Etude statistique de données sur la pêche au lieu jaune sur les épaves de Manche ouest de 1994 à 2023

, par  DE LILLIAC Alain

Alain de Lilliac est un pêcheur amateur de formation scientifique, il a tenu un registre rigoureux de ses captures sur près de 30 ans. Le CIEM propose un quota zéro pour le lieu, mais l’auteur s’interroge sur les paradoxes des données sur l’état du stock. Il constate en particulier pour sa part un accroissement ou une stabilité de ses pêches sur épaves tandis que les pêches professionnelles s’effondrent. Il met l’accent sur l’absence de données fiables, en particulier du côté des pêcheurs amateurs qui représentent une part importante des captures. Il plaide donc pour un approfondissement des recherches et une contribution des pêcheurs amateurs à la collecte des données.

Résumé

La zone de pêche que j’ai explorée depuis 1989 couvre une grande part de la moitié sud de la Manche ouest, des épaves proches (moins de 20 miles des côtes) aux plus lointaines (à plus de 40 miles), du milieu de la Manche à proximité de la grande fosse à, récemment, l’entrée de la Manche, entre Ouessant et le Cap Lizard. Dans les premières années, je pêchais aussi de la julienne et un peu de cabillaud, mais depuis 25 ans, le lieu jaune représente 95 % de la pêche.
Depuis 1994, je note les résultats et les circonstances de toutes mes sorties (une dizaine par an), ce qui me permet de calculer mes rendements en nombre de lieus par heure de pêche de façon précise et avec une bonne homogénéité.

Capture de lieu jaune sur les épaves depuis 1994

Le résultat brut est une amélioration de ces rendements sur 30 ans de l’ordre de 2% par an, c’est à dire presque un doublement en 30 ans. Conscient que ce résultat était en partie dû au fait d’aller de plus en plus loin et, aussi, d’avoir progressivement élargi ma période de pêche, j’ai corrigé mes données brutes de ces deux effets. Le résultat corrigé est une stabilité des rendements sur la période, ou une légère décroissance.
Parallèlement, il y a une dizaine d’années, j’ai pris contact avec l’Ifremer pour savoir où en était la connaissance du lieu jaune et pour partager mes données. En 2016, j’ai été mis en contact avec Juliette Alemany, doctorante au centre Ifremer de Port-en-Bessin. Sa thèse, soutenue à Caen en 2017, porte sur les calculs de stock de poissons pour lesquels les données sont limitées avec le lieu jaune et la seiche comme exemples d’application. Il en ressortait :
• A partir des données disponibles pour le lieu jaune dans la zone 7 du CIEM (Manche et Mer celtique), traitées avec toutes sortes de modèles (une trentaine), le stock ne parait pas menacé.
• Le manque de données, en particulier l’absence complète de données de la pêche récréative, pourtant très significative par rapport à la pêche professionnelle, rend les évaluations incertaines, d’où la nécessité d’une démarche participative pour le recueil des données de la pêche récréative.
• La variété des zones de vie du lieu (côte, large, épaves) et la variété des modes de pêche (côte/large, chalut/filet/ligne) rendent le recueil et l’exploitation de données difficiles du fait de l’hétérogénéité de ces données, d’où la nécessité de mieux connaitre la vie et les déplacements du lieu jaune.
• La taille à 50 % de maturité de 51 cm pour le lieu jaune et la nécessité de modifier la taille limite de prise.

Mise à terre de lieu jaune depuis 1994

Depuis 2017, les données de la pêche professionnelle montrent un effondrement des prises de lieu jaune en zone 7, plus prononcé encore en Manche ouest. Il n’y a toujours aucun recueil de données de la pêche récréative qui pourrait pourtant bien largement dépasser la pêche professionnelle aujourd’hui. Il n’y a pas de nouvelle connaissance sur la vie et les déplacements du lieu jaune.
La publication en juin dernier de l’avis scientifique annuel du CIEM pour le lieu jaune en zone 7 préconise un moratoire complet pour 2024. Cet avis est en rupture avec les années précédentes et repose sur l’emploi d’une nouvelle méthode et de nouvelles données. Comme l’interprétation de mes propres données par rapport aux données globales de la pêche professionnelle me pose problème et comme les questions, sans réponse pour le moment, issues de la thèse de Juliette Alémany m’interrogent, je me suis plongé dans les publications du CIEM pour essayer de comprendre
J’ai été alors extrêmement surpris de constater que différents groupes de travail du CIEM s’opposent sur leurs méthodes et leurs calculs. Ainsi le Groupe de travail qui travaille sur les mers celtiques publie un avis dans lequel la méthode utilisée pour l’avis « officiel » publié en juin, est jugée inadaptée et une autre méthode est préconisée conduisant à un autre résultat. Il est même précisé qu’aucun avis ne peut vraiment être considéré comme valable tant qu’on ne dispose pas de plus de données en provenance de la pêche récréative, alors que l’avis « officiel » dit explicitement le contraire. Cette cacophonie nuit évidemment à la crédibilité du CIEM.
En conclusion, il me semble que l’appel aux données de la pêche récréative dans une démarche participative, l’amélioration du recueil et de l’exploitation des données de la pêche professionnelle, l’étude de la vie et des déplacements du lieu jaune et le changement de la taille limite de prise (mesures préconisées dans la thèse de 2017) restent plus que jamais nécessaires.

Alain de Lilliac. Octobre 2023
Voir l’intégralité de l’article ci-contre, en pdf.

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