Bernard Bouguéon : Pour une pratique sage et durable du chalut.

, par  BOUGUEON, Bernard, LE SANN Alain

Cet article est issu de l’interview de Bernard Bouguéon au salon Itechmer le 13 octobre 2023, complété par son intervention à la Journée Breizhmer du 20 octobre à Lorient.

Un pêcheur engagé pour les économies d’énergies
Bernard Bouguéon a commencé sa carrière de pêcheur sur un bateau pêchant le thon à la ligne durant ses vacances en 1971. Il a pu embarquer comme novice à 14 ans après avoir rongé son frein sur les bancs de l’école.

Il a eu la chance d’avoir un patron soucieux de transmettre ses savoirs sur chalut et la ligne pour le thon, car à cette époque, les chalutiers désarmaient en été pour s’équiper de tangons et pêcher à la ligne de traîne. Bernard est toujours passionné par cette pêche qu’il a récemment relancée comme patron bénévole sur le thonier à voile « Biche ». Il pense d’ailleurs que cette pêche peut retrouver un avenir sur des bateaux mixtes voiles-moteur. Pour lui, il est même possible de se passer de glace en travaillant le poisson à l’ancienne pour le conserver en conteneur au froid sec. Il est particulièrement sensible à la nécessité de la transition énergétique et au respect du milieu marin. Il a aussi un grand souci de la qualité qui permet d’améliorer les prix et il a été élu Ruban blanc de la qualité dans le pays Bigouden en 1987. Pourtant il reste persuadé que le chalut ( de fond ou pélagique) pratiqué avec sagesse reste un engin indispensable dans la panoplie des outils à la disposition des pêcheurs, mais à certaines conditions.

Arrêter de gaspiller les équipements.
Dans les années 90, en réponse à la crise de la pêche, la quasi-totalité des pêcheurs ont adopté les chaluts jumeaux ; certains ont même rêvé de chaluts triples pour augmenter les rendements de leur pêche. Bernard Bouguéon a acheté, en 1982, un bateau neuf contre son gré - mais c’était les conditions du plan de relance de la pêche. Il l’a bien regretté et, 10 ans plus tard, après l’abandon de ce premier bateau, surendetté, il a exercé comme patron, matelot puis employé chez un avitailleur de matériels. Il mesuré le coût des équipements pour les pêcheurs. Devenu capitaine d’armement, il s’est employé à lutter contre les gaspillages de matériel par les patrons salariés, alors que les patrons artisans se montraient beaucoup plus économes. Il a ainsi incité les meilleurs patrons à utiliser des équipements usagés, mais réparés et souvent récupérés sur les quais pour rien ou pour des sommes dérisoires. Il a ainsi permis à son armement d’économiser près de 50 % de ses dépenses en matériel. Il incite maintenant les jeunes patrons à pratiquer ces économies et à renouer avec les anciennes pratiques de ramendage et d’entretien des chaluts qui sont aujourd’hui souvent négligées sur les bateaux car elles prennent du temps.

Retour au chalut simple
Poursuivant sa recherche d’économies, il préconise le retour au chalut simple qui permet d’alléger considérablement le train de pêche et de réduire la puissance de traction et des moteurs. « Sur un chalutier de 20 m, 450 CV peuvent suffire pour une traction efficace. Pour un petit langoustinier, un moteur de 250 à 300 CV peut suffire ». Plusieurs pêcheurs commencent à réfléchir en ce sens pour répondre à la crise du gasoil. Pour Bernard Bouguéon, « avant de demander des aides au gasoil qui ne dureront pas, il faut dès maintenant rechercher ce qui permet de faire des économies et demander des subventions pour des matériels plus performants et économes ». Les capteurs et le matériel électronique permettent en particulier de régler plus finement le positionnement des chaluts et leur efficacité. « Certes cela est couteux, mais quand on compare la facture de la perte de temps à terre pour modifier, chercher pourquoi on ne pêche pas, refaire les panneaux etc, et le temps de travail supplémentaire de l’équipage, il n’y a pas photo, et tous les patrons de navire le confirment ».

Alléger le chalut au maximum et décoller les panneaux du fond.
Pour ce faire, il faut revenir au chalut de nylon, au moins pour une bonne partie du chalut. Cela permet d’utiliser un fil beaucoup plus fin mais toujours résistant. Cela est confirmé par les essais d’IFREMER. Cela permet ainsi de réduire le volume du chalut sur l’enrouleur de deux à trois fois, favorisant une meilleure stabilité du bateau. Il faut aussi renoncer aux gros bourrelets (rock hopper) utilisés pour surmonter les obstacles de roches sur le fond. Pour cela un réglage de la vitesse permet de soulever le chalut temporairement avec de simples caoutchoucs pour protéger le câble (bourrelet). Le maintien du chalut sur le fond sans qu’il pénètre dans le substrat est assuré par quelques chaînes d’un poids et d’une dimension modestes. Ensuite, il est assez aisé de décoller les panneaux du fond pour limiter la résistance et l’impact sur le fond. Leur seule fonction est d’assurer l’écartement de la gueule du chalut. « Les panneaux peuvent donc être considérablement allégés, le poids nécessaire pour maintenir le chalut sur le fond est reporté sur l’avant avec des lests sur les bras des panneaux. Avec des capteurs, il est maintenant possible de contrôler la position des panneaux par rapport au fond ainsi que l’ouverture du chalut et son positionnement, comme l’importance et la qualité des captures. [1] On peut même augmenter l’ouverture sans traction supplémentaire. Il faut aussi agrandir les mailles sur les ailes du chalut pour réduire la résistance dans l’eau. »

Des économies de carburant considérables
En expérimentant depuis trente ans tous ces ajustements aussi bien dans les eaux australes qu’au Maroc ou en Espagne, Bernard Bouguéon considère qu’il est possible de réduire au minimum de 10 % la consommation de carburant tout en augmentant les captures de 30 %. Comme il ne peut être question d’augmenter les captures au risque de surpêche. Ce gain d’efficacité permet de réduire le nombre de jours de mer et donc la consommation de carburant de 40 % et sans doute plus si la ressource est encore améliorée.

Retrouver la diversification et la saisonnalité
Pour Bernard Bouguéon, il faudrait aussi revenir à des pratiques de pêche saisonnières comme celles qu’il a connues dans sa jeunesse quand les langoustiniers changeaient d’engins pour pêcher la sardine l’été ou s’équipaient de tangons ou de filets dérivants pour la pêche au thon l’été. Malheureusement ces pratiques ont disparu, notamment lorsque les filets dérivants ont été interdits, maintenant les chalutiers sur le plateau durant tout l’année. Il serait bon de revenir à des bateaux plus polyvalents pour s’adapter à la saisonnalité des pêches. Certains jeunes patrons y réfléchissent et un jeune patron lorientais vient d’acheter un bateau adapté à la pêche au casier, au filet pour le poisson et au chalut pour la langoustine.

Innover en s’appuyant sur l’expérience du passé.
L’expérience de Bernard Bouguéon l’incite à se méfier des innovations coûteuses qui ne bénéficient qu’aux bureaux d’études et aux vendeurs de matériel pour des économies faibles et aléatoires. Il ne croit guère à l’hybridation comme solution d’avenir sauf sans doute des batteries pour alimenter certains équipements du bateau en réservant le gasoil à la traction tant qu’il n’y a pas de solution alternative. Ce n’est d’ailleurs pas toujours la traction du chalut qui demande le plus d’énergie mais les déplacements au large à la recherche du poisson. Les pêcheurs ont déjà souvent diminué de moitié leur consommation en la régulant.

Le chalut n’est pas un bulldozer des mers
Contrairement au simplisme des opposants au chalut, il existe une grande diversité des pratiques du chalutage, chaque pêcheur adaptant son gréement en fonction de ses savoir-faire. Les propositions de Bernard Bouguéon rejoignent largement celles des spécialistes d’IFREMER et peuvent permettre de préserver un avenir pour le chalutage, même si on peut parfois le remplacer comme avec le casier à langoustines sur certaines zones propices. [2]
Bernard Bouguéon comme d’autres pêcheurs, pense que le chalut n’est pas nécessairement destructeur de la biodiversité s’il est pratiqué avec sagesse, mesure et intelligence. Il peut même avoir des effets positifs car le chalut en glissant sur les fonds vaseux contribue à les régénérer comme c’est le cas lors de tempêtes. Il cite comme exemple le cas des langoustines du banc de Porcupine. Les Bigoudens furent les premiers à découvrir et exploiter cette zone. Ils firent des pêches miraculeuses de grosses langoustines mais elles se vendaient mal car elles étaient vides. Par la suite les langoustines étaient pleines et se vendaient beaucoup mieux. Des études scientifiques commencent à valider ces intuitions et constats des pêcheurs, elles doivent être développées. Les ostréiculteurs du Japon ont également constaté une amélioration de la croissance de leurs huîtres après le tsunami qui a balayé les fonds. Bien sûr, le chalut n’est pas adapté à tous les types de fonds et l’accompagnement scientifique est nécessaire.
Loin d’être toujours un bulldozer sur le fond de la mer ( sur 4 % de la surface des océans) comme le caricaturent certains chercheurs et ONG pour justifier leur demande pressante d’interdiction, le chalut utilisé avec intelligence et mesure peut continuer à faire partie de la panoplie des engins de pêche. L’expérience montre que les interdictions généralisées d’engins de pêche ont rapidement des effets pervers sur les ressources, elle montre aussi que des pêcheurs savent adapter leurs pratiques en fonction de leurs constats et peuvent être confortés par les recherches des scientifiques. Mais qui aujourd’hui peut entendre cela avec une opinion matraquée par des images et des discours sur le chalut 3000 fois plus dangereux que l’exploitation pétrolière offshore [3] …Etonnant quand on sait les dégâts de l’Amoco Cadiz, de Deepwater Horizon et l’impact sur le climat du pétrole, mais on connaît aussi le rôle des compagnies pétrolières dans la manipulation des politiques climatiques, comme vient de le rappeler magistralement Fabrice Nicolino [4] .

Alain le Sann
Bernard Bouguéon

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