, par  FRY, Antoine

Cet article a été publié dans Samudra n° 67 en avril 2014
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Les 65 années d’existence du Comité des pêches du Guilvinec (Morbihan) et son ouverture aux problèmes internationaux de la pêche.
« Homme libre, toujours tu chériras la mer » Charles Baudelaire

Si cette exhortation est toujours valable à bien des égards, les conditions d’accès à la mer ont considérablement changé depuis qu’elle fut écrite par le poète au milieu du XIXème siècle. À l’époque, les pêcheurs du Sud Finistère sont dépendants de l’abondance en poisson bleu dont les migrations annuelles provoquent des mouvements de population vers le Guilvinec et Saint Guénolé. L’accès à la mer est alors sans entraves, si ce n’est celles imposées par l’élément lui-même qui bloquait les marins à quai plus régulièrement qu’aujourd’hui. En effet, le progrès technique a permis aux pêcheurs modernes de sortir en mer plus souvent, plus longtemps et plus loin de leur port d’attache. Le premier chalutage en mer Celtique est effectué sur un chalutier bigouden en 1947. Il ouvre une tradition de pêche hauturière à laquelle le port du Guilvinec fournit de nombreux bateaux. Et pourtant l’accès libre à un espace quasi infini a fait long feu.

Cet article se propose de décrire cette évolution à travers les 65 années d’existence du Comité local des pêches maritimes et des élevages marins (CLPMEM) du Guilvinec, structure représentative de la communauté de pêcheurs du Pays Bigouden. Il émerge de cette histoire locale des problématiques à bien des égards universelles. Pour faciliter la compréhension de cette histoire, nous l’avons divisée en périodes chronologiques distinctes. Mais la réalité est bien plus entremêlée, et il est bien rare qu’une période soit finie avant qu’une autre ne commence...

Issu d’une ordonnance du 14 août 1945, le CLPMEM du Guilvinec tire du contexte de reconstruction une certaine autonomie d’action et de décision vis-à-vis du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins basé à Paris. Le mode de financement basé sur une taxe ad valorem sur les ventes donne à la structure naissante une aisance financière.

Les missions sont alors de créer et gérer des services collectifs propres à la profession, d’améliorer la formation au sein du secteur, et d’assurer une aide sociale. Les archives des journaux locaux nous informent sur les préoccupations de la profession, et au-delà d’elle, de la structure qui la représente localement. La question des prix du poisson alimente les inquiétudes, les pêcheurs réclamant alors la fin des prix administrés. L’heure est à la production pour approvisionner le pays et les prix resteront d’ailleurs administrés jusqu’en 1948 afin d’assurer une source de protéine bon marché.

L’ouverture des frontières
La question de l’ouverture des frontières est également au cœur des débats puisque l’importation de maquereau marocain à l’origine d’une chute des cours provoque une manifestation au chef-lieu départemental en 1950. Malgré ces motifs de contestation, le secteur est dans une phase d’expansion basée notamment sur le progrès technique et la modernisation portuaire. Le Comité s’investit dans la défense du secteur et gagne peu à peu le cœur des marins.

Dès les années 1970, le climat change et de nouvelles problématiques apparaissent. La question de la ressource d’abord prend une place de choix dans l’agenda des décideurs. Le mouvement environnementaliste se structure au plan international et va peu à peu modifier la conception de la gestion des ressources, particulièrement au niveau de la pêche. Ces changements se matérialiseront avec la mise en place de l’Europe Bleue en 1983, à la suite de l’instauration d’une Politique commune de la pêche distincte (PCP), qui initie notamment les TAC (totaux admissibles de capture) et la gestion des stocks par quotas.

Cette introduction est précédée par des mesures techniques de la Commission européenne sur la taille des maillages qui ont provoqué un mouvement de grève dans le quartier maritime en 1976. Pourtant, selon les responsables du CLPMEM de l’époque, la construction européenne a d’abord suscité des espoirs inouïs en termes d’ouverture de marché et de perspectives d’accès aux eaux européennes. C’est en effet l’Union Européenne (UE) qui a mis fin à la privatisation des eaux nationales qui avait cours via la mise en place des Zones économiques exclusives (ZEE) dans les années 1970.

Elle décide de garantir les droits historiques de pêche dans les eaux communautaires et de mettre en commun les eaux nationales. Mais bien vite, l’image de l’UE se détériore au sein de la profession qui a parfois du mal à accepter l’aspect apparemment arbitraire de certaines mesures. Face à ces changements, le CLPMEM fait le pari de la coopération avec les scientifiques afin de mieux comprendre ce qui se joue dans le renouvellement de la ressource et éventuellement adapter les pratiques en fonction.

Il participe avec l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) à la mise en place d’un chalut sélectif. Certains pêcheurs lui reprocheront cette proximité qu’ils considèrent comme une sorte de trahison étant donné le manque de prise en compte de leur savoir empirique. Mais le Comité reste fidèle à ses convictions : il s’agit avant tout de s’intégrer au processus de décision afin d’éviter des mesures couperets et inadaptées. Cette réflexion conduira à la création en 1983 de l’Observatoire économique maritime (OBEMAR), dont l’objectif est de recueillir les données propres à la pêche afin de disposer d’une base de discussion face aux nouveaux acteurs du milieu maritime.

Au cours de la troisième période de son développement, le CLPMEM s’ouvre sur le monde. Des voyages d’étude sont organisés au Danemark, aux États-Unis et au Japon afin d’y observer le secteur de la pêche et de s’inspirer des modes de commercialisation et de consommation du poisson. Derrière cette ouverture se niche l’idée qu’il est de moins en moins possible de raisonner local.

Nouvelles activités
Si le marché est depuis longtemps international, d’autres questions dépassent désormais les frontières ou se posent aux communautés de pêcheurs du monde entier. L’émergence de nouvelles activités sur le littoral en est un exemple. Ainsi l’augmentation du niveau de vie des Français, combiné à la mise en place des quatre puis cinq semaines de congés payés, contribue à conforter l’attrait touristique des côtes. Cette évolution a des conséquences en terme portuaire puisque les investissements basculent peu à peu vers la mise en valeur du littoral, en termes de ressource puisqu’elle porte en elle le développement de la pêche de plaisance. On retrouve dans les délibérations du CLPMEM la traduction concrète de cette évolution avec le lancement du slogan « une ligne, un hameçon » en 1978 qui visait à limiter les prises de poisson noble par les pêcheurs plaisanciers. Autre exemple du changement à l’œuvre, le comité doit se mobiliser face à la question du traitement des boues de dragage des ports de plaisance. Souvent déversées sur les zones de pêche, elles mettent en péril la pêche future et soulève des questionnements en termes de qualité de l’eau.

Le premier numéro du mensuel lancé en 1977 par le CLPMEM (Kelaouen ar mor en breton, Nouvelles de la mer en français) fait état de ces changements. Il évoque également la mise en place de zones protégées ainsi que des difficultés économiques rencontrées par les ports satellites. D’un côté la pression sur l’espace s’intensifie, de l’autre la concentration de la pêche entre quelques opérateurs est en marche sur le territoire, réduisant peu à peu son aspect structurant dans l’économie régionale. En outre, les années 1970 voient également la question du gasoil devenir préoccupante pour la rentabilité économique des flottilles, notamment suite au premier choc pétrolier de 1973.

Parallèlement, les avancées sociales continuent et le CLPMEM poursuit sa mission de mise en place et gestion de services collectifs (caisse chômage intempéries, statut des femmes...).

Au cours de la quatrième période du CLPMEM (1980-1990), on passe d’une époque faste au temps des crises. Malgré les modifications profondes du paysage dans lequel la pêche évolue, le secteur est en bonne santé économique. La production progresse dans les années 1980 grâce au progrès technique, et les cours élevés garantissent des revenus confortables aux marins du quartier maritime. En 1985, le quartier compte 2 000 marins, 700 bateaux et 8 000 emplois induits. Les chantiers navals tournent à plein tandis que les travaux de rallongement des quais et de modernisation des criées sont engagés. L’optimum de production est atteint en 1985-1986, années qui seront suivies par une baisse du tonnage. Toutefois le maintien, voire l’augmentation des cours en criée, permet de maintenir l’optimisme ambiant.

C’est la rupture de cet équilibre précaire entre baisse du tonnage et hausse des prix en 1991 qui va précipiter le secteur dans l’une des crises les plus profondes de son histoire.

En effet, la baisse des taxes douanières sur les produits de la mer permet une importation massive de poisson à coût relativement bas en provenance d’Europe de l’Est, les « lots torpilles » comme les appellera la profession. Parallèlement à cette crise se met en place le plan Mellick qui vise à réduire de 100 000 kW la puissance de la flottille française au plan national pour réduire l’effort de pêche de la flottille européenne. La casse des bateaux fera passer le nombre de navires dans le quartier maritime de 700 en 1985 à 461 en 1993, accentuant un peu plus le climat de déprime du secteur. Une grève s’engage dans le quartier en février 1993 pour sauver la pêche et revendiquer la « préférence communautaire ». Plusieurs mobilisations marqueront les esprits, telles les virées à Rungis (Marché d’intérêt national mis à sac lors d’une manifestation) ou les manifestations massives du Guilvinec ou de Quimper. Les pêcheurs obtiendront un allégement temporaire des charges sociales et un soutien aux Organisations de producteurs (OP), bien en deçà des revendications portées tout au long du mouvement, notamment par le CLPMEM. Au même moment, la question de la pêche au thon au filet maillant dérivant se pose. Les Organisations non gouvernementales (ONG) de défense de l’environnement s’en remettent à la Communauté Européenne pour faire interdire ce métier.

Le secteur souffre mais ses contributions aux dossiers de la sélectivité du chalut prouvent sa capacité d’adaptation. Le panneau à maille carré, mis en place par un marin du quartier, en est un exemple. Il permet aux juvéniles, et notamment aux petits merluchons, de s’échapper tout en conservant la langoustine, objet de la campagne de pêche. Il serait pourtant faux de croire que l’ensemble des pêcheurs a adhéré à cette démarche de sélectivité dès son lancement. Il a fallu du temps et des preuves de son efficacité pour une conversion majoritaire de la flottille. Cette initiative permet d’éviter une énième réduction du maillage sur la langoustine.

Les années 2000 s’inscrivent dans la continuité de ces changements et voient exploser les dossiers environnementaux qui prennent de plus en plus de place dans l’agenda du Comité.

Appuyée sur la commission environnement du Comité, la stratégie d’implication des pêcheurs initiée plusieurs décennies auparavant demeure inchangée. De plus, l’équipe d’élus et de permanents doit faire face à une préoccupation ancienne mais qui devient essentielle dans le quotidien des marins : le prix du gasoil. Cette question sera d’ailleurs à l’origine de la grève de 2007, suite à la suppression d’un mécanisme de compensation des hausses mis en place au plan national et retoqué au plan européen.

En janvier 2004, l’affaire du Bugaled Breizh va bouleverser le quartier et donner l’occasion aux pêcheurs de manifester leur solidarité envers des collègues péris en mer dans des conditions non encore élucidées. Le CLPMEM se porte partie civile dans l’affaire afin de soutenir les familles dans leur recherche de la vérité.

De même en 2005, de nombreux marins du quartier maritime veulent réagir au tsunami qui a touché les populations côtières d’Asie du Sud-Est. Le CLPMEM coordonne les opérations dans le quartier maritime et se fait un point d’honneur de constater sur place, au Sri Lanka, l’affectation des aides collectées parmi les marins pour la reconstruction de maisons et de bateaux.

Tradition d’ouverture au monde
Ce mouvement de solidarité s’inscrit dans une tradition d’ouverture sur le monde qui a débuté très tôt au sein du Comité et qui s’est matérialisée par des relations avec l’ICSF (International Collective in Support of Fishworkers) en 1986 à l’initiative d’élus et de permanents. L’ONG promeut les échanges entre communautés de pêcheurs du monde entier et sera le socle de l’organisation du Forum mondial des pêcheurs et travailleurs de la pêche (WFF) dont l’assemblée générale d’octobre 2000 s’est tenue à Loctudy, au sein du quartier maritime du Guilvinec.

Tom Kochery au forum ICSF
Bigoudènes en coiffe et Indienne en sari

L’ordre du jour résume à lui seul la teneur des préoccupations qui animent les pêcheurs d’un bout à l’autre de la planète. En effet, la gestion de la ressource, la place de la femme dans la pêche ainsi que la conciliation pêche-tourisme et les aires marines protégées (AMP) sont autant de sujets d’échange et d’occasions de s’enrichir mutuellement.

Fischler et Bouguéon en 2001

Les mouvements de grève de 2007-2008 donnent l’occasion aux pouvoirs publics de lancer une réflexion sur la gouvernance de la pêche, réflexion demandée par certains membres du secteur eux-mêmes qui trouvaient le fonctionnement des structures inadapté aux réalités de leur temps. Si les premières pistes dressées pour la réforme des structures pouvaient faire craindre une centralisation des modes de décision, la version finale a conservé les marges de manoeuvre des structures départementales, désormais les plus proches des marins.

La nouvelle page ouverte par les structures représentatives a pour agenda une pression croissante sur l’espace, induite par l’introduction de préoccupations nouvelles telles que le développement d’Énergies marines renouvelables ou la mise en place d’Aires marines protégées. Les pêcheurs ne sont pas opposés par principe à ces projets mais revendiquent leur droit à une juste prise en compte de leur existence économique et spatiale. Ils continueront dans cette logique à s’associer aux instances de décisions et à faire valoir les données récoltées par la profession elle- même sur ses pratiques et la spatialisation des activités de pêche.

Les archives du CLPMEM du Guilvinec seront peut-être un jour exploitées pour servir à une meilleure compréhension de cette période si riche en évolutions dans l’Histoire des pêches françaises.

Antoine Fry, diplomé de l’Université de Nantes, chercheur dans le domaine des pêches

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