16e Festival Pêcheurs du monde : le pêcheur, de la mer à l’assiette Pêcheurs et réalisateurs de tous pays à Lorient et en Sud Bretagne !

, par  CHEREL, Jacques

Le 16e Festival de films Pêcheurs du monde continue de porter haut l’image des gens de mer en abordant une problématique essentielle : contribuer à l’alimentation des populations tout en protégeant les océans ! Il se veut grand angle sur les océans nourriciers du monde et zoom sur la vie des gens de mer. Sa sélection de 45 films rappelle combien pêcheurs et océans ont un destin commun !

Du vendredi 15 au mardi 19 mars 2024, sept villes de Sud Bretagne accueillent cette nouvelle édition avec des projections-débats, des expositions et animations autour du fil rouge Le Pêcheur, la mer et l’assiette. Carrefour culturel et maritime, des réalisateurs bretons et du monde entier s’y croisent avec 21 films étrangers, 20 pays visités, des inédits, des avant-premières. Voir le détail sur le site www.pecheursdumonde.org

Loin de se tarir, l’offre des films sur le monde des pêcheurs reste riche et pertinente en traitant avec créativité de sujets quasi universels. Quel lien entretenir entre la mer et l’humain ? Cherche-t-on à promouvoir une pêche durable pour vivre ou à exclure les pêcheurs pour exploiter plus facilement les gisements d’hydrocarbures ou de nodules sous couvert de « croissance bleue » ? Comment accompagner les pê-cheurs pour assurer la transition et faire face aux dérèglements climatiques ?

Menaces pour l’avenir des pêcheurs

A travers les films les gens de mer alertent aussi contre les menaces qui s’exercent contre leur profession… Les pêcheurs sont la plupart du temps évincés des débats et forums quand ils ne sont pas accusés d’être les fossoyeurs de la crise de la biodi-versité marine. Ces campagnes de dénigrement tendent à relativiser les effets de l’exploitation des ressources minérales et énergétiques, des pollutions terrestres mal gérées, des transports maritimes et du dérèglement climatique. Au final elles font le lit des sociétés chimiques et agro-alimentaires qui lorgnent sur nos côtes pour im-planter des usines aquacoles et des sociétés d’importateurs de poissons des Pays du Sud.

Le réalisateur Nicolas Van Ingen démonte le cycle d’un vrai pillage dans Razzia sur l’Atlantique avec ses effets sur l’émigration. Fabien Fougère dans L’exode des pêcheurs et Diawara Mantia dans La lettre de Yéné témoignent du drame de la pauvreté accrue qui poussent au départ les jeunes d’Afrique. Les pirogues ne prennent plus de poisson alors qu’au large des armadas de chalutiers et bateaux usines fabriquent la farine de poisson pour les élevages de Chine et des pays du Nord, notamment de saumons.

La guerre du poisson semble bien déclarée. Pêcher pour se nourrir est un droit rappelaient en 2014 les pêcheurs de Gaza ( Aimer la mer à Gaza de Sarah Katz et Samia Ayeb). Hugo Van Offel et Martin Boudot décryptent les méthodes de mafieux qui prennent la mer pour leur terrain de chasse : Planet killers : le parrain des océans. Ce thriller documentaire met en garde contre des pratiques frauduleuses en haute mer.

Les pêcheurs réclament un vrai projet politique pour leur secteur d’activité : les mesures de destruction des flottes de pêche sur nos côtes ou d’interdiction ne sauveront pas les océans. Les pouvoirs politiques et économiques doivent choisir : nourrir les populations en respectant la mer ou laisser faire la course au profit. Deux amis pêcheurs indiens en débattent dans Against the Tide de Sarvnik Kaur. Dans Inertie Nicolas Gayraud rapporte les propos de pêcheurs normands pour qui la mondialisation et la marchandisation des produits de la mer sont responsables de la crise de la pêche. A Saint Tropez les arrogants yachts de milliardaires écrasent les derniers bateaux de pêche constate Sérine Lortat-Jacob dans Le Pêcheur de la Pointe : Didier et Pascal y font part de leurs craintes pour l’avenir !

Le changement climatique bouleverse la pêche

Les effets du réchauffement climatique bouleversent les océans. Sur le bord de l’océan Arctique, un scientifique a vécu une expérience éprouvante que retracent avec talent deux cinéastes russes Eugenia Arbugaeva et Maxim Arbugaev dans Hautlout . Les espèces halieutiques se déplacent. Au large de Quiberon (France) Sébastien Thiébaut analyse les causes et les effets des Invasions marines : le poulpe , en mobilisant scientifiques et pêcheurs. Même constat par Claudia Bäckmann dans Le crabe royal, une espèce invasive en Norvège.

Le Festival se fait l’écho des peuples premiers qui ont vécu avec une approche différente du milieu marin. Plusieurs films témoignent de la résilience des amérindiens comme Where the river widens de Zach Greenleaf. Réalisé dans le cadre de Wapikoni mobile : cette organisation autochtone soutient l’expression créative des Premiers Peuples, notamment les pêcheurs. Ailleurs certains comme les Vezos sont interdits de pêche rapporte Alexandre Mostras dans Madagascar, entre terre et mer . En Sibérie le film Piblokto tente de jeter un pont inter-culturel en faisant connaître le rapport à la nature des Tchouktches : consommateurs de la viande de baleine depuis toujours, ils sont confrontés à la domination russe et aux effets du changement climatique ! Sébastien Thiébot nous livre un film plus serein avec Wallis et Futuna , aux frontières de la mer : les représentants y font le choix d’un développement qui respecte la mer. Enthousiastes, les élèves du collège Lurçat à Lanester lui ont accordé le prix des collégiens.

Alors oui, Marins fragiles de Pierre François Le Brun rappelle la dureté du métier. Le danger guette, Marion Jhöanner en fait un écho sensible dans Synti, Synti, l’île écorchée . Mais quelle autre vie peut offrir autant de fierté conte Daniel Jacob, un homme de la mer  ? De même La pêche, histoire de famille de Pierre Bouchilloux témoigne de la force de cette immersion filiale à Arcachon ! Les thoniers innovent à Sète, selon Pêcheur2.0. (de Julien Mata) permettant le retour du poisson avec une pêche régulée. En Atlantique, les chercheurs d’Ifremer notent les progrès dus aux quotas : il faut continuer les efforts.

La parole aux futurs pêcheurs

Donner un cap aux pêcheurs, c’est préparer la relève et repenser le futur. Le Festival lance ses passerelles vers les jeunes, notamment avec les quatre lycées maritimes bretons, qui seront tous présents lors des 2 jours Pêcheurs d’avenir. Comment accompagner les jeunes pour poursuivre le beau métier de nourrir les autres ? Donnons leurs les moyens de créer leur bateau, d’oser se lancer dans une activité maîtrisée en lien avec les scientifiques.
Les consommateurs ont aussi leur part de responsabilité quant à la santé des océans. Rendez- vous sont donnés au public avec des cuisinier(e)s sur les marchés, dans les quartiers, dans les libraires pour proposer recettes éco-gourmandes avec dégustations pour consommer autrement. Les espèces déclarées « non nobles » ou oubliées trouvent leur place dans l’assiette, comme le suggère le livre de la cheffe-cuisinière de Lorient, Nathalie Beauvais, embarquée dans cette 16e édition. Consommer plus varié est aussi une façon d’assurer une meilleure gestion de la ressource halieutique.

Deux jurys mêlant professionnels du cinéma et de la pêche

Gage de l’originalité du Festival, le jury professionnel est pluriel. Son président, Olivier Broudeur est réalisateur, ethnologue, enseignant passeur d’humanité et de sens ! A côté de Nathalie Beauvais, cheffe passionnée par la cuisine bretonne et les poissons, le jury se compose de la productrice d’artistes Amélie-Anne Chapelain qui va apporter sa vision, Pierre Michelon, réalisateur fasciné par la mer, Alain Biseau, biologiste des pêches qui a fait toute sa carrière à l’Ifremer, de Saint-Pierre-et-Miquelon à Lorient. L’ancien patron pêcheur Loïc Orvoen, né dans une famille de pêcheurs et engagé auprès du comité des pêches du Morbihan apporte toute son expérience du métier. Le double regard de spécialistes de la mer et de réalisateurs va susciter de riches débats et un beau palmarès !

Le jury jeune est présidé par Marion Jhöaner, réalisatrice au parcours récompensé par plusieurs prix, dont un du Festival. Il est constitué de lycéens du lycée Dupuy-de-Lôme de Lorient, du lycée Maritime d’Etel et d’étudiants. Encore un gage de jeunesse et d’avenir que porte le Festival.

Le Festival entraine une vraie dynamique en s’associant à de nombreux partenaires Pêche et Développement, La Maison de la mer de Lorient, Haliotika du Guilvinec, J’ai vu un documentaire, Pêcheurs de Bretagne, le Biche etc… Il communique avec Samudra, la revue de l’ICSF ( International collective in support of fishworkers) . En particulier cela fait 10 ans que la secrétaire exécutive d’ICSF, Chandrika Sharma, a disparu avec le vol MH370 : le prix du film traduisant le mieux l’engagement en faveur des travailleuses de la mer est décerné chaque année en guise d’hommage.

Il est urgent de définir un vrai projet pour la pêche pour la France comme pour les pays du monde. Pêcher pour vivre est un droit fondamental à protéger. Le Festival apporte sa contribution pour qu’ensemble, amoureux de la mer et du cinéma, pêcheurs, consommateurs, nous construisions un futur océanique vivant et nourricier.

Jacques Chérel , Président du Festival Pêcheurs du monde

Navigation