Lettre ouverte de la société civile aux ministres sur les négociations sur les subventions à la pêche à l’OMC

, par  WFF, WFFP

Dans une lettre ouverte, les forums mondiaux WFF et WFFP et leurs alliés demandent qu’on « empêche l’OMC de se prononcer sur la validité des mesures de conservation et de gestion des membres »

En février 2024, lorsque les ministres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se réuniront, la pression et les attentes seront intenses quant à l’issue des négociations en cours sur les subventions à la pêche. La réunion ministérielle (MC13) intervient après que l’Accord sur les subventions à la pêche (AFS) ait été conclu lors de la précédente Conférence Ministérielle. Bien que l’OMC soit désireuse de parvenir à un nouvel accord, le texte actuel des négociations n’apporte aucun soutien aux stocks de poissons, ni à la conservation ou au développement du milieu marin.

La recherche estime que sur les 35,4 milliards de dollars de subventions mondiales à la pêche accordées en 2018, 19 % sont allés au sous-secteur de la pêche artisanale (SSF), y compris la pêche artisanale et de subsistance. Tandis que plus de 80 % de ces subventions sont allées au sous-secteur de la pêche (industrielle) à grande échelle (LSF), dont les subventions destinées à renforcer les capacités qui ont totalisé 18,3 milliards USD avec les subventions aux carburants étant le type de subvention global le plus élevé (7,2 milliards USD).

Les négociations sur les subventions à la pêche à l’OMC ont été relancée par le mandat de l’Objectif de Développement Durable 14.6 qui vise à « interdire certaines formes de subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche, et à éliminer les subventions qui contribuent à la pêche INN, et à s’abstenir d’introduire de nouvelles subventions de ce type, en reconnaissant qu’un traitement spécial et différencié (TSD) approprié et efficace pour les pays en développement et les pays les moins avancés devrait faire partie intégrante des négociations de l’OMC sur les subventions à la pêche.

Le texte du président actuel pour la CM13 ne répond pas au mandat des ODD pour les raisons suivantes :

Les principaux responsables ne sont pas tenus pour responsables
Le texte actuel du Président ne reconnaît aucune responsabilité historique quant à l’état des stocks mondiaux de poissons et de la surpêche. Le texte ne vise pas la pêche à grande échelle ou à échelle industrielle. Les décennies de subventions accordées par les nations et les flottes de pêche industrielle ne sont pas prises en compte dans la l’élaboration des interdictions, ce qui aboutit à un texte qui ne cible pas ceux qui sont responsables d’une surpêche durable et qui ont renforcé les capacités de leurs flottes, ni la richesse accumulée au dépens des stock de poissons et des détenteurs de ressources des pays en développement.

Les petits pêcheurs pris dans l’accord
Si un pays en développement capture plus de 0,8 % des captures marines mondiales, l’exemption accordée concerne les petits pêcheurs qui répondent aux critères suivants : « faible revenu, pauvre en ressources et/ou pêche de subsistance », dans un rayon de 12 ou 24 milles marins du littoral (avec « et/ou » et « 12/24 » mn qui dépendent des négociations). Cette exemption limitée n’est pas autorisée si le pays ne dispose que d’une seule flotte engagée dans la pêche hauturière. Tant la définition que la limite géographique restreignent considérablement la marge de manœuvre politique dont disposent ces gouvernements pour soutenir leurs petits pêcheurs. C’est également extrêmement injuste étant donné que les petits pêcheurs ne sont pas responsables de la pêche non durable.

Flexibilités inadéquates
De nombreux détenteurs de ressources dans les pays en développement aspirent à développer leurs flottes nationales pour pêcher dans leurs propres eaux sans avoir à dépendre de flottes extérieures. Pour ce faire, des subventions peuvent être nécessaires, mais cet accord rend cela plus difficile. La division des pays en développement en fonction du pourcentage des captures marines mondiales (inférieur ou supérieur à 0,8% selon le texte actuel de la présidence) sape les principes du traitement spécial et différencié et ne reflète pas la capacité nationale des membres à respecter les obligations de l’accord. Il est important de noter, que la capacité des pays en développement d’accéder aux flexibilités prévues dépend de leur respect des exigences de notification établies, qui vont au-delà des exigences de l’accord sur les subventions existantes.

L’OMC doit se prononcer sur les mesures de gestion de la pêche
Le texte proposé autorise le maintien des subventions interdites à condition qu’il soit démontré que les stocks pêchés sont gérés de manière durable. Il s’agit d’une clause bancale car elle permettra à ceux qui disposent de mécanismes de contrôle avancés, à savoir les pays développés, de continuer à subventionner leurs flottes. Elle permet également aux mesures de conservation d’un Membre d’être contestées devant l’OMC, un organe exécutoire dépourvu d’expertise en matière de gestion de la pêche, ce qui, une fois encore, favorise les membres ayant la capacité de contester un autre membre.

Saper la Convention des Nations unies sur le droit de la mer
Le texte actuel du président empiète sur les droits souverains des pays en matière de gestion et d’exploitation de leurs ressources halieutiques en les obligeant à communiquer les mesures de gestion à l’OMC en vue d’une éventuelle contestation et en limitant leur capacité à soutenir les flottes de pêche nationales. L’OMC sapera les traités internationaux existants sur les océans et affaiblira donc les capacités des pays en développement à gérer les stocks de poissons et empêchera les flottes de pêche hauturière d’accéder aux stocks de poissons.

Un accord déséquilibré qui récompense la capacité
Le texte, dans sa forme actuelle, sera surtout utile aux pays, principalement développés, qui ont déjà la capacité de subventionner leurs flottes et de gérer leurs stocks de poissons. La gestion et la mesure des stocks de poissons sont d’un coût prohibitif pour de nombreux pays en développement, ce qui rend plus difficile pour eux la gestion de tous leurs stocks de poissons ainsi que la présentation de rapports à l’OMC afin d’accéder aux flexibilités du texte. Punir ceux qui ont le moins de capacité à gérer, subventionner ou notifier ne résout pas l’état désastreux des stocks de poissons mondiaux, mais punit plutôt les moins responsables.

Un processus antidémocratique et source de division
Le résultat de la CM12 a été déterminé par le secrétariat et n’a été obtenu que grâce à des négociations qui ont duré toute la nuit, ce qui dépasse la portée de nombreuses délégations de pays en développement. Nous n’avons vu aucune tentative visant à impliquer les groupes de petits pêcheurs dans ces négociations. En outre, il doit donner aux pays en développement et aux PMA membres suffisamment d’opportunités de participer et d’exprimer leurs opinions jusqu’à la fin, et les consultations de type « salle verte » sont en contradiction avec l’approche souhaitée.

Nous appelons les ministres à veiller à ce que tout résultat des négociations sur les subventions en matière de surpêche et de surcapacité cible ceux qui portent la plus grande responsabilité historique dans la surpêche et l’épuisement des stocks, exclue tous les petits pêcheurs de toute interdiction de subventions, empêche l’OMC de se prononcer sur la validité des mesures de conservation et de gestion des membres, et défend les droits souverains des pays en vertu de la CNUDM.

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